Le Chat est une jeune actrice de théâtre d'origine géorgienne dont le prénom est Sesili et pour aider sa famille criblée de dettes, elle accepte un contrat surprenant. Sa famille vit maintenant en Allemagne. de plus, elle essaye de mettre fin à une relation avec un homme marié et durant son enfance elle a vécu un drame.
Le Général, Alexander Orlov, est un oligarque russe qui, alors qu'il était dans l'armée, a connu une terrible histoire comme seule la guerre peut en créer. Soudain, en voyant une jeune femme, il décide de faire resurgir le passé. Que s'est-il passé? Pourquoi cette jeune femme vient-elle réveiller en lui des souvenirs? Pourquoi l'appelle-t-on le Général? Peut-on échapper à l'Histoire et à la sienne?
La
Corneille est un journaliste allemand qui s'avère en proie à une obsession pour le Général et il a développé une expertise dans les affaires de l'Europe de l'Est. Il enquête sur les crimes commis, entre autres, par les militaires russes lors de la guerre en Tchétchénie. Il est habité par un deuil douloureux, mais quel lien entretient-il avec le Général?
Ces trois êtres que tout sépare vont se rencontrer autour d'une histoire tragique remontant à 20 ans : l'assassinat d'une jeune tchétchène, Nura.
Mes impressions
Encore une fois, grâce à un événement créé par des blogueurs littéraires, j'ai déniché un roman fascinant, déroutant, terrible. Ce dernier s'avère un récit choral où des voix à des époques différentes plongent l'instance lectrice dans une histoire de crimes de guerre bien souvent oubliés. Les répercussions sont absentes et les coupables reçoivent des médailles d'honneur. Ainsi, une jeune géorgienne qui rêvait d'ailleurs, de liberté, meurt en raison de la violence qu'elle a subie à l'âge de dix-huit ans. Les soldats russes ont posé à son égard des gestes effroyables, innommables lors de la guerre en Tchétchénie en 1995. C'est la guerre et qui se préoccupe du sort d'une jeune paysanne? La nature, car elle est témoin des atrocités humaines.
«Le fleuve allait-il tolérer un tel bain de sang sur ses rives? Et les gros oiseaux inconnus allaient-ils fondre du ciel d'un même mouvement en voyant la mort parader sous leurs yeux? Les montagnes allaient-elles s'effondrer, les unes après les autres, dans un vacarme de tous les diables, assourdissant et désespéré? Quels vestiges cette nuit laisserait-elle derrière elle? Un glissement de terrain qui se dessinerait sur les cartes comme une tache noire? (p. 374)
L'autrice maîtrise son histoire et ses personnages. Rien n'est laissé au hasard. En lisant, je me disais que je ne pouvais que souligner l'intelligence de la structure récit. Je pensais également que l'autrice avait dû consulter beaucoup de documents pour rédiger une telle histoire et que je trouvais remarquable la façon dont elle avait développé ses personnages. Je me parlais et je me disais à quel point je ressentais une admiration pour cette autrice. Ce livre est tout simplement enlevant.
De plus, les femmes, qu'elles soient Russes, Tchétchènes, Allemandes, etc. apparaissent fortes et elles doivent élever leurs enfants seuls. Les hommes sont obnubilés par la guerre et ils semblent bien souvent, après la guerre, incapables de s'occuper de leurs familles (mentalement et physiquement). La famille du «Chat», d'origine géorgienne, qui a dû s'exiler en Allemagne pour fuir la guerre, illustre bien cette affirmation. Grâce à cette dernière, l'autrice aborde le sentiment régissant la communauté géorgienne. Elle la décrit tantôt drôle, tantôt nostalgique, dans le Berlin de l'après guerre en Tchétchénie et après l'effondrement du mur de Berlin. le fil rouge des discussions de cette communauté : le passé. Mais encore, «Le Chat», surnom qu'elle a hérité enfant car elle était capable de grimper aux murs et qu'elle pouvait rebondir facilement sur ses pattes, est entourée de femmes : sa grand-mère, sa mère et sa soeur Natalia. Les hommes, dont son père, ne jouent pas un rôle reluisant. D'ailleurs, elle les craint. Elle agit plus comme une mère, une protectrice pour les siens et elle ne maîtrise pas tout à fait les codes de son pays d'adoption. À cet égard, elle est perdue, déracinée, ne sachant plus où est sa place. Elle voudrait retourner avec sa grand-mère et sa mère à Tbilissi, sa ville natale.
Il y a un symbole puissant dans cette histoire : le Cube Rubik. le livre est construit à son image, c'est-à-dire que l'instance lectrice essaye de trouver la combinaison et de comprendre toutes les facettes du récit pour bien rassembler les morceaux. L'autrice joue avec le lecteur par le biais des couleurs des âmes, des retours en arrière, du décor, et elle l'entraîne jusqu'à la toute fin dans un autre jeu, lorsque le cube est complété, celui de la roulette russe. C'est tout simplement admirable. de l'art à l'état pur! L'intensité émotionnelle de la lectrice ou du lecteur apparaît alors à son paroxysme.
Mais encore, l'autrice aborde par le biais de son récit des thèmes comme la médiocrité, la culpabilité, la responsabilité, la rédemption ou encore la vengeance. Qu'est-ce qui peut conditionner le devenir des hommes après avoir connu, commis des actes terribles en tant que soldat? Peut-on dénoncer ses frères d'armes ou ses supérieurs? le militaire peut-il se cacher derrière la philosophie de guerre pour expliquer ses actes? Et le peuple ayant subi l'assaut de l'envahisseur, va-t-il se révolter, joindre le camp ennemi? Comme il est mentionné dans le récit sur l'après guerre en Tchétchénie :
«Quel effet cela avait-il sur le psychisme des enfants qui grandissaient au milieu du silence pernicieux fait sur les défunts et du culte forcé voué aux ennemis jurés?
Un véhicule de police passa devant nous, et un homme en uniforme de style milice soviétique tenta de jeter un oeil dans notre voiture. Pour une raison obscure, je retins mon souffle, ce dont j'eus honte une seconde plus tard. Était-ce rapide à ce point? Était-ce si facile de sa laisser intimider? de renoncer à toutes ses convictions sous prétexte que l'on se trouvait dans un lieu où elles n'avaient plus cours, voire étaient réprouvées ou proscrites? Était-ce le mécanisme naturel dans un État qui réécrivait sa propre histoire, où l'on faisait passer des mensonges pour la vérité et la vérité pour un mensonge? (p. 537)
Je pourrais encore continuer à écrire sur ce récit… Je n'ai pas abordé Ada, la fille du Général, dont le prénom réfère au livre de
Nabokov… Elle apparaît comme une beau personnage qui sera victime elle-aussi de ce monde où les monstres ne sont pas punis car ils n'ont de compte à rendre à personne.
Je ne peux que vous encourager à lire cette épopée passionnante sous le signe de la vengeance, du drame et de la perte du sentiment de bienveillance. C'est un crime, c'est un châtiment, comme les grands romans russes le proposent bien souvent. Un gros coup de coeur!!!
Bien à vous,
Madame lit
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le-chat-le-general-et-la-corneille-de-nino-haratischwili/
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