Lorsque refleuriront les pêchers

Quel imbécile ! Rester assis en face d’elle, la désirer comme un fou furieux et ne pas pouvoir la posséder parce que, dès qu’il s’agissait de cette femme, il lui venait l’envie grotesque de se conduire convenablement… c’était un véritable calvaire.
« Il n’y en a plus pour longtemps », se consola-t-il en remontant sur le siège de la carriole. Encore quelques jours de patience, et il quitterait définitivement cette région. Il se rendrait d’abord à La Nouvelle-Orléans, dans le quartier irlandais. Il irait au Shaugnessey’s et affronterait tous les nouveaux venus qui voulaient boxer. Avec ses gains, il se paierait du whisky, des cigares et des femmes. Il ne penserait plus à Olivia Maitland. Il serait redevenu lui-même.

S’il avait deux sous de jugeote, il s’en irait maintenant, sans perdre une minute, avant que ses sens le mènent par le bout du nez.
Il se figea, contempla son marteau. Il ne pouvait pas partir comme ça. Il avait fait une promesse et la tiendrait coûte que coûte, quitte à en mourir – ce qui ne manquerait pas de lui arriver si elle se montrait encore en chemise de nuit.

En Irlande, religion et politique sont étroitement imbriquées. Ce n’est qu’une question de pouvoir. Les cardinaux catholiques veulent garder le contrôle de nos âmes, et le gouvernement veut tenir le pays sous sa coupe. Conor Branigan et ses amis étaient des agitateurs, des républicains qui les défiaient et leur mettaient des bâtons dans les roues. Résultat ? L’excommunication et la prison pour moi, histoire de décourager les mécontents qui penseraient à se révolter.

Le révérend Allen n’était pas de ceux qui inculquaient à leurs ouailles la crainte de Dieu. Il se contentait de les endormir.

Dans ses rêves de jeune fille, elle se voyait toujours dans la robe qu’avait revêtue sa mère le jour de son mariage. La veille, elle l’avait sortie du coffre en bois de cèdre et des couches de papier de soie qui la protégeaient. Elle avait alors su qu’elle ne pourrait pas la porter. Le blanc virginal ne ferait que souligner l’hypocrisie de la situation.

Peu importait. Il l’épousait pour qu’on ne lui enlève pas les filles, et elle s’efforcerait d’être pour lui la meilleure des épouses, aussi longtemps que cela durerait. Parce qu’elle lui était infiniment reconnaissante, et qu’elle l’aimait.

Il ne lui avait pas adressé la parole de toute la matinée, un silence terriblement éloquent. Il se sentait piégé, forcé d’endosser le rôle de mari et de père. Il n’avait pas besoin de l’accabler de reproches : elle le faisait très bien toute seule.
Les larmes qu’elle avait retenues durant une interminable nuit d’insomnie menaçaient de déborder. Elle ferma les yeux, crispant les paupières. Si elle se mettait à pleurer, elle ne s’arrêterait plus.

Il aurait voulu casser quelque chose, le réduire en poudre, sauter à la gorge du destin qui l’avait amené ici. Mais les larmes d’Olivia eurent raison de lui : elles étaient infiniment plus redoutables que l’adversaire le plus coriace.

Je suis un boxeur, c’est tout ce que je sais faire ! s’emporta-t-il. Je vous ai dit que je ne me laisserais pas enchaîner à un bout de terre ou à une femme. J’ai connu la prison, je n’y retournerai pas. Je veux être libre, nom d’un chien ! Libre ! Vous comprenez ?

Il paraît que vous êtes un vagabond qui gagne son pain en boxant, ce qui, naturellement, rend le comportement d’Olivia doublement répréhensible. Si vous étiez de Callersville, ce serait également scandaleux, mais peut-être pas aussi choquant. Je crains que la réputation d’Olivia ne soit gravement compromise.