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Critique de Antyryia



En ce moment, j'ai un petit moral. 
Alors quoi de plus idéal pour retrouver sourire et joie de vivre, pour sautiller dans la rue le visage béât, que de me concentrer sur cette littérature "feel good", tellement en vogue en ce moment ? 
Mon choix s'est donc naturellement porté sur le recueil de nouvelles de Karine Giébel, D'ombre et de silence
Et il ne me reste plus désormais qu'à me jeter par la fenêtre, me taillader les veines ou me jeter sous un train.
J'hésite encore. 
 
Huit nouvelles composent ce recueil. J'en connaissais déjà la moitié, parues dans les anthologies 13 à table ! 2016 et 2017 ( Aleyna et J'ai appris le silence ), Crimes au musée ( L'intérieur ) et Irradié ( L'homme en noir ). Pour compléter, on retrouve Aurore, la nouvelle inédite qui accompagnait la réédition récente de Terminus Elicius, ainsi que trois autres nouvelles probablement rares que je ne connaissais pas du tout : Ce que les blessures laissent au fond des yeux, L'été se meurt et le printemps de Juliette. 
Ne figurent pas en revanche J'aime votre peur ( initialement parue dans le recueil L'empreinte sanglante chez Fleuve noir et réédité en Pocket avec Post-mortem dans le livre intitulé Maîtres du jeu ) ni L'escalier, qui figure quant à lui dans le tout dernier volume de 13 à table !
Malgré la présence de textes déjà lus au sommaire, c'est avec plaisir que je les ai redécouverts dans cette édition qui donne à l'ensemble une saveur nauséabonde et unique.
 
Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore cette grande dame du polar, Karine Giébel, disons qu'elle n'est pas réputée pour la bonne humeur qui se dégage de ses romans. Outre un style inimitable, minimaliste, où chaque mot à son importance, c'est sa noirceur qui la caractérise principalement. 
Les "happy ends", elle ne connaît pas. 
La question n'est même pas de savoir si ça va mal se terminer, mais de découvrir pour qui et comment l'issue sera funeste. 
Cette caractéristique de ses romans est multipliée à la puissance dix dans ces textes les plus courts, dont les thèmes sont aussi justes qu'horribles. 
Haine, névrose, obsession, désespoir, folie, viol, vengeance, meurtre, suicide ... Voilà à quoi vous serez confronté en lisant ces histoires dont la plupart laisseront à jamais une empreinte, une marque au fer rouge. 
 
Parfois on me demande ce qui m'attire dans ce genre de récits noirs et dérangeants. La réponse est simple : Ca me secoue, ça me met mal à l'aise, ça me traumatise même parfois. Alors l'histoire je vais y repenser encore et encore, y réfléchir, et bien plus tard je serai encore capable d'évoquer tant le contenu que le panel d'émotions par lesquelles je suis passé. Mon dégoût, mon horreur, ma douleur. Mon impression de ne pouvoir absolument rien faire pour empêcher ces évènements que je devinais inéluctables.
Comme si la lecture se faisait autant avec les tripes qu'avec les yeux. 
Alors certes je peux également me régaler avec des histoires pleines d'humour. 
Mais à l'inverse de ces nouvelles qui finissent mal, il ne m'en restera pas grand chose une fois la lecture achevée. 

 
Place maintenant à une petite mise en bouche de ce qui vous attend dans ce recueil :

- "Aleyna" est née à Mulhouse dans une famille d'origine turque dans laquelle les traditions sont d'une importance capitale. Il est inconcevable par exemple de parler français au sein de son foyer. 
Aleyna s'enfuit de chez elle parce qu'elle est promise à Atif, un homme turc qui a le double de son âge et qu'elle n'a jamais rencontré. Il n'est pas question de respecter cet accord. Parce qu'elle est née femme, elle n'aurait même pas son mot à dire ?
"Ces putains de tradition."
Est-il concevable qu'une jeune femme née en France, étudiante aimant la littérature française, soit de nos jours contrainte à un mariage contre sa volonté ? 
Jusqu'où la famille peut-elle aller pour laver son honneur, si elle s'estime trahie ? 

- "Aurore" est également une jeune femme dont le prénom donne son titre à la seconde nouvelle. A presque dix-huit ans, elle est follement amoureuse d'un garçon de sa classe, Maxime.
"On peut aimer à dix-sept ans. Aimer à en devenir cinglée."
Elle se confie à son carnet, dans lequel elle fait part à un improbable lecteur de ses souffrances, de ses idées noires, de ce garçon qui l'obsède et qui ne la regarde même pas. 
"Respirer loin de lui me fait mal. Vivre sans lui me fait mal. le voir me fait mal."
Parallèlement, au sein d'une famille abîmée où les parents ne se supportent plus, Alban le jeune frère est aussi gros que bègue et il est la risée de ses camarades de classe, dans le même lycée qu'Aurore. 
"Un petit garçon fragile, empoté. Inadapté."
Comment tout cela va-t-il évoluer pour le frère et la soeur ? 
Un point de départ somme toute banal dans notre actuelle société ... pour un final cauchemardesque et tellement plausible. 

