Tu sais, je suis toujours stupéfait de voir des gens parfaitement intelligents souhaiter des choses qu'ils ont déjà.
Sais-tu quelle est l'une des premières choses qui m'ont plu à New York ? Les gens ne perdent pas leur temps à t'expliquer ce qu'ils ne sont pas. Ils n'ont pas cette notion rigide de l'identité, encore moins de l'absence d'identité.
Apprécie ce que tu aimes. Et, aussi bien, apprécie la façon dont on t’aime.
Le temps joue comme un accordéon, il se resserre et se déploie de mille manières mélodieuses. Les mois peuvent passer comme l’éclair, dans une suite accélérée d’accords, ouverts-fermés, unis-séparés ; puis vient une seule semaine mélancolique, qui est peut-être le pivot de l’année, une longue note soutenue.
Je regarde vers la maison et m'arme de courage. J'ai l'impression de flotter sur un morceau de banquise qui a dérivé trop loin vers le sud ; les illusions qui me gardaient au sec sont en train de fondre très rapidement. Et je ne suis pas le nageur le plus audacieux du monde.
« Encore un effort, les enfants ! Il y a de quoi se désaltérer après le tournant », crue Jack en descendant de son âne. Il fait des signes énergiques en direction des retardataires. Ils ont atteint le bois après une chevauchée éprouvante à flanc de montagne, et même Marjorie, qui suit Paul de près, a l’air défait. « Vous êtes un être détestable, détestable », dit-elle à Jack en mettant pied à terre. Son chemisier blanc est gris de poussière, avec des taches ovales sous les bras.
« Vous prétendiez être une cavalière, Marj.
Cela signifie que je monte à cheval, jeune homme. » Jack rit et l’entoure de son bras. « On n’a rien sans mal. » Il aide Irène à descendre de cheval, puis Jocelyn. Leurs maris, Ray et Solly, sont à mi-chemin de la buvette. Les quadruplées sont restées à paresser sur la plage. « Pas de bière ! crie Jack aux hommes. Je ne veux pas d’accident sur le chemin du retour. »
Paul attend que Jack ait attaché les ânes. Le bois est plus petit qu’il pensait, un bosquet d’arbres rabougris, tordus par le vent. Un endroit désolé, desséché, justifiant à peine la montée. À l’exception de deux ânes qui somnolent au loin, il semble que personne d’autre n’ait emprunté ce sentier ridicule.
Avaient-ils un rapport avec ma solitude innée, mon étrange satisfaction de me croire incompris, mon hésitation à reconnaître l'amour là où il s'offrait à moi ?
Je m’aperçus que la librairie était un paradis pour les désœuvrés ou les hésitants, un endroit idéal pour passer l'heure du déjeuner à rêver, un lieu de rencontre pour les amants coupables, une oasis pour les époux malheureux qui voulaient retarder le moment des querelles vespérales. Nous avions aussi une poignée d'âmes solitaires, ni toquées ni désagréables, qu'attirait moins l'atmosphère du magasin que le fait que je sois toujours disponible.
" - oh, au risque d'être cruel, je vous dirai que tout le monde meurt seul, quelque soit le nombre de personnes présentes dans la pièce."
Lorsque Fenno avait traversé l’Atlantique -une situation sans rapport avec la pension, où d’autres gens veillaient sur lui, ou avec l’Université, où des études absorbantes étaient censées le préserver du danger-, Paul calculait un décalage de six ou sept heures quand il allait se coucher le soir, et il se demandait où se trouvait Fenno en cette fin d’après-midi à l’étranger. Etait-il, en cette heure précise, à la bibliothèque (un endroit recommandable, sûr) ou dans la rue, en train de faire des courses pour le dîner ou de choisir une chemise pour plaire à un amant ? Et si Paul se réveillait au beau milieu de la nuit, ce qu’il détestait par-dessus tout, c’était d’imaginer Fenno ailleurs que bêtement au lit, comme son père.