Tu sais, durant les grandes guerres, plusieurs conscrits ont refusé de rallier l'armée, lance-t-il. Certains se sont mariés en vitesse, d'autres, comme mon père, ont préféré se cacher dans les bois pour se faire oublier. Toutefois le recours aux forêts n'était pas un choix facile. (...)
Au fond de leur refuge, ces jeunes hommes s'occupaient comme ils pouvaient et regardaient longuement la forêt se refermer sur eux. (...) malgré cela, ils savaient qu'ils ne pouvaient pas se passer les uns des autres. Pour survivre, ils devraient affronter ensemble le froid, la faim et l'ennui. Ils avaient très vite compris que la tâche la plus importante était sans contredit celle de raconter des histoires. (...) Avec un type comme toi, relance-t-il, ça n'aurait pas fonctionné. On aurait été découverts ou on se serait entretués. Personne ne peut survivre avec quelqu'un qui refuse de parler. (p. 45-46)
Dès qu'on aura pris notre envol au-dessus de ce lieu clos et sans vie, tu t'émerveilleras de la profondeur de l'horizon. Déjà, on sera ailleurs. Déjà, on sera sauvés
1. Le labyrinthe
Regarde. C’est un lieu plus vaste que toute vie humaine. Celui qui tente de fuir est condamné à revenir sur ses pas. Celui qui pense avancer en ligne droite trace de grands cercles concentriques. Ici, tout échappe à l’emprise des mains et du regard. Ici, l’oubli du monde extérieur est plus fort que toute mémoire. Regarde encore. Ce labyrinthe est sans issue. Il s’étend partout où se posent nos yeux. Regarde mieux. Aucun monstre, aucune bête affamée ne hante ces dédales. Mais on est pris au piège. Soit on attend que les jours et les nuits aient raison de nous. Soit on se fabrique des ailes et on s’évade par les airs.
Les courants d'air ont les mains longues et ils passent près de moi comme des ombres qui souhaitent me rejoindre sous les couvertures.
Des cristaux de neige longent la silhouette fuselée des arbres. Ils tombent en ligne droite dans un mouvement continu, léger et pesant à la fois. La neige grimpe jusqu'au bas de ma fenêtre et se presse contre la vitre. On croirait que le niveau d'eau monte dans une pièce sans issue.
En vidant mon bol, je remarque que la lumière dans le ciel est devenue plus éclatante. On dirait que les rues du village sont éclairées. On entend aussi les clochers de l’église. Ça doit être pour célébrer la soirée dansante. J’aurais tellement voulu y être et croire, pendant quelques heures, à un retour à la normale.
La neige est lourde sur nos petites vies.
L'imagination, c'est une forme de courage.
A ses pieds, la neige fond, l’eau dégoutte et s’étend devant lui. On dirait qu’il est assis sur un rocher et qu’il regarde au loin, vers notre île déserte.
Icare
Là-haut, tout sera plus clair, tout sera plus beau et enfin je pourrai m'abandonner à la lumière. Enfin, je serai délivré de la sagesse, de la mesure et du devoir. Pendant ce temps, toi, mon fils, tu battras des ailes. Et plus tard, bien plus tard, tu jetteras un coup d'oeil derrière toi. Ton coeur se serrera sûrement dans ta poitrine. Tu auras beau regarder partout, tu ne me trouveras pas. (p. 205)