Thor : Siege Aftermath

Briller par son absence
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Ce tome fait suite à Siege: Thor (épisodes 607 à 610, Siege: Loki, New Mutants 11) qu'il faut avoir lu avant pour comprendre qui sont les Disirs. Il regroupe les épisodes 611 à 614, initialement parus en 2010, écrits par Kieron Gillen, dessins et encrés par Rich Elson pour les épisodes 611 & 613, par Doug Braithwaite pour les épisodes 612 & 614, avec une mise en couleurs d'Andy Troy. Les couvertures ont été réalisées par Mico Suayan avec une mise en couleurs de Laura Martin.

Le Siège a pris fin. La question du faux Thor a été réglée par le vrai. le temps est venu de la cérémonie funéraire pour dire adieu aux aesirs tombés au combat. Les corps sont allongés sur un grand terrain, devant les asgardiens rassemblés. Au-devant de la foule se tiennent le roi Balder, le dieu de la guerre Tyr et Thor le dieu du tonnerre. le roi ordonne à Thor d'allumer les dépouilles, ce qu'il fait en appelant la foudre. Puis ces trois dirigeants laissent la foule pleurer leurs morts, et ils s'enfoncent dans les ruines. En petit comité, ils honorent la mémoire de Loki, lui aussi ayant trouvé la mort pendant le siège d'Asgard. Thor prononce une courte oraison terminant par le fait que l'individu Loki est regretté mais pas ses mauvaises actions. Au coeur des enfers, le chef de la diaspora perfide des démons harangue une bonne dizaine de ses congénères pour leur dire qu'ils ne peuvent pas se laisser faire, qu'ils ne peuvent pas accepter que Mephisto ait donné une partie de leur territoire à Hela pour qu'elle y installe le royaume de Hel afin de recevoir les âmes des asgardiens défunts. Son discours est interrompu par l'arrivée des Disir : Brün, Kara, Gondül, Hlökk. C'est une boucherie. Les démons sont massacrés sans pitié. Kara peut sentir la présence proche des âmes des asgardiens dans Hel, tout en éprouvant toujours cette faim inextinguible, car une malédiction leur interdit de se nourrir de ces âmes. L'une d'elle sait ce qu'elles doivent obtenir : la permission de leur présent maître de passer outre cette malédiction.

Brün se rend donc au pied du trône de Mephisto pour lui formuler cette demande, à laquelle il donne son accord. Peu de temps après, dans le Valhalla de Hel, les Disirs font leur apparition et se jettent sur les âmes de plusieurs guerriers, sans aucune retenue. C'est une boucherie. Bien sûr, Hela perçoit immédiatement cette intrusion et se téléporte sur les lieux avec l'épée Eir-Gram à la main, la lame ayant la capacité de blesser et tuer une Disir, la lame qui a déjà servi à tuer deux de leurs soeurs. Prise par surprise, Hela lâche cette épée, immédiatement récupérée par une Disir qui va la mettre en lieu sûr, hors d'atteinte de la reine du monde des morts. le combat se poursuit et les Disirs parviennent à ne pas lâcher de terrain. En Asgard, plusieurs aesirs suggèrent que Balder ne détient pas le titre de roi de manière légitime. Kelda réalise une prophétie des plus sinistres. Hela leur apparaît sous la forme d'un squelette enflammé.

Kieron Gillen continue son histoire au sein de la série Thor, sous des dehors de continuité du moment. Il avait donc succédé à JM Straczynski, assurant la tâche peu enviable de mener à bien les intrigues laissées en plan, et de raconter le rôle de Thor dans l'événement Siege de Brian Michael Bendis & Olivier Coipel. L'air de rien, il avait introduit les personnages des Disirs dans le numéro spécial Siege: Loki, comme pour remplir les pages d'un épisode exigé par l'éditeur pour occuper les présentoirs à l'occasion de cet événement centré sur la mythologie de Thor. Or voici que cette addition à ladite mythologie est coeur de ce troisième et dernier tome écrit par ce scénariste pour la série. Elles seront également présentes dans la série Angela qu'il réalise par la suite avec Stéphanie Hans et Margueritte Bennett. Il leur a donné une origine singulière complètement enracinée dans la mythologie nordique, sans solution de continuité. Ceux sont les toutes premières valkyries qui ont commis un crime impardonnable, châtiées par une terrible malédiction, et qui ont enfin l'occasion de commencer à prendre leur revanche. Il y a donc là de nouvelles ennemies toutes désignées pour Thor, et un affrontement des plus risqués puisqu'il risque d'y laisser son âme. Les deux dessinateurs ont visiblement bien apprécié ces nouveaux personnages leur donnant une apparence redoutable : de vieilles femmes décharnées dans des armures spectrales, grimaçant du fait de leur peau desséchée autour de la bouche, tendue sur leur crâne. Des individus fins et secs aux mouvements vifs et tranchants.

