Un monde idéal

Quand elle cache sa beauté qu’il vénère sous son voile, elle exprime sa liberté et si elle décide qu’elle n’a plus besoin de démontrer quoi que ce soit, c’est une liberté encore plus grande. Qu’elle retire progressivement son vêtement de croyante. Elle verra qu’elle n’a plus besoin d’étaler sa foi orgueilleusement aux yeux du monde. Ce sera un acte d’humilité.

C’est ce qui arrive aux mécréants qui veulent barrer la voie aux justes.
La puissance de Dieu est absolue. Et sa colère est terrible.
C’est pour ça. Une fois sur la bonne voie, il ne faut plus en dévier car la punition est à la hauteur de la transgression. Le diable et ses démons sont en embuscade et leur promesse, c’est mille morts pour l’éternité.

Ce qu’elle préférait, c’était la confession suivie de pénitence. Après avoir ânonné ses prières, elle se sentait pure, une bulle légère et transparente. Pendant quelques jours, elle portait le halo de la sainteté en couronne.
À Achfaï, elle dit tout, ou presque, comme à un confesseur. Parce qu’il ne la juge jamais.
Il lui a dit : « Au nom de quoi ou de qui je te jugerais ? J’ai aussi mes faiblesses, mes inquiétudes et mes doutes. »
Il lui a dit qu’elle avait toujours entendu l’appel de Dieu mais qu’elle s’était trompée de porte.
Il dit que s’il l’a guidée sur le bon chemin, sa foi à lui est sans cesse raffermie par l’exigence et la sincérité dont elle fait preuve.

Il a la manie de garder toutes les clés qu’il trouve sous prétexte que ça peut toujours servir.

Évidemment, il a fallu prendre les armes pour faire appliquer la parole du Prophète, sa vraie parole qui était couverte par le vacarme des mécréants. Seul le bruit des armes pouvait à son tour recouvrir le vacarme des mécréants. Parce que le but ultime est pacifique. Il s’agit de parvenir, un jour, à ce que le bruit des armes se taise quand la parole du Prophète sera chantée, plus forte que les armes et reconnue par tous. Quand ce temps sera venu, on n’entendra plus qu’elle.

Amoureuse ? À condition de considérer que l’amour est perte de soi et soumission totale à l’autre. Ça m’étonnerait que ce soit votre notion de l’amour. La mienne est aux antipodes.

Appartenir à la haute société marocaine la flatte, elle a toujours eu des domestiques, une vie généralement facile. Quand on va en vacances au Maroc, elle redevient une enfant gâtée et capricieuse. En France, elle parle haut et fort féminisme, autonomie et laïcité, mais elle n’a jamais travaillé de sa vie et mon métier n’est pas assez valorisant socialement pour la rassurer. Une femme écartelée n’est pas une mère rassurante. Elle est à la fois fière et jalouse de sa fille pour laquelle elle rêvait avant tout d’un beau mariage.

Son haleine est chargée d’alcool. On dirait bien un fond de whisky dans son verre, mais il parle distinctement. Il s’inquiète de la confrontation, mais son vrai propos apparaît dès que l’avocate accepte de s’asseoir à sa table et qu’il passe, sans préalable, en mode confession.
Son désaccord avec sa femme est chaque jour plus flagrant. Il se demande s’ils ne font pas fausse route avec leur fille, s’ils ne sont pas incroyablement naïfs et leur fille incroyablement roublarde.

Si on prend, par exemple, l’égalité et la fraternité. Ça, pour en parler, on en parle mais ici on en est loin. Alors que la charia, ça ne se discute pas, il n’y a pas à être pour ou contre. Il n’y a pas à discuter. C’est comme ça. Les religieux décident, inspirés par la parole divine, et eux ont les moyens d’imposer l’égalité et la fraternité. Tout le monde est obligé de rester dans un rapport horizontal et non plus vertical. Tout le monde est obligé de tenir compte de son voisin. Pas le choix.

Depuis qu’Asghar a choisi d’être pété de thunes plutôt que de regrets, et elle de ne jamais lui en faire le reproche, l’argent est un sujet tabou. Chacun son compte, chacun son porte-monnaie, chacun son train de vie.