En règle générale, je fuis dès que quelqu'un me dit « c'est un livre qui parle des camps, mais tu devrais le lire, il est vraiment bien. »
Je ne regarde plus de films sur les camps de concentration, je ne regarde plus non plus de documentaires sur ce sujet.
Je n'irai probablement jamais visiter un ancien camp car rien que de m'imaginer devant l'entrée j'ai l'impression que je vais défaillir. J'ai d'ailleurs été très choquée lorsque le mémorial d'Auschwitz-Birkenau a été contraint de faire un petit rappel à l'ordre à certains visiteurs irrespectueux lors des visites du camp : des touristes s'amusaient à publier sur les réseaux sociaux des photos d'eux-mêmes jouant les équilibristes sur les rails du train menant à l'intérieur du camp… Quelle indécence, quelle ignorance, quelle stupidité !
Cependant, devant l'insistance de mon libraire préféré, j'ai cédé. J'ai acheté ce livre et je l'ai rangé soigneusement tout au fond de ma bibliothèque. Il prenait peu de place et je tombais dessus régulièrement sans jamais oser l'ouvrir puis la semaine dernière j'ai fait un deal avec moi-même : je lis les premières pages et si j'apprends que l'enfant né à Ravensbrück a survécu je lirai le livre en entier. Sinon j'abandonne.
Spoiler N°1 : je n'ai pas abandonné.
Spoiler N°2 :
j'ai été trahie.
La lecture fût éprouvante mais je n'ai pas pu refermer le livre avant de l'avoir terminé. Notre héroïne s'appelle
Suzanne Langlois, alias Mila, son nom de code dans la résistance. Elle est arrêtée au début de l'année 1944 puis déportée à Ravensbrück avec d'autres détenues politiques, notamment sa cousine Lisette.
Enceinte, elle essaiera de cacher son état aux gardiens du camp jusqu'à son accouchement. C'est en effet le seul secret qui lui reste, la seule parcelle de liberté à laquelle elle s'accrochera pour survivre. Lorsque James nait, il est envoyé à la
kinderzimmer, la chambre d'enfant. Chambre qui n'en est une que de nom, bien entendu. Il s'agit plutôt d'un mouroir glacé où les bébés dépérissent inexorablement faute de nourriture et de soins de base, la plupart d'entre eux n'atteignant même pas l'âge de trois mois.
Pendant un peu plus d'un an nous suivrons Mila dans le quotidien du camp. L'appel à 4 heures du matin, debout sans bouger dans le froid durant des heures. L'ersatz de café et la minuscule tranche de pain faisant office de petit déjeuner. L'infâme bouillon clairet du soir. le travail éreintant. Les combines qui pourraient valoir la vie pour améliorer le quotidien. Les maladies, la saleté, les morts, la boue, le froid, les coups de bâton, les chiens. Et l'inimaginable, ce qui n'est encore qu'une rumeur : l'extermination industrialisée de groupes entiers de prisonnières… C'est extrêmement dur, à peine adouci par la solidarité entre les détenues et les maigres nouvelles de l'avancée des Alliés qui font tenir seulement les plus fortes.
Au-delà de cette description froide et réaliste, ce qui ressort principalement du livre est la volonté de l'autrice de nous rappeler notre devoir de mémoire. Peu avant son retour en France Mila réussit à obtenir du papier et un crayon pour noter les événements. Elle consignera autant qu'elle peut, tout ce qu'elle peut. Les dates, les morts, le temps. Elle gravera aussi dans sa tête tous ces moments pour pouvoir les raconter quand le temps viendra d'écouter.
Qu'importe si elle n'a pas tout vécu, elle retranscrit également les souvenirs des autres pour servir la mémoire collective, celle qui reste une fois que vous n'êtes plus là.
Ce livre est beaucoup plus qu'un témoignage bouleversant sur cette ignoble période. Avec grande intelligence
Valentine Goby a réussi à transformer une histoire personnelle en réflexion sur la nécessité du souvenir et l'importance de la connaissance de la vérité, autant de façon individuelle que de façon collective. J'ai trouvé l'écriture impressionnante de maitrise et de justesse. le message qui donne sa raison d'être à ce livre est limpide, évident, du grand art !