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Citations sur La presqu'île (25)

Mais surtout me plaisait ce chemin perdu quand, des jours entiers parfois, il s'engageait dans les forêts. Le pavé depuis longtemps avait disparu ici sous un humus de feuilles jaunies, de terreau noir et fin où le pied s'enfonçait sans aucun bruit. Le pas des chevaux sous les voûtes vertes s'étouffait aussi soudainement qu'on passait du soleil à l'ombre ; nous nous glissions en file indienne dans le brusque silence, sous la pluie fraîche et lente des sous-bois mouillés. Cette voie forestière perdue, sous son gazon fin parfois rougi de fraises, avec ses passées de bêtes, ses flaques d'eau noire, son odeur de mousse humide et de champignons frais, paraissait si abandonnée, si entièrement reprise par la sauvagerie des bois qu'on luttait difficilement contre l'impression qu'elle allait d'un instant à l'autre finir là en impasse, que les arbres allaient se refermer sur sa fente étroite, mais la digue de pierre, le mur invisible que le chemin enfonçait sous lui dans le sol, avait contenu obstinément l'assaut de la forêt, et la Route indéfiniment s'enfonçait, amicale et vaguement fée, filtrant à travers le sous-bois sa lumière calme et rassurante d'éclaircie, pas à pas écartant devant nous comme une main le rideau des branches.
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La femme tressaille plus vite que l'homme à ce qu'il passe d'emportant dans certains souffles qui se lèvent sur la terre, mais la ténèbre chaude de son corps lui pèse, et il arrive que par impatience de ce qu'il empêche en elle de tout-à-fait lucide, elle le donne comme on coupe par le chemin le plus court.
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Le vent de la mer était tombé ; le soir baignait le visage et les mains avec la fraîcheur d’une source. « Lueur au couchant, lueur au levant – ici crépuscule, pensa-t-il, et là clair de
lune », et il commença à se redire les vers du vieil Hugo, où passait pour lui la lumière de cette heure indécise du vert bocage.
Le coche qui va d’Avranche à Fougères
Fait claquer son fouet comme un vif éclair
Voici le moment où flottent dans l’air
Tous ces bruits confus que l’ombre exagère.
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La route de loin en loin, désincarnée continuait à nous faire signe, comme ces anges énigmatiques des chemins de la Bible qui, loin devant, du seul doigt levé faisaient signe de les suivre, sans daigner même se retourner. Elle ressemblait aux rivières des pays de sable qui cessent de couler à la saison chaude et se fragmentent en un chapelet de mares, entre lesquelles un filet d'eau gargouille parfois encore entre les cailloux ; depuis des âges lointains le sang avait cessé d'y battre de bout en bout, mais on devinait, à des passages marqués de traces plus fraîches de roues ou de sabots, que le sens une fois perdu et jusqu'à l'idée même du long voyage, le sommeil n'était pas descendu d'un seul coup : de façon discontinue, et sur des parcours de faible longueur, on avait continué à l'emprunter par endroits, comme un laboureur fait cahoter sa charrette sur un bout de voie romaine qui traverse son champ...
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Puis, à mesure qu'on s'enfonçait davantage dans les solitudes confuses, même ces petits craquements humains de chemin creux mouraient, et après le grand vide blanc de la journée, dans le chien et loup du crépuscule, c'étaient les bêtes libres qui prenaient là un dernier relais, car cette éclaircie dans les bois leur semblait familière et commode, surtout à celles qui voyagent et vont loin ; souvent on entendait, derrière le proche tournant, le galop d'une harde sur les pierres, ou bien dans l'éloignement, avec des grognements d'aise, on voyait trotter dans le fil du chemin, d'un long trot de route, un sanglier avec sa laie, et toute la file des marcassins : et alors on avançait le cœur battant un peu dans la lumière plus fine : on eut dit que soudain la Route ensauvagée, crêpue d'herbe, avec ses pavés sombrés dans les orties, les épines noires, les prunelliers, mêlait les temps plutôt qu'elle ne traversait les pays, et que peut-être elle allait déboucher, dans le clair-obscur du hallier qui sentait le poil mouillé et l'herbe fraiche, sur une de ces clairières où les bêtes parlaient aux hommes.
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Cette voie forestière perdue, sous son gazon fin parfois rougi de fraises, avec ses passées de bêtes, ses flaques d'eau noire, son odeur de mousse humide et de champignon frais, si entièrement reprise par la sauvagerie des bois qu'on luttait difficilement contre l'impression qu'elle allait finir là en impasse, que les arbres allaient se refermer sur sa fente étroite, mais la digue de pierre, le mur invisible que le chemin enfonçait sous lui dans le sol, avait contenu obstinément l'assaut de la forêt, et la Route indéfiniment s'enfonçait, amicale et vaguement fée, filtrant à travers le sous-bois sa lumière calme et rassurante d'éclaircie, pas à pas écartant devant nous comme une main le rideau des branches.
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LE ROI COPHETUA (extrait /2)

