Le roman débute en 1896, par l'arrivée d'un jeune apprenti architecte, Lajos Ligeti, à Budapest. Sa famille a vécu dans cette ville, son oncle y demeure toujours, mais ses parents ont préféré rejoindre Vienne, la capitale impériale. Lajos ne voit pas son destin dans la pharmacie familiale, il préfère saisir l'opportunité d'intégrer le cabinet d'un grand architecte, Ödön Lechner. Il faut dire qu'en cette fin de siècle, Budapest bâtit frénétiquement, des opportunités apparaissent, une nouvelle esthétique émerge. Mais la concurrence est rude dans le milieu de l'architecture, le talent ne suffit pas forcément, d'énormes sommes sont en jeu, et tous les coups sont permis pour faire carrière. Lajos va connaître toutes les étapes professionnelles dans ce milieu, les débuts besogneux d'un débutant, en passant par les premiers succès, des coups de chances, une rapide ascension, mais aussi des difficultés, des coups tordus. En parallèle, il va rencontrer l'amour, se marier, fonder une famille, tout cela dans l'Empire austro-hongrois finissant, dans lequel on sent monter les nationalismes, où les Juifs comme Lajos sont en butte à diverses formes de discriminations voire d'agressions.
Le roman dresse un tableau somptueux et passionnant des milieux de l'architecture et de la ville de Budapest en train de se bâtir. J'ai pris grand plaisir, en parallèle à ma lecture, d'aller voir certains bâtiments dont il est question dans le roman sur Internet, les découvrir, tout en suivant les péripéties de leur construction. Cet étrange métier d'architecte, en partie artiste, en partie entrepreneur, en partie commercial, est à mon sens très bien rendu, dans ses contradictions, ses difficultés, ses beautés. le tableau d'une époque de transitions, de changements rapides, un monde bouillonnant, plein de passions, de luttes, où tout semble possible, est parfaitement rendu. L'auteur suggère également que tout cela ne va pas durer, qu'une époque moins exaltante et plus dangereuse se profile. Après quelques pages de flottement, sans doute nécessaires pour m'y habituer, j'ai aussi été séduite par l'écriture de
Paul Greveillac, très subtile et élégante, un peu au second degré, prenant une sorte de distance avec le récit, forcément (re) construit, imaginé, de cette épopée moderne du surgissement des bâtiments.
J'avoue avoir été un peu moins intéressée par les personnages en tant que tels, dont j'ai eu la sensation qu'ils étaient surtout là pour illustrer les évolutions de la ville et de la société, montrer comment se passaient les choses dans les milieux de l'architecture, quels étaient les questionnements et enjeux de la modernité en marche. Moins gênant pour les personnages secondaires, dont certains étaient d'ailleurs très bien caractérisés, c'est surtout aux personnages de Lajos, et de Katarzyna, sa femme, que j'ai eu le plus de mal à m'attacher. J'avais parfois de la difficulté à percevoir leur évolution et leur motivations profondes, et cela a, par moments, mis une certaine distance entre moi et ma lecture.
C'était ma première lecture de
Paul Greveillac, et je remercie Babelio et les Êditions Gallimard de m'avoir permis cette découverte à l'occasion de l'opération Masse Critique. J'ai maintenant très envie de lire le roman qu'il a consacré à Alfred Schnittke.