Je renonce à mes privilèges !
C'est un État en déficit chronique, où les plus riches échappent à l'impôt. Un régime à bout de souffle. Un peuple à bout de nerfs, qui réclame justice et ne voit rien venir.
C'est la France en 2020 ?
Non !
Telle est la France à l'été 1789. Jusqu'à ce qu'en une nuit, à Versailles, tout bascule. C'est la Nuit du 4 août.
Les députés proposent
l'abolition des privilèges en matière d'impôt, la suppression des corvées seigneuriales, la fin des servitudes personnelles pesant sur les paysans, la fin des colombiers, des droits de chasse, des justices seigneuriales. Mais ils maintiennent le rachat des droits réels pesant sur les terres. L'enthousiasme est tel que les députés du clergé renoncent à la dîme, ceux des villes et provinces montent à la tribune pour déclarer qu'ils abandonnent les privilèges des provinces, des villes, des corps de métiers.
A mi-chemin entre roman historique et essai, le livre de
Bertrand Guillot nous décrit avec précision cette nuit du 4 août où les députés de la nouvelle constituante ont aboli les privilèges de l'ancien régime.
Il nous décrit la vie et les idées d'élus inconnus comme
Adrien Duquesnoy, Joseph Delaville-Leroulx, Pierre-François Lepoutre et aussi certains plus connus comme Isaac le Chapelier, Jean-Joseph Mounier…
Comment, ces hommes élus aux Etats Généraux pour résoudre les problèmes financiers du royaume ont établi une Assemblée indépendante, ont voté une Constitution, on écrit la Déclaration des Droits de l'Homme et abolit les privilèges et établi la souveraineté populaire en quelques mois.
J'ai aimé le style, la nouveauté de ce livre entre essai et roman.
L'auteur restitue l'emballement de cette nuit et les surenchères dans un style simple, addictif et abordable. On constate avec bonheur les recherches effectuées par l'auteur.
Par contre, j'ai moins apprécié les idées de l'auteur qui reste dans une veine "furetiste" de la Révolution ou de celle d'Emmanuel de Waresquiel dans son livre "Sept jours" qui ressent de l'empathie "pour ce pauvre roi" et prétend qu'en 1789, la Révolution est faite.
Il prétend que la nuit de la nuit du 4 août, c'est "la nuit de la grande sortie du déni" ! Non point, ces élus étaient tétanisés par le réveil du peuple et "La Grande Peur" dans les campagnes en juillet 1789.
Le parallèle facile et factice entre la situation de 1789 et aujourd'hui ne m'a pas convaincue. L'auteur dit qu'il cherche la clé de 1789 pour débloquer la nôtre ! Il se demande comment les privilèges de l'Ancien Régime qui avaient résisté si longtemps ont pu s'effondrer si vite ! Comme je l'ai précité au-dessus, la prise de la Bastille et surtout la Grande Peur en juillet 1789 ont provoqué l'effroi chez les élus qui ont du donner des signes de bonne foi pour stopper les massacres !
Et aussi, comme le rappelle l'auteur, les philosophes des Lumières même s'ils n'ont pas pris La Bastille, n'auraient rien fait sans
Montesquieu, sans Rousseau, sans
Diderot ; les députés n'auraient jamais fait tomber l'Ancien Régime ! C'est peut-être ce qu'il manque à notre ère : des vrais auteurs, des philosophes engagés !
Sans oublier, qu'aujourd'hui dans nos sociétés, nous vivons bien (sauf exception et dans certains pays) : en 1789, le budget du pain représentait 3/4 du salaire journalier….
Mais quand il faut rédiger les décrets qui mettent en forme
l'abolition des privilèges, les opposants, et même certains partisans de l'abolition tentent de limiter les concessions faites aux paysans. La dîme et les droits seigneuriaux qui touchaient les personnes sont définitivement abolis. Mais tous les droits qui touchaient la terre (c'est-à-dire l'essentiel des revenus des propriétaires de seigneuries, nobles ou bourgeois) sont déclarés rachetables.
Ce n'est qu'en 1793 et 1794, que des décrets de la Convention abolissent totalement les redevances.
Les privilèges n'ont été franchement et totalement abolis (et pas rachetables) qu'en 1793.
Un livre innovant, très bien rédigé sur la nuit du 4 août 1789 qui se lit comme un très bon roman qui se révèle aussi très instructif.