" La nudité des murs n'était rompue que par un seul tableau, de dimensions assez petites (...). Je dus approcher le flambeau tout près pour le déchiffrer. De la pénombre qui baignait le coin droit, au bas du tableau, je vis alors se dégager peu à peu un personnage en manteau de pourpre, le visage basané, le front ceint d'un diadème barbare, qui fléchissait le genou et inclinait le front dans la posture d'un roi-mage. Devant lui, à gauche, se tenait debout -- très droite, mais la tête base -- une très jeune fille, presque une enfant, les bras nus, les pieds nus, les chevaux dénoués. Le front penché très bas, le visage perdu dans l'ombre, la verticalité hiératique de la silhouette pouvaient faire penser à quelque Vierge d'une Visitation, mais la robe n'était qu'un haillon blanc déchiré et poussiéreux, qui pourtant évoquait vivement et en même temps dérisoirement une robe de noces. "

(Julien GRACQ, "Le Roi Cophetua", in "La Presqu'île", 1970, éd. José Corti : scène d'évocation du fameux tableau d'Edward Burne-Jones, "Le Roi Cophetua et la mendiante vierge",1884)
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... il sembla d'abord que ce fût le silence. Puis le froissement faible des roseaux passa avec une bouffée de vent ; des cris d'enfants montèrent de l'autre bout du pâtis, aussi suraigus que des cris de martinets. Puis des voix d'hommes toutes proches, à l'abri derrière un appentis de charrettes : voix du soir qui parlent pour parler, plus égales et moins hautes, déjà au bord du silence, avec de longs intervalles, comme si à travers elles la trame de la journée se défaisait. Puis le gong lointain d'une casserole heurtée, passant par une porte ouverte — l'épais froissement de roseaux d'une toue invisible, le râclement mou, étouffé, de la proue plate glissant pour l'accostage sur la vase de la berge, et le bruit final de bois heurté de la gaffe reposée sur les planches, pareil au verrou tiré sur la journée finie...
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Simon songea qu'on voyait partout dans les marches de la Bretagne de ces bâtisses rechignées, brûlées sans doute au temps de la Chouannerie, rebâties hautes et larges, mais que des souscriptions trop mesquines avaient dû chatrer au dernier moment de leur clocher : espèces de silos liturgiques, de granges-aux-âmes qui semblaient entreposer au rabais pour ces campagnes terreuses non le pain du ciel, mais plutôt le foin.
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J'ai toujours aimé, depuis mon enfance, sentir autour de moi une maison s'enfoncer toute close dans le crépuscule -- toujours goûté le sentiment trouble des eaux basses, la petite mort qui rôde un moment dans les pièces vides avant qu'on allume les lampes. J'écoutais le cliquetis léger de la verrerie sur la cheminée, le tic-tac léger de la pendule que peu à peu l'obscurité libérait des bruits du jour. Je regardais dans la glace de la cheminée qui me faisait face, se ternir peu à peu, toute seule maintenant dans la pièce, une dernière flaque de jour couleur de tain. La journée oppressante finissait, et ce qui lui succédait n'était pas exactement la nuit : il me semblait plutôt que c'était -- égale et calme comme une petite flamme bougeant au milieu des pièces endormies -- la veillée.
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