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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
"Let me bring you songs from the wood
To make you feel much better than you could know..."
(Jethro Tull, "Songs from the Wood")

Thomas Hardy m'a toujours fait penser un peu obscurément à Jane Austen, avec la typologie de ses personnages et ses trames tissées de façon aléatoire, qui propulsent ses héros (souvent malgré eux) de la situation A à la situation B. Mais à une Jane Austen plus sombre et pessimiste, dont la proverbiale ironie ne fait pas rire à chaque fois, voire pas du tout.
"Les Forestiers" n'est pas le roman le plus connu de Hardy, et très probablement pas son meilleur non plus... mais c'est sans doute mon préféré.

C'est un livre de grands contrastes - le plus grand étant celui entre la belle littérature et la triste réalité. Et Hardy sait travailler les deux avec un raffinement que défie toute concurrence. Son récit tient ensemble grâce à un ingénieux mécanisme de petits et grands événements et d'imprévisibles ironies de la vie. Rien n'est écrit sans raison : le moindre mot, la moindre description de feuille d'un arbre sont importants, car vous pouvez parier que plus tard ils auront encore leur place dans l'histoire.
Les destins de ses personnages se croisent et s'influencent sans cesse, chaque action est une roue dentée qui met en mouvement une autre, et tout se dirige lentement vers d'inévitables et terribles affrontements. Mais malgré cette construction majestueuse, les personnages des "Forestiers" ne manquent pas d'authenticité : déceptions, trahisons, grands amours, jalousies, haines meurtrières et surtout terribles erreurs banales qu'on a tous connu et regretté au moins une fois dans notre vie.

L'histoire elle-même pourrait paraître presque ennuyeuse, car qui s'intéresse encore aujourd'hui aux conventions sociales du 19ème siècle ? Aux descriptions de paysages, forêts, vergers, maisons couvertes de vigne vierge ? Beaucoup de travail, peu d'amusement... et aucun érotisme !
Mais peu importe, car Hardy compose son portrait des habitants d'un petit village perdu dans les bois avec une étonnante intemporalité. On peut voir "Les Forestiers" comme un roman social typiquement victorien sur les ambitions de ceux qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, mais c'est surtout une histoire sur les petites tendances calculatrices propres à n'importe qui à n'importe quelle époque... alors qui oserait s'en moquer ou les condamner complètement sans rougir ? Qui n'a jamais fait des efforts pour n'obtenir que le meilleur ? Hardy écrit sur les girouettes que le moindre souffle de vent fera tourner dans une direction opposée... et sur les rocs qui restent vaillamment en place même lors d'un tremblement de terre.
Les uns - M. Melbury, sa fille Grace ou le docteur Fitzpiers changent d'opinion et de direction prévue plus vite qu'il ne faut pour le dire, sans se soucier des conséquences que cela provoquera dans leur entourage. Et les autres, le loyal Giles ou la humble Marty, vont vous surprendre par leur solidité à toute épreuve. La question reste si cela leur apportera le bonheur qu'ils méritent.

