Le flou du miroir

Je me souvenais de cette impression bizarre d’être une facture ambulante.
Toute petite, la culpabilité m’effleurerait chaque fois que j’étais la cause d’une dépense supplémentaire : l’argent était indispensable et celui de papa ne devait pas être gaspillé. Ma naissance n’avait-t-elle pas coûté plus cher que celle de mes aînés ? J’avais eu la mauvaise idée de venir au monde à l’envers : j’étais née en siège et mon accouchement avait nécessité la venue d’un médecin en plus d’une sage-femme.
« Ton père a dû payer beaucoup plus pour toi » me racontait maman. C’était choquant pour lui car, contrairement aux prédictions médicales, j’étais née rapidement et sans problème particulier nécessitant la présence d’un spécialiste. Quelle indélicatesse de ma part : j’étais un accident, je m’imposais, me présentais au monde par les fesses au lieu de la tête et je leur coûtais plus cher ! Le bébé que j’étais pouvait-il avoir senti qu’il n’était pas le bienvenu dans cette famille et préféré se replier pour ne pas découvrir le monde trop vite ?