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Citations sur Élégie de Marienbad et autres poèmes (40)

LA PREMIÈRE NUIT DU SABBAT

Morceau lyrique.

UN DRUIDE.
Voici mai qui nous sourit ! la forêt s’est dégagée de ses glaçons et de ses frimas. La neige a disparu, et de joyeux chants retentissent parmi la verdure nouvelle. La blanche neige s’est retirée vers les hautes montagnes : il faut cependant que nous y montions, selon la coutume antique et sainte, pour célébrer les louanges du Père de toutes choses. Que la flamme s’élève à travers la fumée : c’est ainsi que les cœurs montent à lui !

DES DRUIDES.
Que la flamme s’élève à travers la fumée ! Suivons la coutume antique et sainte de célébrer les louanges du Père de toutes choses. Montons, montons encore !

UNE VOIX DANS LE PEUPLE.
Mais quelle audace vous transporte ! voulez-vous marcher à la mort ?… Ne savez-vous pas que nos ennemis victorieux sont de ce côté ? Leurs pièges sont tendus autour de ces retraites pour surprendre les païens, les pécheurs !… Hélas ! ils égorgeront dans nos cabanes et nos femmes et nos enfants, et nous marcherons tous vers une mort certaine !

CHŒUR DES FEMMES.
Dans l’asile de nos cabanes, ils égorgeront nos enfants, ces impitoyables vainqueurs ! et nous marcherons tous vers une mort certaine !

UN DRUIDE.
Celui vers qui vont s’élever nos sacrifices protégera ses adorateurs. La forêt est libre, le bois n’y manque pas, et nous en ferons d’énormes bûchers. Cependant, arrêtons-nous dans les broussailles voisines, et tenons-nous tranquilles tout le jour ; plaçons des guerriers pour veiller à notre défense ; mais, ce soir, il faut avec courage songer à remplir nos devoirs !

CHANT DES GUERRIERS QUI VEILLENT.
Veillez ici, braves guerriers, aux environs de la forêt, et veillez en silence, pendant qu’ils rempliront leur saint devoir.

UN GUERRIER.
Ces chrétiens insensés se laissent abuser par notre audace : si nous les effrayions nous-mêmes au moyen du diable, auquel ils croient ?… Venez ! il faut nous armer de cornes, de fourches et de brandons, faire grand bruit à travers les rochers. Chouettes et hibous, accompagner notre ronde et nos hurlements !

CHŒUR DES GUERRIERS QUI VEILLENT.
Armons-nous de fourches et de cornes, comme le diable auquel ils croient, et faisons grand bruit à travers les rochers. Chouettes et hibous, accompagnez notre ronde et nos hurlements !

UN DRUIDE.
Maintenant, au sein de la nuit, célébrons hautement les louanges du Père de toutes choses ! Le jour approche où il faudra lui porter un cœur purifié ! Il peut permettre à l’ennemi de triompher aujourd’hui et quelques jours encore ; mais la flamme s’élance de la fumée : ainsi s’épure notre culte ; on peut nous ravir nos vieux usages ; mais la lumière divine, qui nous la ravira ?

UN CHRÉTIEN.
À moi ! au secours, mes frères !… Ah ! voici l’enfer qui nous vient !… Voyez ces corps magiques tout en feu !… ces hommes-loups et ces femmes-dragons qui se pressent en foule immense ! Oh ! quel tumulte épouvantable ! Fuyons tous, fuyons bien loin !… Là-haut flambe et mugit le diable… et l’odeur infecte des sorciers se répand jusqu’à nous !

CHŒUR DES CHRÉTIENS.
Voyez, voyez, ces corps magiques ! hommes-loups et femmes-dragons… Oh ! quel tumulte épouvantable !… Là-haut flambe et mugit le diable… et l’odeur des sorciers se répand jusqu’à nous !

CHŒUR DES DRUIDES.
La flamme s’élance de la fumée : ainsi s’épure notre culte ! On peut nous ravir nos vieux usages ; mais la lumière divine, qui nous la ravira ?…
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LE VOYAGEUR

LE VOYAGEUR.
Dieu te bénisse, jeune femme, ainsi que l’enfant que nourrit ton sein ! Laisse-moi, sur ces rochers, à l’ombre de ces ormes, déposer mon fardeau, et me délasser près de toi.

