Plus tard, quand il se sera lié d’amitié avec les poètes, Picasso découvrira que, par rapport à l’imagination créatrice, les modes d’expressions visuelles et verbales sont identiques. Alors, il transportera dans sa pratique de peintre des éléments de la technique poétique : « polysémie » des formes, métaphore plastique et métaphore chromatique, citations, rimes, « jeux de mots », paradoxes, ainsi que d’autres tropes, ce qui lui permettra de rendre visuel le monde pensé. La poétique visuelle de Picasso atteindra toute sa plénitude et sa liberté d’expression vers le milieu des années 1930 dans ses nus de femmes, portraits et intérieurs, peints avec des couleurs « chantantes » et « aromatiques » ; ainsi que, et surtout, dans ses dessins faits à l’encre de Chine où cette poétique semble être portée sur le papier comme par des coups de vent.
Dans le présent ouvrage sont reproduites toutes les oeuvres de Picasso se trouvant dans les musées de Russie ; elles comprennent les premières périodes de son activité que l’on classifie (plutôt selon les principes stylistiques que thématiques) comme période Steinlen (ou Lautrec), période du vitrail, période bleue, celle des Saltimbanques, époque rose, périodes classique, nègre, protocubiste, cubiste (cubisme analytique et cubisme synthétique)… on pourrait en continuer et détailler la liste.
Lorsque, bien des années plus tard, on demanda à Picasso ce qu’il pensait de ces oeuvres de jeunesse, il en parla, selon Kahnweiler, beaucoup plus favorablement que de ses tableaux peints à Barcelone. Les Ruiz-Picasso s’installèrent dans cette ville en automne 1895, et Pablo y fréquenta aussitôt la classe de peinture de l’École des Beaux-arts de La Lonja.
Picasso éprouvait un impérieux besoin de poésie, alors que lui-même possédait un charme attractif pour les poètes. Lors de sa première rencontre avec Picasso, Apollinaire fut frappé par la façon fine et judicieuse avec laquelle le jeune Espagnol saisissait, et cela par-delà la « barrière lexicale », les qualités des poésies récitées.
Nous ne sommes pas de simples exécutants ; notre travail, nous le vivons.