Un monde idéal

Catherine sait d’avance ce que c’est, le bracelet menotte dont elle rêvait, dont elle aimait rêver plus que le posséder, se dit-elle en regardant le bijou simplissime et immédiatement reconnaissable dans un certain monde. Une fois verrouillé, il ne peut plus s’enlever sans la clé. Sacré symbole.

Le militant pur et dur sait culpabiliser ses proches pour toute infraction à une pratique anticonsumériste, sobre et disciplinée. En revanche, elle le remercie de lui avoir fait découvrir un bistrot merveilleusement exotique qui pue l’évier bouché et le désinfectant bon marché et à la clientèle exclusivement masculine, ceci pour lui rappeler qu’elle n’est pas du genre à se laisser sadiser par un idéologue masochiste.

L’égalité règne et toutes les règles semblent avoir été inventées pour toi. Les plus faibles sont immédiatement secourus, il n’y a pas de pauvres, parce que tout le monde est pris en charge et que les soins sont gratuits. Il y a toujours quelqu’un pour rendre visite aux malades ou aux blessés sans famille. Tu vois, on peut dire qu’ici, tu n’as pas le droit de ne pas être bon. Tu y seras tellement à ta place.

Il sait de quoi il parle, il est dans un pays en guerre. Et il lui a souvent expliqué qu’elle aussi était dans un pays en guerre, une guerre larvée, cachée, mais mortelle.
Slimane n’aurait pas dû demander de l’aide à des kouffar, il n’aurait pas dû dire qu’il était chimiste, Dieu sait ce qu’il a pu dire encore.

À chacun sa petite niche de bonheur, ce n’est jamais la même pour tout le monde. Fatima n’a pas eu la vie facile et elle a un cœur immense. Tu peux compter sur sa loyauté. Sa foi est innocente comme son cœur. Elle doit être un exemple.

« Tu m’kiffes ? Moi, j’te super-kiffe. Tu m’aimeras toujours ? J’veux pas que tu regardes une autre meuf, sinon, j’te tue ou j’me tue. Ou on s’tue. » Mais on s’tait pas ! Jamais, c’est ça le problème. Et c’est toujours conclu par MDR.

Les films qu’il a partagés avec elle ont fait son éducation sur la violence abjecte du pouvoir syrien, sur la corruption des dirigeants téléguidés par les Américains, sur les souffrances du peuple, les enfants tués, les femmes violées. Et elle a vu la torture au Maroc, les morts, la répression décrite comme la plus féroce du monde arabe et l’hypocrisie de celui qui se dit le commandeur des croyants, qui décrète que les terroristes qui agissent au nom de l’islam ne sont pas des musulmans. Alors qu’au contraire ils se battent pour la survie des vrais croyants. Et non seulement la France laisse faire, mais elle agit aussi en complice. Dès qu’elle y pense, elle part en vrille.

Mon client se rêve caïd, alors il en garde les oripeaux. Mais regardez-le, vous l’avez entendu ? Les quatre idées qu’il a dans la tête ne formeront jamais une proposition cohérente. Il a besoin d’un cadre, d’une discipline et d’un environnement qui pense à sa place. Ce n’est certes pas ce que la prison peut lui offrir.

Après tout, vous subventionnez ses études, pas son entrée en religion. En plus, moi je l’ai rencontré, son Slimane. Ce n’est pas un cadeau, je n’ai pas eu l’occasion de goûter son sens de l’humour, mais il ment, il est capable de violence, il est parano. Il faut peut-être la protéger aussi de lui.
Ils montent au créneau comme un seul homme, avec véhémence. Le seul moyen de la protéger, c’est de rester proche d’elle. Pas de la contraindre, surtout pas. Ils la connaissent bien. Ce n’est pas dans son tempérament d’être sous emprise. Sa nature est beaucoup plus indépendante.

On dirait une femme des années quarante. Elle a les lèvres peintes d’un rouge vif et c’est tout. Elle porte une sorte de blouse de peintre ceinturée, manches retroussées sur un pull à col roulé, par-dessus une jupe écossaise, des chaussettes roulées et des mocassins.