LA FEMME.
Quel motif te fait, pendant la chaleur du jour, parcourir ce sentier poudreux ? Apportes-tu des marchandises de la ville pour les vendre dans ces contrées ? Tu souris, étranger, de cette question.

LE VOYAGEUR.
Je n’apporte point de marchandises de la ville. Mais le soir va bientôt répandre sa fraîcheur ; montre-moi, aimable jeune femme, la fontaine où tu te désaltères.

LA FEMME.
Voici un sentier dans les rochers… Monte devant ; ce chemin parmi les broussailles conduit à la chaumière que j’habite, à la fontaine où je me désaltère.

LE VOYAGEUR.
Des traces de la main industrieuse de l’homme au milieu de ces buissons ! Ce n’est pas toi qui as uni ces pierres, ô nature, si riche dans ton désordre !

LA FEMME.
Encore plus haut !

LE VOYAGEUR.
Une architrave couverte de mousse ! Je le reconnais, esprit créateur ! tu as imprimé ton cachet sur la pierre !

LA FEMME.
Monte toujours, étranger !

LE VOYAGEUR.
Voici que je marche sur une inscription… Et ne pouvoir la lire ! Vous n’êtes plus, ô paroles si profondément ciselées dans le marbre, et qui deviez rendre témoignage devant mille générations de la piété de votre auteur !

LA FEMME.
Tu t’étonnes, étranger, de voir ces pierres ; autour de ma chaumière, il y en a bien d’autres !

LE VOYAGEUR.
Là-haut ?

LA FEMME.
Sur la gauche ; en traversant les buissons…. Ici.

LE VOYAGEUR.
O muses ! ô grâces !

LA FEMME.
C’est ma chaumière.

LE VOYAGEUR.
Les débris d’un temple !

LA FEMME.
Et, plus bas, sur le côté, coule la source où je me désaltère.
LE VOYAGEUR.
Tu vis encore sur ta tombe, divin génie ! ton chef-d’œuvre s’est écroulé sur toi, ô immortel !

LA FEMME.
Attends, je vais te chercher un vase pour boire.

LE VOYAGEUR.
Le lierre revêt maintenant tes créations légères et divines. Comme tu t’élances du sein de ces décombres, couple gracieux de colonnes, et toi, leur sœur, là-bas solitaire !… La tête couverte de mousse, vous jetez sur vos compagnes, à vos pieds renversées, un regard triste mais majestueux ! La terre, les débris, nous les cachent ; des ronces et de hautes herbes les couvrent encore de leur ombre. Estimes-tu donc si peu, ô nature ! les chefs-d’œuvre de ton chef-d’œuvre ? Tu ruines sans pitié ton propre sanctuaire, et tu y sèmes le chardon !

LA FEMME.
Comme mon petit enfant dort bien ! Étranger, veux-tu te reposer dans la chaumière, ou si tu préfères rester ici à l’air ? Il fait frais. Prends le petit, que j’aille te chercher de l’eau. — Dors, mon enfant, dors !

LE VOYAGEUR.
Que son sommeil est doux ! comme il respire paisiblement et dans sa brillante sanlé !… Toi qui naquis sur ces restes saints du passé, puisse son génie venir reposer sur toi ! Celui que son souffle caresse saura, comme un dieu, jouir de tous les jours ! Tendre germe, fleuris, sois l’honneur du superbe printemps, brille devant tous tes frères, et, quand tes fleurs tomberont fanées, qu’un beau fruit s’élève de ton sein, pour mûrir aux feux du soleil !

LA FEMME.
Que Dieu te bénisse ! — Et il dort encore ? Mais je n’ai avec cette eau fraîche qu’un morceau de pain à t’offrir !
LE VOYAGEUR.
Je te remercie. — Comme tout fleurit autour de nous, et reverdit !

LA. FEMME.
Mon mari va bientôt revenir des champs : ô reste, étranger, reste pour manger avec nous le pain du soir !

LE VOYAGEUR.
C’est ici que vous habitez ?

LA FEMME.
Oui, là, parmi ces murs : mon père a bâti la chaumière avec des tuiles et des décombres, et nous y demeurons depuis. Il me donna à un laboureur, et mourut dans nos bras. — As-tu bien dormi, mon amour ? Comme il est gai, comme il veut jouer, le petit fripon !

