Enjoy while it lasts. It doesn't, "Profite tant que ça dure. Ça ne dure pas".
Je ne suis pas la mère que j'aurais voulu, ni, pire encore, pensé pouvoir être. Le quotidien a rongé mes ambitions, rabattu mon caquet. L'usure, l'impatience, la fatigue, l'exaspération ont grignoté mes réserves, que je pensais inépuisables, de douceur et de compréhension. L'amour que j'ai pour mes enfants, qui a jailli en moi à la seconde même où j'ai su qu'ils grandissaient dans mon ventre, est immense, infini, inextinguible. Hélas, les qualités qui devraient en découler, la patience, le calme, le contrôle de soi et de ses nerfs, ne me sont pas venues en complément. A défaut, j'ai des réserves de culpabilité, ce sentiment frustrant et inutile qui rend lucide donc malheureux, mais ne permet ni de réparer les erreurs commises ni d'éviter d'en commettre de nouvelles dans l'avenir.
Déménager, c'est écouter chaque objet nous raconter son histoire.
Dans ton pays, le drapeau est bleu comme la façon dont tu aimes manger tes steaks, blanc comme l'écran de cinéma avant que le film commence et rouge comme le cœur de notre amitié qui ne cessera jamais de battre.
Pourquoi toi, l'Américaine, la pragmatique, la business woman, la midinette, pourquoi occupes-tu une telle place dans ma vie?
Dans le désordre: parce que tu me fais rire, que tu m'émeus.
Parce que tu es infatigable.
Parce que tu me rapportes toujours un souvenir des pays où tu pars sans moi.
Parce que tu as l'art d'offrir des cadeaux incroyables. Jamais je ne me séparerai de cette boule ivoire, nichée dans une boîte laquée noire, qui diffuse un parfum de vanille. Je ne sais pas où tu l'as dénichée, ni comment tu en as eu l'idée. Tu me l'as offerte "pour l'inspiration" et, depuis quinze ans, je n'ai pas écrit une seule ligne sans l'avoir à côté de moi.
Parce que tu n'oublies jamais une fête ou un anniversaire.
Parce que, comme moi, tu adores la soul music, les oreillers tout mous, les pivoines, les bouillottes et les boucles d'oreilles.
Parce que, dans chaque festival, tu déniches le meilleur japonais, le meilleur cappuccino, la meilleure librairie et que tu remets tes fiches à jour chaque année.
Parce que tu sais réparer mes pannes de téléphone et d'ordinateur.
Parce que tu as toujours au fond de ton sac des mouchoirs en papier, des piles, des bonbons, de l'Advil, une lime à ongles, un marque-page et une fiole de Tabasco car tu estimes qu'il n'y en a jamais assez dans le Bloody Mary.
Parce que tu sais faire des tours de cartes.
Parce que tu es capable de te mettre du vernis à l'arrière d'une voiture en marche sans que cela déborde.
Parce que tu as le sens de l'orientation.
Parce que tu lis toujours mon horoscope en même temps que le tien.
Parce que tu ne te maquilles jamais les yeux mais que tu mets du rouge à lèvres alors que je fais le contraire.
Parce que ton français est inexistant et que j'adore te parler en anglais.
Parce que je peux tout te dire.
Tu sais, si c’est pour vivre en fauteuil roulant toute la journée, il vaut mieux être décérébrée et ne penser à rien. Je m’entraîne, remarque, je vis avec la télévision allumée toute la journée, ça va bien finir par me ramollir les cellules grises, tu ne crois pas ?
Alors on se tait, honteux de s’avouer soulagé d’avoir été épargné par le malheur de l’autre.
C’est ce qui me manque le plus. Débattre avec toi. M’énerver contre toi. Trouver des arguments à opposer aux tiens.