- La troisième histoire est la plus longue du recueil. Vous avez probablement entendu parler des petites annonces immobilières du type "loue appartement contre services intimes", "loue appartement à jeune fille non sérieuse. Maison mitoyenne dans quartier calme. Loyer à négocier, pour femme libertine. Joindre description et photo."
A se demander dans quelle France on vit pour que ces propositions de prostitution fleurissent de plus en plus nombreuses sur internet. 
C'est donc de ce point de départ on ne peut plus réél que partira "Ce que les blessures laissent au fond des yeux" où Delphine se verra contrainte d'accepter ce genre d'arrangement avec l'infect propriétaire, Laurent. 
"L'appeler maître, le supplier, l'admirer, lui lécher les pieds."
Delphine est une femme qui a déjà beaucoup souffert et qui, avec son modeste emploi de caissière dans un fast-food, a du se résoudre à accepter ce type d'arrangement afin d'avoir suffisamment d'argent pour que son fils adoré, Maxence, ait une vie d'adolescent la plus normale possible, pour qu'il ait accès tant à l'éducation qu'au dernier smartphone à la mode. 
"C'était ça ou continuer à dormir dans la voiture."
Dans cet existence glauque de sacrifices, une présence viendra cependant épauler Delphine : Celle de Kilia, une voisine africaine en situation irrégulière qui s'avérera rapidement devenir sa meilleure amie. Les deux femmes pourront tant s'entraider que confier leurs tourments respectifs. 
"Leurs angoisses qui persistent, les rêves qui s'effritent. le passé qu'on porte comme un fardeau."
Maintenant, la seule question qui reste est de savoir jusqu'où le sort va s'acharner sur elles. 

- Dans "J'ai appris le silence", on est dès les premières lignes dans une histoire aux accents de thriller avec un homme qui procède à l'enlèvement de Patricia Vernet, directrice d'un service de cardiologie. Elle reconnaît son agresseur et l'emmène, contrainte, dans sa voiture, jusqu'à un magnifique château. Elle y rejoindra à la cave neuf autres victimes de kidnapping, tous prisonniers. 
Qui est cet homme guidé par la haine, sans compassion ni empathie ? 
"Aujourd'hui, j'ai un anniversaire à fêter."
Et quel est le programme des réjouissances pour les dix personnes enfermées au sous-sol ? 

- Autre histoire de vengeance, celle de "L'homme en noir". David reconnaît à la gare un homme vêtu d'un manteau noir et se lance à sa poursuite, le suivant jusqu'à chez lui. 
"Parce que David venait de retrouver par hasard celui qu'il cherchait depuis si longtemps."
A nouveau, seule la haine semble le guider, il est bien décidé à être aujourd'hui le bourreau et non la victime. 
Jusqu'à la confrontation entre les deux hommes, et les révélations qui expliqueront les motivations de tant de colère. 

- "L'été se meurt" met en scène un homme qu'on soupçonne être soit un tueur en série, soit un ex-petit ami, totalement obsédé par une femme dont il se prétend amoureux. Alors qu'elle quitte son amant, il la suit en voiture, rongé par la rancoeur. 
Après tout, il n'y a souvent qu'un pas entre l'amour et la haine. 
"Elle m'a tout pris, m'a transformé en amoureux transi. Crédule et con.
Avant de me changer en bête féroce."
Il se promet d'être son cauchemar.
Jusqu'à l'ultime confrontation. 

- "L'intérieur" est le nom d'une toile d'Edgar Degas, connue également sous le nom "Le viol". 
Le viol sera l'acte répugnant dont sera victime Virginia, un passage extrèmement difficile à lire par lequel commence la nouvelle. Malgré sa résistance, elle finira par céder aux assauts de son employeur et maître-chanteur : le directeur du musée répondant au doux nom de François Charmant. Musée dans lequel elle a fini par trouver un travail proche de l'exploitation, et qu'elle peut perdre à tout moment. 
"La vie continue, la sienne s'est arrêtée."
"Juste cette terrible nausée. Cette salissure, comme si on avait enduit son corps de boue. de merde."
Elle essaiera de faire bonne figure devant ses enfants, mais en sera incapable. le plus grand, Jonas, insistera pour savoir ce qu'elle a subi mais évidemment, elle se taira. 
Pour mettre fin à son calvaire, elle n'a que deux solutions, mourir ou le tuer. A moins qu'une opportunité inattendue se présente ? 

- Enfin, le recueil s'achève avec une nouvelle plus douce, même si tout aussi noire que les précédentes, parce que l'histoire d'amour y est sincère. Dans "Le printemps de Juliette", le mari assiste aux dernières semaines de son épouse, condamnée par un cancer. 
"La regarder dormir, la trouver belle."
Toujours aussi amoureux après quarante ans de vie commune, comment réagira-t-il quand elle lui demandera de l'aider à partir, parce qu'elle souffre trop ? 

Et les cauchemars s'arrêtent ici, mais beaucoup me poursuivront longtemps après leur lecture. 
Si vous appréciez les romans de Karine Giébel mais que vous n'appéciez pas trop les nouvelles, n'hésitez pas à laisser une chance à celles-ci : On y retrouve dans une version certes plus brève toutes les caractéristiques de ses grands thrillers, ses histoires ont pour la majorité autant de force que "Juste une ombre" ou "Meutres pour rédemption". 
Comme l'auteure le dit elle-même, "Ecrire une nouvelle, c'est tenter, en quelques lignes, de donner vie à un personnage, de faire passer au lecteur autant d'émotions qu'en plusieurs centaines de pages."
Eh bien, le pari est largement gagné ici dans la majorité des cas. 
C'est d'ailleurs juste après avoir lu "Aleyna" dans le second 13 à table ! que j'avais dévoré l'ensemble de la bibliographie de la Varoise en quelques semaines à peine. 
Et puis c'est une bonne façon de patienter jusqu'au prochain roman qui devrait être publié courant 2018. 

J'espère que vous prendrez autant de plaisir que moi à lire ou à relire ces histoires "feel bad" qui demandent certes d'avoir le coeur parfois bien accroché, mais dans lequel les ignominies qui s'y déroulent font toutes écho à une réalité qui existe bel et bien et que personne ne devrait ignorer. 
Mais si vous tenez à votre bonne humeur et à votre tranquillité d'esprit, alors faîtes plutôt l'impasse. 
On ne s'en relève que difficilement.

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