Lorsque refleuriront les pêchers

Après tout, il avait été honnête avec elle. Il n’avait pas triché. Elle était venue de son plein gré le rejoindre dans cette chambre. Il lui avait donné ce qu’elle voulait parce que lui aussi en avait envie. Cela n’allait pas plus loin. Il s’était engagé à l’aider à récolter ses pêches, il avait rempli sa promesse. Plus rien ne le retenait.

Il s’était promis de ne jamais s’attacher à quiconque. Il ne supportait pas l’intimité, cela l’étouffait. Pourtant… quand il s’était réveillé, qu’il l’avait sentie blottie contre lui, cela ne l’avait pas gêné. Au contraire, il en avait été heureux.

Il avait dormi avec elle.
Il en était sidéré. Jamais il ne passait la nuit avec ses conquêtes. Il leur faisait l’amour, puis il les quittait et retournait à sa solitude. Pour que ses cauchemars ne perturbent pas leur sommeil, pour ne pas dévoiler ses faiblesses et ses secrets. Pour cacher sa honte.

Une femme déchue… Voilà ce qu’elle était à présent, et elle n’en éprouvait ni remords ni honte. Au contraire, en elle s’épanouissait une joie inouïe qui la rendait fabuleusement vivante, vibrante et belle. Elle aimait cet homme. Les paupières closes, elle appuya sa joue contre le cœur de Conor, pour l’écouter battre et se persuader – l’espace d’une nuit – qu’elle était aimée en retour.

Il s’empara de sa bouche avant qu’elle ait pu répondre. C’était le point de non-retour. Mus par une volonté propre, ses doigts se glissèrent dans sa chevelure, ôtèrent les peignes qui la maintenaient et qui tombèrent sur le sol. Rompant leur baiser, il la vit ouvrir les paupières. Jamais elle n’avait été plus jolie qu’en cet instant, avec ses cheveux cascadant en vagues soyeuses sur ses épaules, ses yeux voilés où il lisait un étonnement qui l’enchanta.

Elle voulait du romantisme. Pas du sexe. Il brûlait de la prendre dans ses bras, il en rêvait depuis plus d’un mois. Mais à présent qu’elle était prête à s’abandonner, qu’il n’avait plus qu’à pencher la tête et l’embrasser, il était incapable d’ébaucher un geste. Ce serait si simple. Et beaucoup trop compliqué. Il la ferait souffrir, c’était inévitable. Pas question d’avoir ce poids-là sur la conscience. Il avait trop d’affection et de respect pour elle. Elle avait besoin d’un homme stable, pas d’un vagabond. Un homme qui n’aurait pas à lutter contre ses démons, qui serait heureux de cultiver la terre, de fonder une famille et d’assister à l’office du dimanche. Elle méritait un homme qui l’épouserait et la chérirait, qui serait un père pour ses filles. Il n’était pas cet homme-là. — Retournez dans votre chambre, Olivia, murmura-t-il. Je ne suis pas quelqu’un de bien. — Je suis persuadée du contraire. — Alors vous êtes folle.

À l’instant où elle avait fait la connaissance de Conor, elle avait eu l’intuition de ce qu’il pouvait lui offrir. Et le jour où il l’avait embrassée, il lui avait donné un aperçu de tout ce qu’elle avait manqué. Elle voulait qu’il la prenne dans ses bras. Aurait-elle cependant la force de supporter ensuite de le voir partir ?
Que faire ? Elle ne pouvait tout de même pas le rejoindre dans sa chambre et lui demander de l’embrasser. C’était impossible.
N’est-ce pas ?

Elle n’avait aucune envie de dormir. Désemparée, elle referma la porte et resta plantée là, à scruter le battant. Sa soirée romantique s’était achevée avant d’avoir vraiment commencé.
Que s’était-il passé ? Ils se tenaient la main, et l’instant d’après il la reconduisait à sa chambre pour, d’un ton sec, lui souhaiter une bonne nuit.
Elle lui avait demandé s’il la trouvait belle. Une question pour le moins maladroite, qui lui avait échappé. Mais elle avait vu de l’admiration dans ses yeux, et d’ailleurs il lui avait déjà dit qu’elle était jolie : donc, ce n’était peut-être pas ça qui avait brutalement mis fin à leur soirée.

Il aurait donné n’importe quoi pour avaler une lampée de whisky, voire la bouteille entière. Son regard se posa sur la gorge crémeuse, la naissance des seins dans le décolleté en V. Il déglutit avec peine.
Comment passer toute une soirée à bavarder gentiment alors qu’il brûlerait de la couvrir de baisers ? Comment allait-il tenir le coup ?

Immobile devant son reflet, elle décida que ce soir elle ne serait pas Olivia Maitland la laissée-pour-compte, la vieille fille un peu terne. Ce soir, elle arborait un décolleté que d’aucuns auraient jugé trop sage mais qui, pour elle, était audacieux. Car, pour une fois dans sa vie, elle voulait être audacieuse, et même un brin provocante. Elle voulait de la romance, et c’était peut-être son unique chance.
Elle songea aux yeux de Conor lorsqu’ils se voilaient et s’assombrissaient, et un frisson la parcourut. « Juste une fois », se dit-elle en s’entourant de ses bras. Elle aurait le reste de son existence pour s’en repentir.