Etant moi-même alsacien, il me semblait inévitable de lire ce récit. Récit qui m'a étonné par sa démarche, puisque j'ai été confronté très jeune au phénomène des Malgré nous et tout le paradoxe des alsaciens dans la Seconde Guerre Mondiale : trop allemand pour les français, trop français pour les allemands. Interdit de parler leurs langue, obligé de souscrire à un état qu'ils n'ont pas voulu, enrôlés de force … Toutes ces histoires me sont connues par les cours d'histoire du collège lycée mais aussi et surtout par ma propre famille. La BD me paraissait donc d'abord un peu superflu.
Sauf qu'il faut bien constater que les français (ceux d'outre-Vosges) ne sont pas souvent sensibilisé à ces problématiques là et peuvent avoir une vision biaisé du comportement de nombreux alsaciens. Il faut dire que leur situation était bien souvent catastrophique, comme le rappelle cette BD : participer ou être déporté, adhérer ou être fusillé, collaborer ou disparaitre. J'ai entendu de nombreuses fois cette histoire : j'ai fait ça, parce que sinon ma famille était emmenée. Et la famille, c'est au sens large : cousin, tante, oncle, tout le monde pouvait être embarqué pour une défection. Mes grands-parents et arrière grands parents ont ainsi vu leurs frères partir dans une guerre qu'ils ne voulaient pas, mourir sur le front de l'est et avoir comme seule et mince consolation, l'idée que leur famille n'a pas déjà été tuée.
Je parle beaucoup de la situation que je connais, mais parce que cette BD est totalement dans cet esprit : raconter ce qui fut fait sous la contrainte. Il est facile de se dire "j'aurais fait autrement" ou encore "j'aurais résisté", mais c'est oublier tout ce que cela comportait.
le voyage de Marcel Grob fut fait contre sa volonté, avant tout. Cependant, et c'est là tout l'intérêt de la BD, c'est aussi de ce fait qu'il participe à des massacres que l'armée allemande perpétue à cette époque. Il devient du coup difficile de dire ce qu'il faut ressortir de tout ça : condamner un gars qui est né au mauvais endroit au mauvais moment ? Lui reprocher d'être devenu un salaud pour ne pas en devenir un autre ? D'avoir été dans une situation d'où rien de bon ne pouvait sortir ? Il est facile de s'ériger en juge, mais c'est passer sur la complexité de cette époque.
Je digresse beaucoup, parce que cette BD aborde avec une grande justesse toutes les problématiques liées à l'enrôlement des jeunes alsaciens. Comme le rappelle la BD, certains étaient franchement ravis d'aller dézinguer du coco, tandis que d'autres voulaient juste rentrer en vie. Les SS n'étaient pas tous des monstres assoiffés de sang, même si certains sont présentés comme des sadiques. Il y a là une diversité d'être humain qu'on peut croiser dans tout les groupes. Et lorsqu'on referme la BD, c'est avec plus de questions que de certitudes. C'est la force d'un tel récit : permettre de remettre les choses dans un contexte qui ne simplifie jamais rien. Mais c'est salutaire que de se rappeler que
L Histoire n'est pas monolithique et qu'il est dangereux de caricaturer en deux camps simplifiés, les gentils et les méchants.
A la fin de cette BD, je repense à mes grands-mères et leurs frères qu'elle n'ont pas revu, leur père qui a fait la résistance et s'est fait descendre (par les gendarmes français), mon grand-père enrôlé dans l'armée allemande et qui a fuit en pyjama dans la neige le soir du Nouvel an (pour se réfugier en Suisse). Je repense à tout ces alsaciens qui avait comme seul tort d'être né là, dans un coin du monde qu'on se disputait alors, et qui ont pris de plein fouet l'absurdité d'une guerre.
A l'heure où les guerre se rapprochent à nouveau de l'Europe, cette BD me fait penser que nous avons eu la chance, ces dernières années, de pouvoir vivre dans un pays qui ne nous a pas obligé à faire des choses et surtout, choisir un camp (comme disait Goldman). Sortir d'une BD avec autant de questions, de réflexions et d'images est sans doute ce qu'il y a de mieux, non ?