Un étonnant contrepoint est aussi créé d'une part par les plaines fertiles qui sentent le miel et le cidre fermenté, et de l'autre par les charmantes forêts échevelées du Wessex, froides, menaçantes et pourtant belles. Je crois que je ne connais pas dans la littérature anglaise un meilleur peintre-paysagiste que Hardy.
Et plus ses anciennes collines verdoyantes frémiront au crépuscule, et plus cruels seront les déceptions et les compromis devant lesquels la vie mettra les "forestiers". Leur chassé-croisé amoureux est presque frustrant... un mot, un geste, une simple explication pourraient tout changer ; vous devenez pleins d'espoir, puis non... vous entendez juste une fois de plus Hardy ricaner méchamment derrière votre dos.
Essayez, vous verrez peut-être même sa moustache tressauter... ! 5/5
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Françoise Héritier disait de ce magnifique roman de Thomas Hardy, Les Forestiers, qu'il était le livre de sa vie, celui qui l'avait bouleversé.
La littérature classique anglaise m'apparaît toujours avec ce charme particulier, je ressens ce plaisir que je ne sais jamais bien définir. L'autre matin, j'écoutais sur France Culture Mona Ozouf évoquer cette particularité qui la touche aussi, elle trouvait avec justesse les mots pour décrire la littérature anglaise du XIXème siècle, disant que "celle-ci faisait entrer L Histoire dans le concret des vies, faisait descendre le politique dans le domestique. Il y a chez les romanciers anglais, un sens du concret, du détail, de la saveur, de la couleur, du grain des choses..."
Voici le troisième roman de Thomas Hardy que je lis. Autant vous l'avouer sans détour : cette rencontre fut un enchantement.
Ici nous sommes au rythme de la forêt, ceux qui travaillent ici dépendent de cette ressource quel que soit leur niveau social : propriétaires forestiers, bûcherons, négociants, cidriers... Jusqu'à ces étroites chaumières où des femmes taillent à coup de serpe de petites baguettes à usage domestique... J'ai trouvé cette fresque sociale peinte avec beaucoup de finesse et de justesse. On s'y croirait.
Et puis il y a l'amour... C'est une histoire anodine à première vue, mais violente lorsqu'on avance dans ce roman, violente comme la passion, non pas une passion exacerbée, mais quelque chose de contenu, une force souterraine tout au long du récit. Violente et poignante.
L'intrigue repose sur trois fois rien, quoique Thomas Hardy n'en finit pas de nous égarer dans les méandres de l'âme humaine, de démêler les fils ténus qui sous-tendent cette histoire, qui emportent dans un destin partagé plusieurs personnages aux velléités parfois différentes.
Il y a tout d'abord ce personnage principal qui m'a totalement séduit, cette jeune femme Grace Melbury qui revient dans son village natal, Little Hintock, après ses études à la ville. Son avenir est déterminé par une promesse faite entre son père et celui de Giles Winterbone, décédé. Grace et Giles sont promis l'un à l'autre, c'est décidé, c'est écrit, ils se marieront. Mais voilà, Grace a grandi. Elle a découvert, hors des frontières de son village, une tout autre vie, d'autres rêves, d'autres horizons...
Et puis, un autre homme, en la personne d'un certain Edred Fitzpiers, médecin, beau, irrésistible et troublant, va en décider autrement et venir troubler ce chemin si bien tracé d'avance...
Grace appartient au milieu des forestiers, mais elle est déchirée entre deux mondes, comme si elle venait brusquement d'une autre classe sociale, comme si elle était devenue autre... Elle entre dans cette histoire avec cette déchirure.
Les personnages, leurs itinéraires qui se croisent, se vivent au rythme de la forêt, celle-ci est tantôt apaisée, tantôt tourmentée, tantôt rebelle ou mystérieuse.
J'ai aimé le personnage de Giles Winterbone, élégant et rustre, ce fiancé pressenti, promis à Grace, admirable forestier, taiseux magnifique, fidèle dans son amour, d'une noblesse de coeur, avec un rapport aux arbres qui est touchant, tandis qu'Edred Fitzpiers, le médecin qui courtise Grace, est si éloigné du coeur et des préoccupations de la jeune femme. Si éloigné des arbres aussi.
Vous l'aurez compris, derrière les ramures et les feuillages, parmi les sapins, les hêtres et les chênes, se dessine une sorte de triangle amoureux.
Quatuor amoureux plutôt puisqu'il y a aussi la belle et mystérieuse Felice Charmond, la châtelaine qui réside tout là-haut à Hintock House, traversant le paysage parfois furtivement, dans son carrosse noir, laissant deviner à travers la vitre opaque un visage énigmatique...
Dans une ambiance rustique, c'est aussi un roman aux accents modernes, dans la manière qu'a l'auteur de vouloir rompre les codes amoureux établis, dont souffrira Grace Melbury tout au long du récit, contre lesquels elle se battra, aidée du reste par l'entremise de celui qui l'aime et qu'elle aime, Giles Winterbone.