LE VOYAGEUR.
Ô nature inépuisable ! tu as créé tous les êtres pour jouir de la vie ! tu as partagé ton héritage à tous tes enfants comme une bonne mère… À chacun une habitation. L’hirondelle bâtit son nid dans les donjons, et s’inquiète peu des ornements que cache son ouvrage. La chenille file autour de la branche dorée un asile d’hiver pour ses œufs : et toi, homme ! tu te bâtis une chaumière avec les débris sublimes du passé… Tu jouis sur des tombes ! — Adieu, heureuse femme !

LA FEMME.
Tu ne veux donc pas rester ?

LE VOYAGEUR.
Dieu vous garde ! Dieu bénisse votre enfant !

LA FEMME.
Je te souhaite un heureux voyage.

LE VOYAGEUR.
Où me conduira ce sentier que j’aperçois sur la montagne ?
LA FEMME.
À Cumes.

LE VOYAGEUR.
Y a-t-il encore loin ?

LA FEMME.
Trois bons milles.

LE VOYAGEUR.
Adieu. — Guide mes pas, nature, les pas d’un étranger sur ces tombeaux sacrés d’autrefois ; guide-moi vers une retraite qui me protège contre le vent du nord, où un bois de peupliers me garde des rayons brûlants du midi ; et, quand, le soir, je rentrerai dans ma chaumière, le visage doré des derniers feux du soleil, fais que j’y trouve une pareille femme avec un enfant dans ses bras.
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LE DIEU ET LA BAYADÈRE.

Nouvelle indienne.


Mahadoeh, le maître de la terre, y descendait pour la sixième fois, afin de s’y faire notre semblable, et d’y éprouver nos douleurs et nos joies. Habitant parmi les mortels, il s’était résigné au même sort ; il voulait observer les hommes, en homme, pour récompenser ou punir. Et, quand il avait, dans son voyage, traversé une ville, humilié quelques grands, élevé quelques petits, le dieu s’en éloignait le soir, et poursuivait sa route.

Un jour qu’il sortait ainsi d’une ville, il aperçut une jeune et jolie fille aux joues toutes roses, dans l’une des dernières maisons. « Bonjour, ma jeune enfant. — Grand merci, seigneur ; veuillez m’attendre, je viens à votre rencontre. — Qui donc es-tu ? — Une bayadère ; et c’est ici ma maison. » Elle s’approche en faisant retentir les joyeuses cymbales, figure autour de lui mille danses variées ; puis se prosterne et lui offre des fleurs.
Elle l’attire enfin gracieusement chez elle : « Bel étranger, ma demeure va s’éclairer pour toi de lumière brillante. Es-tu fatigué, tu pourras t’y reposer ; je panserai tes pieds blessés par le voyage ; tout ce que tu peux désirer, repos, joie et plaisir, viendra s’offrir à toi. » Et elle cherche à adoucir les feintes souffrances du dieu qui lui sourit : il démêle avec joie un cœur sensible parmi tant de corruption.

Et il exige d’elle un service d’esclave ; mais la jeune fille s’en acquittait avec un zèle toujours nouveau, et ce qu’elle faisait d’abord par complaisance, elle sembla bientôt le faire par besoin ; car, de même que la fleur se remplace bientôt par le fruit, l’amour insensiblement conduit à la soumission. Mais, pour l’éprouver mieux, le dieu la fait passer successivement des brûlants transports du plaisir aux angoisses et à la douleur.

Et, dès qu’il lui donne un baiser, elle ressent en elle toutes les peines de l’amour, elle comprend son esclavage, et pleure pour la première fois. Elle se jette aux pieds du dieu ; non qu’elle en espère quelque intérêt ou quelque retour, mais parce que ses membres refusent de la soutenir. Bientôt cependant la nuit étendra ses voiles sur les instants de bonheur qui récompenseront son amour.

