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Citations sur Le Rivage des Syrtes (144)

C'était une sorte d'iceberg rocheux, rongé de toutes parts et coupé en grands pans effondrés avivés par les vagues. Le rocher jaillissait à pic de la mer, presque irréel dans l'étincellement de sa cuirasse blanche, léger sur l'horizon comme un voilier sous ses tours de toile, n'eût été la mince lisière gazonnée qui couvrait la plate-forme, et coulait çà et là dans l'étroite coupure zigzagante des ravins. La réflexion neigeuse de ses falaises blanches tantôt l'argentait, tantôt le dissolvait dans la gaze légère du brouillard de beau temps, et nous voguâmes longtemps encore avant de ne plus voir se lever, sur la mer calme, qu'une sorte de donjon ébréché et ébouleux, d'un gris sale, qui portait ses corniches sourcilleuses au-dessus des vagues à une énorme hauteur. Des nuées compactes d'oiseaux de mer, jaillissaient en flèche, puis se rabattant en volutes molles sur la roche, lui faisaient comme la respiration empanachée d'un geyser ; leurs cris pareils à ceux d'une gorge coupée, aiguisant le vent comme un rasoir et se répercutant longuement dans l'écho dur des falaises, rendaient l'île à une solitude malveillante et hargneuse, la muraient plus encore que ses falaises sans accès.

Chapitre VII : L'Île de Vezzano.
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- Tu trouves cela absurde, parce que tu es très jeune, reprit Marino avec une étrange intensité dans la voix. Moi, je suis vieux, et la Ville aussi est très vieille. Il vient un moment où le bonheur - la tranquillité - c'est d'avoir usé autour de soi beaucoup de choses, jusqu'à la corde, à force de s'y être trop frotté - à force d'y avoir trop pensé. C'est cela qu'on nomme l'égoïsme des vieillards, ajouta t'il avec une espèce de sourire trouble : ils sont seulement devenus plus épais de ce que tant de choses autour d'eux se sont amincis. Ils ne s'usent pas - la capitaine hocha la tête d'un ait buté - ce sont les choses autour d'eux qu'ils usent.
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Nous dansons comme un bouchon sur un océan de vagues folles qui à chaque instant nous dépassent.

Chapitre IX : Une croisière.
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Vanessa m'ouvrait de toutes parts sur le monde, — dans ses yeux passait pour moi le reflet trouble des mers lointaines.

Chapitre III : Une conversation.
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Aldobrandi avait maintenant ses coudées franches, régnait un préjugé nouveau, dont il couvrait d'ailleurs ses agissements avec un cynisme consommé : le moindre blâme porté contre le comportement de ses bandes eût passé pour la marque du plus mauvais goût, d'un esprit incurablement "retardataire", condamnation sans appel à un moment où l'opinion à la mode était que maintenant « les temps avaient changé ». Pourquoi ils avaient changé, c'est ce que personne n'eût pu dire au juste, et peut-être fallait-il voir là, plutôt qu'une phrase en l'air, plutôt que le constat précis d'une altération dans l'ordre des choses, la revendication de ce toucher infiniment subtil qui nous lie à l'établissement du vent, à la pesanteur insensiblement accrue de l'air, et en l'absence de toute preuve matérielle nous avertit en effet sans hésitation possible d'un « changement de temps ». Et ce n'était pas seulement cette couleur imperceptiblement plus orageuse — venue assombrir pour chacun son paysage mental comme s'il eût lu l'avenir à travers des verres fumés qui l'enfiévraient — qui paraissait nouvelle : apparemment le rythme même du temps à Orsenna avait changé.

Chapitre XII : Les instances secrètes de la ville.
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Si on regarde par la baie, la lagune est comme une croûte de sel, et on croit voir une mer de la lune. On dirait que la planète s'est refroidie pendant qu'on dormait, qu'on s'est levé au cœur d'une nuit au-delà des âges. On croit voir ce qui sera un jour, […] quand il n'y aura plus de Maremma, plus d'Orsenna, plus même leurs ruines, plus rien que la lagune et le sable, et le vent du désert sous les étoiles. On dirait qu'on a traversé les siècles tout seul, et qu'on respire plus largement, plus solennellement, de ce que se sont éteintes des millions d'haleines pourries.

Chapitre X : L'envoyé.
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Une corne de brume échouée sur un haut fond perçait le brouillard sur deux tons calmes, d'un gros soufflet assoupi. Un coup de vent parfois faisait sur les joncs son frôlement triste, un instant l'eau des lagunes évaporait sa buée sur une glace terne, une peau morte et privée de reflets. Quelque chose s'étouffait derrière ce brouillard de terrain vague, comme une bouche sous un oreiller. La piste soudain redevint route, une tour grise sortit du brouillard épaissi, les lagunes vinrent de toutes part à notre rencontre et lissèrent les berges d'une chaussée à fleur d'eau, quelques fantômes de bâtiments prirent consistance : c'était le bout de notre voyage, nous arrivions à l'Amirauté. La route mouillée miroita faiblement ; aux côtés d'une silhouette qui balançait un fanal pour guider dans le mur de brouillard les évolutions de la voiture, se montrèrent un ciré de matelot, une vieille casquette d'uniforme, et une dure et courte moustache perlée de gouttes : le capitaine Marino, commandant la base des Syrtes.
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Elle était poignante, cette voix qui reprenait l'étrange et funèbre cantique venu du fond des temps, pareil au claquement d'une voile noire sur cette fête de joie ; cette voix d'entrailles qui se posait si naïvement dans la tonalité lugubre de son passé profond. Et je ne pouvais l'écouter sans tressaillement, pour tout ce qu'elle trahissait de sourde panique. Comme un homme en péril de mort à qui le nom de sa mère monte aux lèvres, à l'instant des obscures dangers Orsenna se retranchait dans ses Mères les plus profondes. Pareille au vaisseau dans la bourrasque, qui d'instinct se présente tout debout à la lame, elle réinvestissait dans un cri toute sa longue histoire, se l'incorporait ; confrontée avec le néant, elle assumait d'un seul coup sa haute stature et son intime différence ; et pour la première fois peut-être, roulé dans une terrible véhémence, j'entendais monter de ses profondeurs le timbre nu de ma propre voix.
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Il n'y a jamais eu de nuits, Aldo, où tu as rêvé que la terre tournait soudain pour toi seul ? tournait plus vite, et que dans cette course enragée tu laissais sur place les bêtes aux poumons plus faible ? Ce sont les bêtes qui n'aiment pas l'avenir — mais celui qui sent qu'il est en lui un cœur pour cette vitesse irrespirable, ce qui est crime et perdition à ses yeux et à son instinct, c'est ce qui l'empêche de bondir et rien d'autre. Pour penser que les hommes vivent ensemble parce qu'ils vivent côte à côte, il faut n'avoir jamais regardé à la portée de leur œil. Il y a des villes pour quelques-uns qui sont damnées, par cela seulement qu'elles semblent nées et bâties pour fermer ces lointains qui seuls leur permettraient d'y vivre.

Chapitre X : L'envoyé.
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- Le temps qu'il faisait le jour de ton arrivée ici, tu t'en souviens ?... Moi je m'en souviens. Vieille déformation professionnelle. Une tête familière, je la revois toujours en souvenir collée sur le même fond de ciel où je l'ai aperçue la première fois, et aussi les ombres, les nuages, le vent, la chaleur. Tous les nuages… Je pourrais les dessiner… Toi, je te vois toujours sur fond de brume, avec une auréole. Une vraie auréole - ne ris pas -, le rond de la torche électrique dans le brouillard.
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