J'ai beaucoup aimé aussi le père de Grace, ce père qui voudrait aider sa fille à sa manière ; à certains moments il s'indigne des règles qui condamnent une femme une fois mariée à devoir se résigner à jamais, s'accommoder de son sort en silence. J'ai beaucoup aimé ce père, austère et digne.
Les personnages secondaires sont également attachants, comme cette Marty South, jeune fille pauvre du village, aux cheveux magnifiques et tant convoités...
La distinction des différences sociales ici est forte, dévastatrice, dicte les destins amoureux, imprime des chemins irrémédiables qui vont à la fois rassembler, séparer, unir, désunir, rendre malheureux en définitive. Chercher la compassion.
Thomas Hardy est un peintre, au geste ciselé, touchant l'intime des coeurs. C'est une peinture aux touches délicates. Peindre l'âme, c'est un peu aussi peindre une forêt, aimer l'âme humaine, c'est presque le même rapport aux arbres.
C'est fin, c'est intelligent.
Parfois je me suis demandé ce que Grace Melbury serait devenue si elle s'était emparée de son destin d'une toute autre manière, se révoltant contre les biens pensants, la bienséance, le poids d'un monde façonné par les hommes, si tant de fois on n'avait pas décidé pour elle...
Parfois aussi le destin est capricieux, tient à trois fois rien ; à quelques millimètres près à l'échelle romanesque, le sort d'un amour peut peut être sceller dans un sens comme dans l'autre...
Elle est au milieu du gué, déchirée entre deux chemins possibles et cela rend ce roman d'une incroyable beauté.
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Giles Winterborne a un don mystérieux pour faire pousser les arbres. Il y a bien à Little Hintock une jeune femme capable de déchiffrer comme lui le langage des bois, Marty South, mais si c'est elle qui fait l'ouverture et la fermeture du roman, elle semble cantonnée malgré son amour pour Giles à un rôle secondaire. C'est que notre homme a d'autres visées, il est plus ou moins entendu qu'il épousera Grace Melbury... et justement la voilà en ce début de roman qui revient au pays, après avoir fréquenté une école chic de la ville.
Mais Giles est-il encore l'homme qu'il lui faut? - à côté d'elle, maintenant, il fait quand même bien cul-terreux.
Et, pour son malheur, Grace est dotée d'un père obsédé par le bonheur de sa fille, qui ne peut supporter l'idée de faire faire ce pas en arrière à cette enfant plein de promesses, qui à ses yeux «serait à sa place dans un palais». Bon, les conseils de son père ont une propension à tourner au désastre qui serait comique si les conséquences n'en étaient pas dramatiques. Il y a une sorte de drôle et terrible ironie hardyque chez le personnage, tous ses actes visant à faire le bonheur de sa fille aboutissent systématiquement à la cata. Et mauvaise que je suis, j'avoue avoir pris grand plaisir à suivre les tristes développements de cet «éternel problème de la mésentente conjugale» dont Thomas Hardy expose les méandres avec une écriture sensible, profonde, fine. Une écriture qui me séduit complètement.
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Si en ces temps sombres vous avez envie de changer de décor, je vous propose de partir pour le Wessex, région imaginaire ou Thomas Hardy situait ses romans et que l'on peut identifier au sud-ouest de l'Angleterre. Non pas que les romans de cet auteur soient gais et pleins d'espérance, loin s'en faut. Mais le malheur vient de de la vie quotidienne et mêmes les personnages les moins recommandables sont encore pleins d'humanité. Surtout vous pourrez y respirer l'air des forêts, marcher en compagnie de l'un ou l'autre à travers les sentiers, dans une nature très présente.
Parmi ces forestiers de Little Hintock, Melbury, marchand de bois assez aisé, veuf remarié, qui a voulu donner à sa fille une éducation au-dessus de sa condition. Mais son désir de lui offrir le meilleur va se retourner contre celle-ci. En effet depuis longtemps il est sous-entendu qu'elle épousera Giles Winterbone, fils d'un ami de son père et qu'il a frustré autrefois de sa possible conquête. Melbury espère ainsi se racheter. Mais voyant les deux jeunes gens côte à côte, il pense que Giles est indigne de sa fille, que Grace a maintenant des goûts trop raffinés pour être comblée par la vie que ce mari pourrait lui offrir.
Justement un jeune médecin, Edred Fitzpiers s'est installé au village, et sensible au charme de Grace, la demande en mariage. Celle-ci hésite mais son père estime que le couple sera mieux assorti. Fitzpiers est agréé. Cependant des références culturelles communes suffiront-elles à en faire un ménage heureux ?
Giles, lui, pourrait cependant connaître le bonheur auprès de l'humble Marty South, travailleuse comme lui. Malheureusement il ne voit en elle qu'une amie, tandis qu'elle ne voit que lui.
C'est un chassé-croisé amoureux entre cinq personnes auxquelles on pourrait encore ajouter Tim Tang et sa fiancée Suke. Mais écrit par Thomas Hardy, on est loin du récit à l'eau de rose.
Un grand plaisir de lecture.