Après un court sommeil, elle se réveille et trouve son aimable hôte mort à ses côtés : en vain le presse-t-elle dans ses bras en jetant de grands cris… Il ne se réveillera plus ! Et la flamme va dévorer bientôt sa froide dépouille ; les brames ont déjà entonné l’hymne des morts… Elle l’entend à peine, qu’elle s’élance, se jette à travers la foule… « Qui es-tu ? de quel droit t’approches-tu de ce bûcher funèbre ? »

Mais elle se précipite tout éplorée sur le cadavre. « C’est mon bien-aimé que je veux, et je viens le chercher sur son bûcher ; je viens mêler ma cendre à la sienne ! Il était à moi, à moi tout entier… Encore un doux sommeil entre ses bras ! » Et les prêtres chantaient : « Nous conduisons au tombeau le vieillard glacé par de longues souffrances, et le jeune homme aussi qui n’en a jamais éprouvé.
— Écoute les paroles des prêtres : celui-ci n’était point ton époux ; tu es une bayadère, et n’as point de devoirs à remplir. L’ombre seule accompagne le corps au dernier séjour ; l’épouse seule y suit l’époux ; c’est à la fois son devoir et sa gloire. Sonnez, trompettes, accompagnez le chant sacré. — Recevez, ô dieux, l’ornement de la terre, et que les flammes s’élèvent jusqu’à vous ! »

Ainsi les prêtres demeurent sourds à ses prières ; mais, les bras étendus, elle se jette dans cette mort éclatante. Tout à coup le jeune dieu se relève du sein de la flamme, embrasse celle qui l’aimait si tendrement, et l’emporte au ciel avec lui. Ainsi les dieux se réjouissent du repentir, et accordent le bonheur éternel aux coupables que la douleur a purifiés.
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L’ÉLÈVE SORCIER

Le vieux maître est enfin sorti, et je prétends que ses génies fassent aussi ma volonté. J’ai bien remarqué les signes et les paroles qu’il emploie, et j’aurai bien la hardiesse de faire comme lui des miracles.

« Allons ! allons ! vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords !

« Approche donc, vieux balai : prends-moi ces haillons ; depuis longtemps, tu es fait au service, et tu te soumettras aisément à devenir mon valet. Tiens-toi debout sur deux jambes, lève la tête, et va vite, va donc ! me chercher de l’eau dans ce vase.

« Allons ! allons ! vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords ! »

Tiens ! le voilà qui court au rivage !… Vraiment, il est au bord de l’eau !… Et puis il revient accomplir mon ordre avec la vitesse de l’éclair !… Une seconde fois ! Comme le bassin se remplit ! comme les vases vont et viennent bien sans répandre !

« Attends donc ! attends donc ! ta tâche est accomplie ! » Hélas ! mon Dieu ! mon Dieu !… j’ai oublié les paroles magiques !

Ah ! ce mot, il était à la fin, je crois ; mais quel était-il ? Le voilà qui revient de nouveau ! « Cesseras-tu, vieux balai ?… » Toujours de nouvelle eau qu’il apporte plus vite encore !… Hélas ! quelle inondation me menace !

Non, je ne puis plus y tenir… Il faut que je l’arrête… Ah ! l’effroi me gagne !… Mais quel geste, quel regard me faut-il employer ?

« Envoyé de l’enfer, veux-tu donc noyer toute la maison ? Ne vois-tu pas que l’eau se répand partout à grands flots ? » Un imbécile de balai qui ne comprend rien ! « Mais, bâton que tu es, demeure donc en repos !

« Tu ne veux pas t’arrêter, à la fin !… Je vais, pour t’apprendre, saisir une hache, et te fendre en deux ! »
Voyez-vous qu’il y revient encore ! « Comme je vais me jeter sur toi, et te faire tenir tranquille !… » Oh ! oh ! ce vieux bâton se fend en craquant !… C’est vraiment bien fait : le voici en deux, et, maintenant, je puis espérer qu’il me laissera tranquille.

Mon Dieu ! mon Dieu ! les deux morceaux se transforment en valets droits et agiles !… Au secours, puissance divine !

Comme ils courent ! Salle, escaliers, tout est submergé ! Quelle inondation !… Ô mon seigneur et maître, venez donc à mon aide !… Ah ! le voilà qui vient ! « Maître, sauvez-moi du danger : j’ai osé évoquer vos esprits, et je ne puis plus les retenir.

— Balai ! balai ! à ton coin ! et vous, esprits, n’obéissez désormais qu’au maître habile, qui vous fait servir à ses vastes desseins. »
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LE ROI DES AULNES

Qui voyage si tard par la nuit et le vent ? C’est le père et son fils, petit enfant qu’il serre dans ses bras pour le garantir de l’humidité et le tenir bien chaudement.

