Pendant plus de six décennies, soit depuis sa sortie de l’École des beaux-arts de Montréal au début des années 1930 jusqu’à la fin des années 1980, l’art de Jean Paul Lemieux traduit une vision hautement personnelle du Québec. Reflétant les genres pratiqués par le peintre – paysage, portrait, scènes narratives et religieuses –, les tableaux ici retenus témoignent de son développement stylistique. Sa réflexion le mène vers une épuration formelle, caractéristique de sa période la plus connue qu’on se plaît aujourd’hui à nommer la période classique (1956-1970). Ce parcours permet de comprendre comment Lemieux ne cesse de renouveler la peinture figurative de son temps.
Jean Paul Lemieux meurt à Québec en 1990, deux ans avant la rétrospective dont l’honore le Musée national des beaux-arts du Québec. La commissaire de l’exposition, l’historienne de l’art Marie Carani, publie un ouvrage colossal qui fera date, situant le travail du peintre non seulement dans l’histoire de l’art du Québec et du Canada, mais aussi dans la grande aventure de la figuration au vingtième siècle.
Peintre, illustrateur, critique et enseignant, Jean Paul Lemieux (1904-1990) est une figure centrale de la modernité canadienne. Né à Québec, Lemieux choisit de peindre et d’enseigner dans sa ville natale, d’où son art et sa pensée rayonneront pendant plus d’un demi-siècle. Lemieux propose un monde intérieur fait de solitude et de souvenirs, qui communique une vision personnelle et singulière du Québec.
En tant que critique, Lemieux sera un des premiers à définir la notion d’« abstraction » comme étant l’expression d’une société en déclin. Une telle perspective attise la rivalité entre les peintres figuratifs de Québec et les abstractionnistes montréalais. En dépit de ces tensions, Lemieux ne cessera de défendre les droits de tous les artistes canadiens-français, lesquels se sentaient souvent coupés du dialogue national sur les arts.
Chez Jean Paul Lemieux, le vocabulaire technique s’arrime parfaitement au contenu émotif de l’image. Pour incarner la détresse et la solitude de l’enfant orpheline, Lemieux la place au centre du tableau, légèrement décalée vers la gauche, devant un champ délimité par l’église et quelques bâtiments d’un village isolé. La tête, posée sur un petit cou cylindrique, émerge de l’enveloppe noire qui lui sert de vêtement. Le peintre élimine toute surcharge de traits dans le visage. Subsistent les yeux, le nez, la bouche. Le rendu élémentaire touche aussi la coiffure et le vêtement : une boucle blanche posée sur la pauvre chevelure sombre constitue l’unique ornement de la composition.
En septembre 1926, Lemieux s’inscrit à l’École des beaux-arts de Montréal dans le but de devenir un peintre professionnel. Le dessin, « clef unique et indispensable des Beaux-Arts5 » est à la base du programme d’enseignement. Les laborieuses séances de copies d’antiques et d’ornements n’affaibliront jamais l’importance que Lemieux accorde au dessin, lui qui se plaira à répéter la célèbre formule de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) : « Je mettrai sur la porte de mon académie : Ici on apprend à dessiner, et je ferai des peintres. »
Exposition MNBAQ | Morrice et Lyman en compagnie de Matisse: Michèle Grandbois