Challenge ABC 2015-2016
Challenge 19ème siècle
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Encore un grand classique de la littérature qui traînait sur mes étagères depuis trop longtemps et que j'ai enfin découvert. Cette fois-ci, direction l'ouest de l'Angleterre, dans les collines et les forêts de Thomas Hardy, écrivain de la période victorienne que j'ai découvert avec un immense plaisir.

L'amour et la raison, le mariage et les pulsions, la fidélité et les sentiments sincères, voilà les thèmes universels autour desquelles se construit la trame narrative de "Les Forestiers", qui s'enracine dans le petit village de Little Hincock : nous y suivons les aventures amoureuses de Grace Melbury, fille unique d'un marchand de bois qui a tout sacrifié pour envoyer son enfant à Londres et lui assurer la meilleure éducation possible. Une fois revenue dans son village natal, Grace pose un regard nouveau sur son environnement et ses projets d'union s'en trouvent bouleversés. Entre son prétendant de toujours, Giles Winterbone, modeste et fidèle ami de la famille, et les nouvelles ambitions de mariage de son père qui espère un retour sur investissement, ce sont les sentiments contradictoires et contrariés de la jeune femme qui rythment le récit. Hardy excelle à retranscrire les émotions et les réflexions de ses personnages, et son regard tantôt féroce tantôt tendre sur ses contemporains n'épargne personne!
Hardy se joue de nos émotions, il contrarie constamment les plans de ses personnages, condamnent les velléités de ceux qui voudraient s'élever et n'épargne rien aux coeurs purs. Mais au-delà de la description impitoyable d'une société victorienne patriarcale et figée, Hardy nous transporte dans une campagne idéalisée, décrite par une succession de tableaux d'une composition absolument parfaite, peuplée d'hommes et de femmes bons, qui vivent au rythme de la nature et des saisons. L'écriture de Hardy est somptueuse lorsqu'elle décrit ces forestiers et les paysages dans lesquelles ils évoluent, et elle touche au sublime quand elle s'attarde sur les plus humbles, Giles et la jeune Marty en tête.
Un gros coup de coeur pour cet auteur que je suis heureuse d'avoir enfin pris le temps de lire!
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Avec ce roman, on se retrouve dans le Wessex, une région chère au coeur de l'auteur.
Thomas Hardy fait la part belle à la nature environnante. La campagne, les champs, les collines, les chemins creux, la forêt, le vent, les odeurs, les animaux. Une nature vivante qui se forme, se transforme, se déforme au gré des saisons décrite avec beauté et subtilité.
Le petit village de Lintle Hintock niché dans cet écrin de campagne boisée est le lieu où vont se dérouler les aventures de Grâce Melbury, Giles Winternorne et du Dr Fitzpiers. Un triangle amoureux romanesque, sur fond de promesse paternel faite à un mort, d'éducation et de classe sociale. Les joies et les déceptions de l'amour sont nombreuses et obligent malgré eux ces jeunes gens à grandir, pour le meilleur et pour le pire.
Une fois de plus la femme tient une place importante et au combien difficile au 19ème siécle dans cette histoire. Elle y a la liberté de vivre et d'exister selon ses propres choix dans le respect des us et coutumes de l'époque.