« Mon enfant, qu’as-tu à cacher ton visage avec tant d’inquiétude ? — Papa, ne vois-tu pas le roi des Aulnes ?… le roi des Aulnes, avec sa couronne et sa queue ? — Rien, mon fils, qu’une ligne de brouillard. »

— « Viens, charmant enfant, viens avec moi… À quels beaux jeux nous jouerons ensemble ; il y a de bien jolies fleurs sur les bords du ruisseau, et, chez ma mère, des habits tout brodés d’or ! » —

« Mon père, mon père, entends-tu ce que le roi des Aulnes me promet tout bas ? — Sois tranquille, enfant, sois tranquille ; c’est le vent qui murmure parmi les feuilles séchées. »

— « Beau petit, viens avec moi ! mes filles t’attendent déjà : elles dansent la nuit, mes filles ; elles te caresseront, joueront et chanteront avec toi. » —

« Mon père, mon père, ne vois-tu pas les filles du roi des Aulnes, là-bas où il fait sombre ? — Mon fils, je vois ce que tu veux dire… Je vois les vieux saules, qui sont tout gris ! »

— « Je t’aime, petit enfant ; ta figure me charme ; viens avec moi de bonne volonté, ou de force je t’entraîne. » —

« Mon père ! mon père ! il me saisit, il m’a blessé, le roi des Aulnes ! »

Le père frissonne, il précipite sa marche, serre contre lui son fils, qui respire péniblement, atteint enfin sa demeure… L’enfant était mort dans ses bras.
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CONSOLATION DANS LES LARMES

« Comment es-tu si triste au milieu de la commune joie ? On voit à tes yeux que sûrement tu as pleuré.

— Si j’ai pleuré, solitaire, c’est d’une douleur qui n’afflige que moi ; et les larmes que je verse sont si douces, qu’elles me soulagent le cœur.

— Viens ! de joyeux amis t’invitent, viens reposer sur notre sein, et, quelque objet que tu aies perdu, daigne nous confier ta perte.

— Parmi tout votre bruit, tout votre tumulte, vous ne pouvez comprendre ce qui fait mon tourment… Eh bien, non, je n’ai rien perdu, quel que soit ce qui me manque !

— Alors, relève-toi, jeune homme ! à ton âge, on a des forces et du courage pour acquérir.

— Oh ! non, je ne puis l’acquérir ! ce qui me manque est trop loin de moi… C’est quelque chose d’aussi élevé, d’aussi beau que les étoiles du ciel !

— Les étoiles, on ne peut pas les désirer ; on jouit de leur éclat, on les contemple avec ravissement, lorsque la nuit est claire.

— Oui, je contemple le ciel avec ravissement, pendant des jours entiers : oh ! laissez-moi pleurer la nuit, aussi longtemps que je pourrai pleurer ! »
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LE CHERCHEUR DE TRÉSORS

Pauvre d’argent, malade de cœur, je traîne ici des jours bien longs ; la misère est le plus grand des maux, la richesse le premier des biens ! Il faut que je mette fin à mes peines, que je découvre un trésor… dussé-je pour cela sacrifier mon âme et signer ma perte avec mon sang !

Et je me mis à tracer des cercles et des cercles encore : une flamme magique les parcourut bientôt ; alors, je mêlai ensemble des herbes et des ossements, et le mystère fut accompli. Je creusai la terre à la place indiquée par les flammes, sûr d’y rencontrer un vieux trésor… La nuit autour de moi était noire et orageuse.

Et je vis une lumière de loin ; c’était comme une étoile qui s’avançait du bout de l’horizon : minuit sonna, elle se rapprocha de plus en plus, et je distinguai bientôt que cette clarté éblouissante était produite par une coupe enchantée que portait un bel enfant.

Des yeux d’une douceur infinie étincelaient sous sa couronne de fleurs ; il entra dans mon cercle magique, tout resplendissant de l’éclat du vase divin qu’il portait, et m’invita gracieusement à y boire, et je me dis : « Cet enfant, avec sa boisson merveilleuse, ne peut être l’esprit malin.

