Citations sur Les yeux de Milos (107)
Milos et Marine sont maintenant là-haut sur les coursives. Dans la tempête de bleu. Marine respire fort. Le diamant dilaté de la mer à perte de vue.Les bateaux blancs du port.
La multitude aime "la chèvre" de Picasso. Rétive devant les Picasso cubistes ou le charivari de ses défigurations. Mais" la chèvre" bricolée. Bonheur des enfants et des grands-mères. Merveille pour tous. Rhapsodie de morceaux, panier d'osier, ferrailles. Sympathique et ventrue, féconde, plantée de pots de céramique pour figurer les pis gonflés. Farceur, c'est comme ça que les gens aiment Pablo.
Et les voilà, quelques milliers d'années plus tard, réduits en fagots ficelés, pour des hordes de touristes ébahis, intarissables. Ainsi finissent nos grandeurs, dans des vitrines pour des badauds de l'avenir.
Le clair de lune nocturne blanchissait à demi leur chambre plus fraîche, remplie d'effluves de jasmin, dont les grappes se ramifiant jusqu'à leur fenêtre. Ils se sentaient sur le promontoire rocheux de Saint-Cézaire comme à la proue d'un vaisseau tellurique.
Il comprit que l'écriture était finalement toujours destinée à quelqu'un, une absente ou un absent originel.
Cet été 1937 m'obscède d'autant plus que c'est l'été de Guernica. Il avait peint le tableau au printemps, juste après le bombardement de la ville, en pleine guerre civile. La tuerie continuait, son pays était détruit, martyrisé. Et lui, monstrueux comme toujours, loin de s'engager dans les Brigades internationales, passait un été de plaisir à Mougins, Antibes, Juan-les-pins.
La végétation parfumée foisonnait autour du sentier minuscule. dans une brèche, en contrebas, ils virent la rivière étincelante et verte. Une rivière, c'est plus joli que la mer, pensait Milos. C'est un corps. La mer sans limites vous égare, avec sa promesse de tempête et de naufrage. Il n'y a pas d'ouragan de rivière. La rivière est un corps de fille.
- tu crois qu’un jour nos descendants nous accuseront de crime contre l’humanité ? Interrogea Marine
- C’est possible. Ou bien le monde aura tellement empiré que la lutte pour la vie aura eu raison de toutes les solidarités. Un monde en guerre, chacun retranché dans son pays, derrière sa muraille, ses barbelés, ses mitrailleuses, haïssant les autres. Quelque chose comme une terrifiante régression. La civilisation morte.
Ils se promènent dans la campagne, avec le lit de ses rivières taries, décorées de caillasses blanchies, ses élytres de coléoptères, ses ailes de papillons torrides, ses racines durcies de soleil, ses mues de serpents. Ils boivent à la fontaine de calcaire,. Respirent l’effluve du miel d’abeille, celui des guêpes sur les lavandes, devinent l’oeil vibrant des vipères épiant le petit cœur furtif des mulots. Ils s’allongent sous un arbre. Dans l’ombre bleutée. Toutes les cigales montent d’un cran, trompettent en longs spasmes orgiaques. Verdi strident. Splendeur des feuilles dans les flammes.
Il faut une seule passion pour unifier la vie, lui conférer un axe et l’aveugler sur le reste.