Tout à coup, avec un grand soupir, il s’adossa contre un mur et se contraignit à demeurer immobile, à perdre irréparablement les deux ou trois minutes qui le sépareraient pour toujours de ce bonheur convoité avec tant de rage. Ce ne fut pas sans un plaisir amer qu’il assura ainsi sa propre défaite. Il supputa comme autant de voluptés les privations qu’il infligeait par avance à son corps, car il finissait par le prendre en haine, lui et les exigences de son ingouvernable appétit.
Les livres l’ennuyaient ce jour-là, mais l’idée de rentrer chez lui le remplissait d’un sentiment qui allait jusqu’à l’horreur. Pourtant rien de pénible ne l’attendait dans ces deux pièces ; rien du tout ne l’y attendait, et c’était cela qu’il ne pouvait souffrir. Il savait trop bien que ce qu’il allait trouver dans sa chambre, c’était lui-même, et à certaines heures, cette pensée ne lui paraissait pas supportable.
[…] tout à coup il fut repris par un monde qui lui parut aussi étroit qu’une geôle : les parents, la famille, la situation qu’il fallait se faire. Comment se pouvait-il que ces choses parussent moins vraies parce qu’il venait de regarder dans le ciel le Baudrier d’Orion, et Vénus, et la Grande Ourse ? Entre ces constellations et son sort ici-bas, quel rapport ?
L’orgueil de la vie, le jeune homme ne pouvait guère lire autre chose dans la façade de cet hôtel où circulait encore une rumeur d’histoire. Cette nuit, pourtant, il promena les yeux sur les persiennes closes et leur sut gré d’être là comme d’habitude, de lui offrir le spectacle d’un ennui prospère et de quelque chose d’indéfinissable qui ressemblait à un désespoir de bon ton. Cette lourdeur et cette tristesse mêmes que Fabien redoutait, et dont il cherchait par tous les moyens à studieusement abolir en lui la présence, il les accueillait maintenant, il remerciait le vaste et pesant hôtel d’être aussi stable et aussi solide, alors qu’en lui-même l’inquiétude faisait bruire le sang à ses tempes.