— Bois, me dit-il, bois le désir d’une vie plus pure, et tu comprendras mes avis : ne reviens plus en ces lieux, tourmenté d’une fatale avidité, n’y creuse plus la terre dans une espérance coupable ; travaille le jour, réjouis-toi le soir ; passe les semaines dans l’activité, les fêtes dans la joie, et des changements magiques s’opéreront dans ton existence. »
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L’AIGLE ET LA COLOMBE

Un jeune aigle avait pris son vol pour chercher sa proie ; la flèche d’un chasseur l’atteint et lui coupe le tendon de l’aile droite. Il tombe dans un bois de myrtes, où, pendant trois jours, il dévore sa douleur ; où, pendant trois longues nuits, il s’abandonne à la souffrance. Enfin, le baume universel le soulage, le baume de la bienfaisante nature : il se glisse hors du bois, et agite ses ailes… Hélas ! c’en est fait ! le tendon est coupé ! à peine peut-il raser la surface de la terre pour chasser une vile proie ; profondément affligé, il va se poser sur une humble pierre, au bord d’un ruisseau ; il lève ses regards vers le chêne, vers le ciel, et puis une larme a mouillé son œil superbe.

Voilà que deux colombes qui folâtraient parmi les myrtes viennent s’abattre près de lui ; elles errent en sautillant sur le sable doré, traversent côte à côte le ruisseau, et leur œil rouge, qui se promène au hasard autour d’elles se fixe enfin sur l’oiseau affligé. Le mâle, à qui cette vue inspire un intérêt mêlé de curiosité, presse son essor vers le bosquet le plus voisin, et regarde l’aigle avec un air de complaisance et d’amitié :

« Tu es triste ! ami, reprends courage : n’as-tu pas autour de toi tout ce qu’il faut pour un bonheur tranquille ? Des rameaux d’or te protégent contre les feux du jour ; tu peux, sur la tendre mousse qui borde le ruisseau, exposer ta poitrine aux rayons du couchant. Tu promèneras tes pas parmi les fleurs couvertes d’une fraîche rosée ; ce bois t’offrira une nourriture délicate et abondante, ce ruisseau pur apaisera ta soif… Ô mon ami ! le vrai bonheur est dans la modération, et la modération trouve partout ce qu’il lui faut. — Ô sage ! s’écria l’aigle en retombant sur lui-même avec une douleur plus sombre ; ô sagesse ! tu parles bien comme une colombe ! »
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LA NOBLE FEMME D’AZAN-AGA

Complainte imitée du morlaque.


Qu’aperçoit-on de blanc, là-bas, dans la verte forêt ?… de la neige ou des cygnes ? Si c’était de la neige, elle serait fondue ; des cygnes, ils s’envoleraient. Ce n’est pas de la neige, ce ne sont pas des cygnes, c’est l’éclat des tentes d’Azan-Aga. C’est là qu’il est couché, souffrant de ses blessures ; sa mère et sa sœur sont venues le visiter ; une excessive timidité relient sa femme de se montrer à lui.

Mais ses blessures vont beaucoup mieux, et il envoie dire ceci à son épouse fidèle : « Ne m’attends plus à ma cour, tu ne m’y verras plus, ni parmi les miens. »

Lorsque l’épouse eut reçu ces dures paroles, elle resta interdite et profondément affligée : voilà qu’elle entendit les pas d’un cheval devant la porte ; elle crut que c’était son époux Azan qui venait, et monta dans sa tour pour s’en précipiter à sa vue. Mais ses deux filles s’élancèrent effrayées sur ses pas en versant des larmes amères : « Ce n’est point le cheval de notre père Azan, c’est ton frère Pintorovitch qui vient. »

Et l’épouse d’Azan court au-devant de son frère, l’entoure de ses bras en gémissant : « Vois la honte, mon frère, où ta sœur est réduite… Il m’a abandonnée !… la mère de cinq enfants ! »
Le frère se tait : il tire de sa poche la lettre de séparation, enveloppée de soie rouge, qui renvoie l’épouse à sa mère, et la laisse libre de se donner à un autre.

L’épouse, après avoir connu ce triste message, baise au front ses deux fils, ses deux filles aux joues ; mais, hélas ! au moment de quitter son dernier enfant encore à la mamelle, sa douleur redouble et elle ne peut faire un pas.

Le frère, impatient, l’enlève, la met en croupe sur son cheval, et se hâte, avec cette femme éplorée, vers la demeure de ses pères.

