J'ai commencé à m'occuper de la mort. Aussitôt, la mort s'est occupée de moi. J'ai eu la faiblesse d'envisager, d'admettre et c'est le commencement de la fin. Je vais payer cette lâcheté inévitable, tant pis pour moi. On ne meurt que par fatigue et par résignation.
Tout s'est joué en deux secondes, je voudrais savoir lesquelles.
Cet acharnement à me connaître et à connaître, j'aurais dû l'avoir plus tôt. Si je m'y étais pris à temps, peut-être serais-je arrivé à quelque chose. (...) Quel temps perdu, quel gaspillage, je croyais que j'avais tout mon temps. Maintenant, cela presse, ce sont les derniers moments, et cette hâte n'est pas favorable à la recherche.
Ionesco
En vérité, je suis moins hypocrite qu'incertain, et moins incertain que divisé entre deux certitudes contradictoires.
Je ne peux m'éloigner d'Hélène sans trébucher dans le vide que creuse son absence.
J'aurais dû, tout à l'heure sur la route, prendre le temps de regarder avec intensité l'eau et le vent, les arbres et cet enfant minuscule qui courait à la lisière d'un bois et les roses devant la ferme. L'inattention des vivants est confondante. En fait, on ne voit que ce qui s'inscrit dans le champ des œillères de nos préoccupations du moment.
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A deux ou trois secondes près, je passais, je n'aurais même jamais imaginé que je frôlais une catastrophe. Je roulerais tranquillement vers Rennes. Mon costume et la MG seraient intacts. J'aurais mangé du faisan chez Mortreux. Ces trois secondes, je les ai perdues quelque part." "[...] une idée volette, bourdonne comme une mouche verte, se pose, je la chasse, elle revient, s'entête, hideuse, et je ne peux l'écraser. Une idée et une image: je suis dans ma voiture, quai Voltaire, je vais partir pour Rennes, le moteur tourne, je viens de passer ma première, je commence à manoeuvrer pour déboîter, Hélène est debout sur le trottoir, elle me dit quelque chose, je baisse ma glace pour entendre, elle dit:
- Sois prudent, ne roule pas trop vite...
Je souris, je démarre, je viens de perdre quelques secondes. A deux cent cinquante kilomètres de moi le marchand de cochons se tape un verre de calva. Je viens de perdre.
Il a la voix de son visage, lourde, grasse, encombrée, une voix qui semble sortir des fesses.
Qu'est-ce qu'il dit ? In nomine patris et filii et… Cette fois je comprends, je comprends trop. (…) Je veux ouvrir les yeux. Je dois absolument ouvrir les yeux. J'ai affreusement peur.
La volonté de ne pas être nuisible est le commencement de la vraie bonté.