Une écriture pleine de ce charme anglais typique à Thomas Hardy que je retrouve avec beaucoup de plaisir.
Une bien belle lecture.
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Grace Melbury revient dans son hameau natal, Little Hintock en lisière de la forêt qui fait la fortune des exploitants forestiers, après avoir terminé ses études et vécu parmi la bonne société, en ville.

Elle est parée de l'aura qui entoure celle qui est au-delà des limites du comté, des vallons et des bois, de l'aura de celle à qui les bonnes manières ont été enseignées, de celle qui a reçu un savoir et donc la possibilité de frayer avec des cercles autres que paysans ou commerçants.

Son avenir semble tout tracé en vertu d'un accord entre son père et celui d'un voisin, Giles Winterbone. Melbury père s'en veut d'avoir « volé » la fiancée de Winterbone père et souhaitait réparé son tort en promettant sa fille au fils Winterbone. Tout paraît clair, bien ordonnancé comme les clairières et les piles de bois en attente de la scierie ou de l'âtre. Las, car il y a toujours un « mais », c'est sans compter les nouvelles aspirations de Grace. Elle a découvert, lors de ses études, qu'il y a beaucoup de choses à découvrir ailleurs, qu'il y a des ambitions possibles à assouvir et surtout d'autres rêves à atteindre.

Grace se rend compte du décalage social, et surtout culturel, entre le milieu urbain éduqué et le petit monde paisible, simple, de Little Hintock. Pourtant, elle aime le paysage boisé, les collines alentours, sa maison natale, ses parents. Néanmoins, il lui manque le quelque chose auquel elle a goûté en ville, ce fruit qui ouvre l'appétit d'apprendre, de savoir et d'être autrement que dans la simplicité rustique. C'est cela qui gêne Grace, la rusticité du hameau et de ses habitants.

La présence d'un jeune médecin, remplaçant de l'ancien docteur connu de tous, attise les convoitises et surtout la curiosité de le gente féminine, l'intrigant Edred Fitzpiers à qui les bonne âmes prêtent des activités de sorcellerie. le mystère entoure le jeune homme qui expliquera à Grace sa soif d'expériences et de connaissances scientifiques. Cette dernière ne restera pas indifférente au charme presque sulfureux du jeune docteur. Au grand dam de Giles, resté aux lisières de l'histoire sentimentale tissée par les ambitions et rêves d'un médecin aux audaces de carriériste et d'une jeune fille encore naïve.

Grace a-t-elle fait le bon choix en privilégiant ses nouvelles aspirations de jeune femme éduquée au lieu de cultiver ses envies et sentiments profondément sincères ?

Tout au long du roman, Thomas Hardy s'attache à montrer combien la tromperie dans les sentiments, les erreurs d'aiguillages d'une vie peuvent provoquer malheurs et désespérances. Est-ce judicieux de permettre aux jeunes filles du monde rural et paysan, d'accéder à une meilleure éducation que leurs parents ? N'est-ce pas les perdre dans des désirs d'élévation qui ne sont pas les leurs ? N'est-ce pas les éloigner de la simplicité des sentiments, de la tradition ? Il est dommage que l'auteur n'ait pas mieux mis en lumière qu'une éducation approfondie donnaient des outils aux eunes femmes pour mieux raisonner et comprendre la perfidie de la nature humaine. Sans doute a-t-il souhaité que Grace reste une jeune fille puis une jeune femme naïve et rêveuse. A mon sens, Grace vaut mieux que cela. Certes, elle est victime d'un aveuglement passager qui l'entraînera dans la peine et une vie bien sombre, mais elle n'est pas sans saveur ni personnalité. L'époque fait que les erreurs commises ne pardonnent pas aux femmes alors que les hommes peuvent rebondir à leur détriment.

