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Citations sur Essai sur le Lieu Tranquille (9)

Les braillements, les stridences , le tapage, les criaillements du dehors : transformés en murmure du peuple et bruit du monde. Allez, en route, retournons vers les autres, loquace, rempli du désir de parler.
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Et je m'aperçois qu'à présent, longtemps après coup, que j'ai oublié de raconter ce qui fut la raison principale, la plus puissante, qui m'a poussé à écrire cet Essai sur le Lieu Tranquille : ces transitions, inopinées, du mutisme, des instants où j'étais frappé de mutisme, au retour de la parole et du langage - sans cesse vécus, et avec toujours plus de force dans le cours de ma vie, au moment où je refermais et verrouillais derrière moi la porte en question, seul avec le lieu et sa géométrie, loin des autres.
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Ce qu'il m'est arrivé de me demander parfois en secret, tandis que j'écrivais ces lignes, je me le demande maintenant par écrit : si je n'ai cessé tout au long de ma vie, aux quatre coins du monde en somme, de fréquenter, sans nécessité particulière, les Lieux Tranquilles, n'est-ce pas l'expression, sinon d'une fuite de la société, du moins d'un dégoût de celle-ci, d'une répugnance envers toute vie en société? Si, parmi mes semblables, je me levais soudain sans un mot et m'éloignais, le plus loin possible, bien au-delà des neuf-fois-trente-neuf marche, n'était-ce pas là une attitude asociale - antisociale? Si, c'était et c'est le cas, parfois incontestablement. Mais en règle générale ce n'était vrai là encore que dans les premiers instants. Dès le passage vers le Lieu Tranquille - avec des détours, tant qu'à faire, et en même temps : "Droit vers lui!" -, il pouvait en être autrement; l'univocité pouvait se transformer en plurivoricité. Et il est vrai cependant que le verrouillage de la porte des toilettes s'accompagnait d'un grand soupir de soulagement : "Enfin seul!"
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Quoi qu'il en soit : depuis ce matin-là, dans les toilettes du jardin du temple de Nara - il y a plus de vingt ans désormais -, le Lieu Tranquille, au-delà de lui-même et de son emplacement, m'accompagne comme idée. En d'autres termes : il est devenu un pro-jet,ou, retraduit en grec ancien, un problème, attirant - dans sa première acception, une "péninsule", quelque chose à contourner, un cap à passer, et, dans ce cas précis, le bateau, ou la barque, ou la nacelle, est le langage, celui du récit qui esquisse ou circonscrit.
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Ce n’est que ce matin-là, quand je pénétrai dans les toilettes du temple de Nara, que je me sentis chez moi au Japon ; que j’arrivai vraiment sur l’île ; que le pays, tout entier, m’accueillit. Tanizaki, dans son éloge des toilettes du temple japonais, insiste sur les murs de bois aux fines veinures et, surtout, sur leur porte coulissante, dont le treillage de bois, tendu de papier clair et perméable à l’air, ne laisse filtrer du dehors qu’un reflet amorti : je mentirais, si je disais que j’ai maintenant sous les yeux tous ces détails. Je sais seulement qu’il y régnait ce demi-jour qu’évoque Tanizaki et que c’est lui qui, sur-le-champ, m’enveloppant de la plus délicate et de la plus matérielle des façons, m’accueillit, me rendit par ses sortilèges, après toutes les semaines d’errance, à l’existence, à la vie, au séjour ici-bas.
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L’air était presque chaud, un temps encore, après tout c’était l’été. Sauf que les nuits d’été, en ce temps-là du moins, ne tardaient généralement pas à fraîchir ; une nuit parfaitement tiède : dans ma mémoire, une grande rareté, quelque chose de tout à fait exceptionnel — alors pour rien au monde on ne serait rentré chez soi, on préférait rester assis dehors, ensemble, oui, avec les autres, en silence, même les quelques paroles échangées ici et les bruits de la nature là-bas se confondant au silence, et même si aucun parfum de chèvrefeuille ne s’exhalait dans ces nuits-là, rien que le vent léger de la nuit, celui-ci était aussi précieux que le chèvrefeuille des États-du-Sud-et-du-Mississippi dans les livres de William Faulkner.
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Et pourquoi faut-il que je repense maintenant à cette anecdote villageoise que m’avait racontée ma mère, à cet enfant qui apportait au curé du village un plein panier de belles poires luisantes en lui faisant observer : « Monsieur le curé, mes parents vous font l’hommage de ces poires qui ont poussé dans l’arbre de la cabane des chiottes ! » ?
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Je me trouvais voici quelques semaines à Casacais, au Portugal, au bord de l'Océan, assis sur le banc d'un parc, au bord d'un chemin qui conduisait au toilettes publiques, pour les besoins de mon étude, si l'on veut, mais surtout pour m'imprégner du lieu et de ses environs. Peu à peu, et ma contemplation n'y était sans doute pas étrangère, les quelques passants qui allaient et venaient formèrent un cortège, l'une de ces processions comme je n'en avais plus vu depuis longtemps dans les rues et ailleurs, et qui m'avaient douloureusement manqué. Car j'ai besoin, moi, en tant que tel et tel, ou tel que je suis simplement, de ce cortège, de cette procession d'êtres humains, et si maintenant, écrivant ces mots, il me vient à l'esprit qu'il n'y a qu'à l'église, peut-être, que j'ai vu un cortège comparable, quand le peuple des fidèles, pendant la sainte messe, va communier, recevoir le corps du Seigneur, et revient, chacun sur son banc ou je ne sais où, n'y voyez pas un blasphème.
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Il était plus singulier encore que, sans même qu'on en eût le projet ou seulement l'intention, on pût créer de soi-même les lieux tranquilles, au cas par cas, au milieu d'un tumulte (justement dans le tumulte), au milieu de ce babil qui pouvait se révéler incomparablement plus mortifère encore. Il suffisait, pour que s'érige l'un de ces lieux protecteurs, qu'on lise, pendant tel et tel cours magistral, les textes, grands et moins grands, de la littérature, oui, de la littérature. Il arrivait du reste que cela se produisît non pas par la lecture, mais par la pure réminiscence de celle-ci, même au restaurant universitaire, qui, surpeuplé jusqu'aux heures du soir, était souvent le seul séjour qui me fût accessible.
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