Harrari répond aux interrogations suscitées chez ses lecteurs par Sapiens et Homo Deus de manière à favoriser la prise de conscience des trois enjeux majeurs que constituent la fusion des technologies de l'information et de la biotechnologie (fusion en une même pensée nommée dataïsme, pour laquelle tout organisme vivant consiste en algorithmes de résolution de problèmes), la menace de guerre nucléaire, et les changements climatiques. Il clarifie d'emblée sa préoccupation quant à la capacité de la plupart d'entre nous, non seulement à se prononcer, mais plus encore à peser sur les évolutions à venir, qui semblent toutes placer sous cette nouvelle figure du pouvoir qu'est l'accès aux méta-données / big data (en quoi se condensent toutes informations que nous produisons et mettons en ligne - âge, sexe, lieu de résidence, occupation-passe-temps, profession, etc.). Si vous n'avez ni le temps ni l'énergie pour considérer les enjeux abordés ici, dit-il d'emblée, l'histoire ne vous fera pas de cadeau et se fera sans, voire malgré, vous. Une portion particulièrement intéressante de sa réflexion consiste à départager les forces de la critique dite culturaliste de l'immigration massive, des faiblesses du nationalisme, qui sont celles d'anciennes élites discréditées par des avancées technologiques qu'elles ne maîtrisent pas, et par des enjeux sur lesquels elles sont incapables d'offrir des réponses sérieuses (c'est-à-dire globales).
En continuité avec la thèse centrale de Sapiens, le rôle est souligné des fictions collectives englobantes dans la production et l'entretien de réseaux de coopérations massifs et souples qui feraient l'unicité de notre espèce; fictions réduisant l'incertitude et motivant aux interactions sur des buts conjoints entre inconnus (se référer à un même dieu ou une même tribut, une même nation ou compagnie vous rend familiers). Ces réseaux ont pris diverses formes au fil du temps, dont les nations et les compagnies. Ils soutiennent la création d'une intelligence collective incroyablement plus productive que (mais ne dispensant pas de) l'intelligence individuelle. Divers philosophes (dont
John Searle) et psychologues (dont Michael Tomasello) ont donné à cette perspective des appuis solides, et je suis enclin à la soutenir.
Les humains, résume Harrari, ne pensent pas en chiffres et en colonnes, bien qu'ils puissent y être amenés, mais en récits.
Une préoccupation au coeur de l'ouvrage, traversant l'ensemble, concerne le possible épuisement de l'humanisme libéral comme récit, après son triomphe sur ses rivaux : l'humanisme évolutionniste (qui s'est collé au fascisme et au nazisme sans retour) et l'humanisme socialiste (misant sur une éducation forcée à l'altruisme et sur la transmission des caractères acquis). L'humanisme libéral mise sur le travail discipliné de découverte de soi, sur le raffinement de la sensibilité pour distiller des enseignements riches des expériences vécues. Prenant l'unicité du point de vue individuel et sa non-interchangeabilité (personne ne peut ressentir exactement ce que je ressens), cet humanisme y confère la seule autorité qui vaille, en politique, économique, éthique et esthétique. Aucune autorité ne saurait se revendiquer comme étant supérieure à celle du vote de l'électeur, à l'achat du consommateur, au sentiment du bien et du beau du spectateur. Ce qui, selon Harrari, se lit comme un épuisement de l'humanisme revient assez largement en un retournement des forces qu'il a libéré - forces d'intensification de la santé, du bonheur - contre l'intériorité individuelle qu'il a érigé en maître du monde. Définissant, fût-ce implicitement, la mort et la maladie comme des violations de droits jugés sacrés à la santé et au bonheur, la pensée humaniste libérale alimente la création des forces de l'intelligence artificielle et du génie génétique, voire du transhumanisme opérant des hybridations en quête de la vie éternelle. L'intelligence artificielle, alimentée au données produites quotidiennement et en quantité astronomique par les utilisateurs de médias sociaux et diverse plateformes, parvient à décrypter l'intériorité, du moins à prévoir les comportements et les préférences de chacun, avec une efficacité que Harrari estime devoir être considérée comme supérieure à celle de l'introspection. L'IA nous connaît mieux que nous-mêmes, observe-t-il. L'externalisation de l'autorité, sa localisation entre les mains d'algorithmes maniant avec une rapidité déconcertante une quantité ahurissante d'informations, joue à l'encontre de l'humanisme libéral selon la lecture qu'en fait Harrari. La capacité de cette religion laïque à s'imposer et à faire loi dans les domaines que parcourt l'ouvrage, sur celle des régimes autoritaires est mise en doute, et la partie sur le devoir de modestie fait office de voie de résolution possible, elle-même modeste, à ce problème.