Peu de temps s’était écoulé, pas encore sept jours, mais c’était bien assez, que déjà plusieurs nobles s’étaient présentés pour consoler notre veuve et la demander en mariage.

Et même le puissant cadi d’Imoski ; et la femme fit en pleurant cette prière à son frère : « Je t’en conjure par ta vie, ne me donne pas à un autre époux, de peur qu’ensuite la vue de mes pauvres enfants ne me brise le cœur. »

Le frère ne s’émut point de ces paroles, décidé à la donner au cadi d’Imoski ; mais la vertueuse femme le supplia enfin pour toute grâce d’envoyer au cadi un billet qui contenait ces mots : « La jeune veuve te salue amicalement, et, par la présente lettre, te supplie avec respect que, lorsque tu viendras accompagné de tes esclaves, tu lui apportes un long voile, afin qu’elle s’en enveloppe en passant devant la maison d’Azan, et qu’elle ne puisse pas y voir ses enfants chéris. »

À peine le cadi eut-il lu cet écrit, qu’il assembla tous ses esclaves, et se prépara à aller au-devant de la veuve avec le voile qu’elle demandait.

Il arriva heureusement à la demeure de la princesse, elle en ressortit heureusement avec lui. Mais, lorsqu’elle passa devant la maison d’Azan, les enfants reconnurent leur mère, et l’appelèrent ainsi : « Reviens, reviens dans ta maison ! viens manger le pain du soir avec tes enfants ! » L’épouse d’Azan fut tout émue de ces paroles, elle se tourna vers le prince : « Permets que les esclaves et les chevaux s’arrêtent devant cette porte chérie, afin que je fasse encore quelques dons à mes petits enfants. »

Et ils s’arrêtèrent devant cette porte chérie ; et elle fit des dons à ses pauvres enfants ; elle donna aux garçons des bottines brodées en or, aux filles de riches habits, et au plus petit, qui s’agitait dans son berceau, une robe qu’il mettrait quand il serait plus grand.

Azan-Aga était caché et voyait tout cela, et rappela ses enfants d’une voix émue : « Revenez à moi, mes pauvres petits ! le cœur de votre mère est glacé, il s’est tout à fait fermé et ne sait plus compatir à nos peines. »

L’épouse d’Azan entendit cela, elle se précipita à terre toute blême, et la vie abandonna son cœur déchiré, lorsqu’elle vit ses enfants fuir devant elle.
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MA DÉESSE


Laquelle doit-on désirer le plus entre toutes les filles du ciel ? Je laisse à chacun son opinion ; mais je préférerai, moi, cette fille chérie de Dieu, éternellement mobile et toujours nouvelle, l’Imagination.

Car il l’a douée de tous les caprices joyeux qu’il s’était réservés à lui seul, et la folle déesse fait aussi ses délices.

Soit qu’elle aille, couronnée de roses, un sceptre de lis à la main, errer dans les plaines fleuries, commander aux papillons, et, comme l’abeille, s’abreuver de rosée dans le calice des fleurs ;

Soit qu’elle aille, tout échevelée et le regard sombre, s’agiter dans les vents à l’entour des rochers, puis se montrer aux hommes teinte des couleurs du matin et du soir, changeante comme les regards de la lune ;

Remercions tous notre père du ciel, qui nous donna pour compagne, à nous pauvres humains, cette belle, cette impérissable amie !

Car il l’a unie à nous seuls par des nœuds divins, et lui a ordonné d’être notre épouse fidèle dans la joie comme dans la peine, et de ne nous quitter jamais.

Toutes les autres misérables espèces qui habitent cette terre vivante et féconde errent au hasard, cherchant leur nourriture au travers des plaisirs grossiers et des douleurs amères d’une existence bornée, et courbée sans cesse sous le joug du besoin.

Mais, nous, il nous a accordé sa fille bien-aimée ; réjouissons-nous ! et traitons-la comme une maîtresse chérie ; qu’elle occupe la place de la dame de la maison.

Et que la sagesse, cette vieille marâtre, se garde bien de l’offenser.

Je connais sa sœur aussi : moins jeune, plus posée, elle est ma paisible amie. Oh ! puisse-t-elle ne jamais me quitter avant que ma vie s’éteigne, celle qui fit si longtemps mon bonheur et ma consolation : l’Espérance !
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