Le personnage d'Erdred Fitzpiers est un monstre de fatuité, d'égoïsme et de méchanceté aux antipodes de celui de Giles Winterbone. Ces deux hommes représentent les deux côtés du Romantisme : le sombre empreint de dangers et le lunaire perdu dans les méandres de l'amour véritable et idéalisé. le premier croque dans les plaisirs de la vie au mépris d'autrui tel un diable courtois, le second rêve, en conscience de son malheur, et espère que son horizon s'éclaircira grâce à sa contance et sa droiture…. il y a souvent du Jane Austen chez Thomas Hardy dans le sens où il sait observer, sans concession, les travers de la nature humaine avec intelligence, humanité et émotions. Cependant, il est plus sombre et plus pessimiste que Jane Austen ce qui contrebalance à merveille cette comparaison : tout est rarement absolument joyeux dans cette Angleterre corsetée et compassée.

« Les forestiers » est une perle, un bijou romanesque écrit par un auteur anglais, hélas méconnu, qui mériterait d'être beaucoup plus lu. Ses descriptions d'une nature mélancolique, romanesque, à l'aune de la tristesse de ses personnages, la magnifient par son style exquis.

Traduit de l'anglais par Antoinette Six
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Jamais un roman de Thomas Hardy n'avait aussi bien porté son nom. En effet, ce roman renferme une très belle et cruelle histoire d'amour mais renferme avant tout une magnifique et poétique ode à la nature. C'est pourquoi et même si je m'attendais à être plus touché, je ressors plus qu'enchanté de cette lecture qui se glisse facilement dans mes oeuvres favorites de cet auteur grâce à cette magnifique peinture.

Il est vrai que je ne sais pas ce que j'ai réellement le plus apprécié dans cette histoire tellement j'ai été envoûté par son ensemble. Pourtant, je dois dire que ce dernier m'a avant tout emporté grâce à ses innombrables et méticuleuses descriptions des divers paysages verdâtres qii entourent le hameau boisé Little Hintock. Tout au long de son roman, Thomas Hardy ne cesse de décrire la vie rurale avec réalisme et maniérisme. A tel point que la forêt et ses alentours prennent littéralement vie grâce à la poétique et aérienne plume de celui-ci et ce, jusqu'à en devenir des personnages à part entière. Effectivement, l'auteur développe avec richesse et détails son environnement et j'ai adoré le résultat final qui m'a offert de véritables peintures aux couleurs chaudes et chaleureuses et contrastant totalement avec le cruel romantisme dont ce dernier aime faire preuve. Bien qu'habitué à la dureté ainsi qu'à la noirceur de ses histoires d'amour, je suis toujours autant admiratif d'une telle analyse des sentiments. C'est une funeste et pourtant délicieuse romance que Thomas Hardy nous offre à nouveau et que j'ai pris plaisir à suivre. Cependant et quand bien même je n'ai pas été aussi touché que j'ai pu l'être par le passé, son style et sa prose ne se dévoilent pas moins émouvants et aboutis.

Malheureusement, je pense que ce manque d'émotions provient de la construction des personnages de cette oeuvre. Quand bien même j'ai apprécié les découvrir et les suivre dans leur intimité, ces derniers m'ont semblé assez sommaires et manquaient parfois de profondeur et d'ampleur. A commencer par notre héroïne Grâce que je n'ai pas toujours compris. Malgré toute la complexité de ce personnage et la dévotion dont elle fait preuve face à sa figure paternelle, il m'a semblé que certaines de ses réactions manquaient parfois de cohérence et de subtilité pour m'attendrir comme d'autres avant elle. le constat reste le même quant à ses deux prétendants, le bon et loyal Giles et Edred, le vil et vaniteux médecin. J'aurais apprécié que chacun de ces opposants soient bien plus nuancé et beaucoup moins catégorique dans sa construction. D'un côté il y a la bonté et de l'autre la méchanceté sans réel travail psychologique. Peu importe mon ressenti face à cette palette de personnages, je retiens surtout que grâce à cette dernière Thomas Hardy traite de sujets qu'il affectionne tant allant du mariage, à la place de femme et jusqu'à assumer l'adultère dans sa littérature. J'ai fortement apprécié le ton et la justesse dont fait preuve ce dernier pour aborder ces thèmes.