Dans un premier temps, le lecteur se montre un peu méfiant : un tome avec seulement quatre épisodes ce qui laisse craindre un récit superficiel et expédié, et deux dessinateurs en alternances. L'originalité des Disirs a vite fait de retenir son attention. Il avait déjà eu l'occasion d'apprécier les dessins de Rich Elson dans une partie des épisodes 607 à 609. Il réalise des dessins de nature descriptive et réaliste, avec une influence visible d'Olivier Coipel, sans essayer de le singer. Sa mise en scène est claire et ses cases sont aérées. Comme la majeure partie des artistes de comics, il s'implique plus pour représenter les personnages que les environnements dans lesquels ils évoluent, mais le coloriste complète les dessins avec des camaïeux pour l'ambiance sur Asgard, et des effets spéciaux pour les flammes dans les enfers, et dans Hel. Effectivement les personnages bénéficient de plus d'attention, que ce soit dans leurs costumes, ou dans leurs postures, avec des cadrages accentuant la force, la vivacité des déplacements, la puissance des énergies déchaînées. le spectacle est assuré, que ce soit pour les combats acharnés, ou pour les créatures fantastiques réellement inquiétantes comme Mephisto lui-même et son sourire angoissant.

Les deux autres épisodes sont confiés à Doug Braithwaite dont l'encrage semble plus doux, plus cassant, comme un crayonné un peu appuyé. L'intensité des couleurs a tendance à atténuer ce rendu parfois un peu doucereux, à donner plus de poids aux personnages et aux costumes. En revanche, ces planches sont beaucoup plus focalisées sur les personnages et la mise en couleurs ne parvient pas toujours à masquer l'absence criante de décors sur toute une planche ou même deux d'affilée. D'un autre côté les contours moins minutieux laissent plus de place au mystère, accentuent un peu le caractère divin, ou tout du moins mythologique des personnages, leur rendant une aura plus grande que nature. du fait des cadrages et de la mise en scène, le lecteur se retrouve plus près des combattants, plus au coeur de la mêlée ce qui l'implique plus dans les affrontements. En fonction de sa sensibilité, il est plus sensible à une approche plus précise dans la description, ou plus dans le ressenti.

Le scénariste continue sur la lancée de la situation qu'il a dû gérer dans les tomes précédents : une guerre ouverte a conduit des asgardiens sur le champ de bataille où certains ont trouvé la mort. Asgard est partiellement détruite et le temps est venu d'assurer les rites funéraires. C'est donc tout naturellement qu'il est question du repos des âmes de ces valeureux guerriers, donc du Valhalla, du domaine de Hela, etc. le lecteur se rend compte que Gillen a préparé son coup à l'avance en introduisant les Disirs dans le numéro spécial de Loki, et dans un épisode des New Mutants. Elles trouvent donc leur place dans ce chapitre du récit de manière organique. Il est également question d'alliances, de serments, de règles et de lois, de sorts et de malédictions, d'épée magique. le récit plonge dans le genre de la Fantasy avec des divinités nordiques, dans un royaume infernal. Chaque faction a ses propres objectifs, sa propre façon de mener ses affaires. Les Disirs sont sous la coupe de leur faim inextinguible. Tout cela concourt à une dynamique de confrontation qui ne se limite pas à un affrontement du bien contre le mal. le lecteur se retrouve à évaluer les conséquences probables de telle stratégie, de telle alliance, de telle modification des rapports de pouvoir en place. Il ne constate qu'une fois où les événements prennent une tournure étonnamment arrangeante. Ce n'est pas fait grossièrement, mais il n'est pas possible d'éviter de se faire la réflexion. du fait de la pagination relativement faible, il se dit que ces circonstances qui favorisent une conséquence ne sont pas le fruit du hasard. Dans un premier temps il y voit la main un peu lourde du scénariste manquant d'élégance, toutefois il se souvient aussi des propos de Thor vis-à-vis de son frère absent de ces pages, mais évoqué par de nombreux protagonistes. Il en déduit que ces hasards peuvent être le fruit de machinations au long court.

Kieron Gillen ne reste le temps que de 11 épisodes sur la série, avec des contraintes énormes (finir les intrigues de Straczynski, coller au crossover Siege). Non seulement il accompli tout ça avec une aisance élégante, mais en plus il sait développer en même temps en cohérence une intrigue plus personnelle n'émergeant que progressivement, et devant sa saveur à une vision très futée de Loki. Pour ce dernier tome, il bénéficie de deux dessinateurs à la personnalité un peu différente, mais très à l'aise avec son scénario. Après une telle réussite, le lecteur n'hésite pas un seul instant à suivre le scénariste sur sa série suivante Journey into Mystery, se déroulant également dans la mythologie de Thor, avec une version originale et très savoureuse de Loki.