Ainsi et avec accalmie, Thomas Hardy donne vie à de doux et chaleureux paysages qui m'ont plus d'une fois subjugué et qui offrent une magnifique ode à la nature et dont la beauté contraste la noirceur et la cruauté de cette tragédie. Avec poésie et mélancolie, ce dernier offre une funeste histoire d'amour qui aurait davantage pu me toucher si la construction des personnages présentés ne m'avaient pas semblé parfois superficielle.
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Les Forestiers fait partie de mon top 3 des romans de Thomas Hardy que je préfère : je trouve que l'intrigue rappelle un peu celle de Jude l'Obscur (en moins déprimant) car ici aussi, on assiste à la "punition" de quelqu'un qui a voulu s'affranchir de son milieu social par les études. Même si dans le cas de Grace, la décision ne vient pas d'elle et, même si elle n'est pas heureuse dans son mariage, elle subit moins de tourments que Jude.

L'intrigue m'a semblée un peu longue à démarrer mais ce n'est pas gênant outre mesure : cela permet de faire connaissance avec chacun des habitants de Little Hintock, son métier et son histoire, et on voit peu à peu les ressorts du drame se mettre en place et se resserrer autour du trio Grace / Giles / Fitzpiers.

Comme toujours j'ai adoré être transportée dans l'Angleterre rurale du XIXe siècle, ses traditions, ses métiers... à travers des extraits de poèmes et de chansons, des fêtes paysannes ou tout simplement des descriptions de la nature. Comme le titre le laisse deviner, on est ici dans le monde des bûcherons, marchands de bois et cidriers, le temps et la vie est rythmée par les changements de saisons et les transformations de la nature et c'est vraiment un dépaysement total.
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Les Forestiers
Thomas Hardy
roman, Phébus, 407 p
traduit de l'anglais par Antoinette Six
traduction revue par Robert Strick 1996


Les Forestiers ou l'hymne aux coeurs purs et aux cerveaux qui ne sont pas instruits.
C'est un roman naturaliste et victorien du XIX° , qui se passe dans « un pays ni tout à fait verger ni tout à fait forêt » le Wessex, dans le Sud-Ouest de l'Angleterre, à la fois roman de moeurs, roman d'une époque, dans une campagne reculée, roman psychologique, et roman d'un amour impossible. Et pourquoi ? D'abord, pour Hardy, l'amour finit par la douleur et le chagrin. L'amour est vu de manière tragique. Et la femme doit lui faire peur, elle qui réclame toujours des concessions. Cependant l'intérêt se porte sur six personnages jeunes, quatre femmes et deux hommes, que leurs conditions opposent ou pourraient rapprocher, et pour qui les sentiments amoureux sont cause de tourment. L'amour se heurte à la classe sociale. le sujet est classique.
Grace sort d'une pension qui a coûté très cher à son père qui voulait lui donner une instruction au-dessus de son milieu, bien que son patronyme figurât dans les parchemins, et qu'on eût pu lui accorder une noble origine. Ce père, marchand de bois, s'était mal conduit avec son ami à qui il avait enlevé sa femme, et il s'était promis de donner sa fille au fils de ce dernier, Giles, pour réparer son acte indélicat. Mais le retour de sa fille métamorphosée, devenue femme avec des manières distinguées, lui fait revoir sa position : il est vaniteux. Ses regards se tournent vers un jeune docteur, Fitzpiers, intéressé par différentes études intellectuelles, et dont la chair n'est pas triste. Tout en courtisant Grace en jeune homme bien élevé, et parce qu'il a cru au départ qu'elle était la châtelaine, il goûte au corps d'une jeune paysanne délurée, Suke, qui aime sincèrement le docteur. Fitzpiers se rend compte aussi que le père de Grace a une coquette somme d'argent.
Grace connaît immédiatement la châtelaine du lieu, Mrs Charmond ; elles lient amitié. Cependant la première fait paraître plus vieille la femme de presque trente ans, et la seconde part en Europe sans emmener celle à qui elle avait fait espérer ce voyage. Mrs Charmond porte les cheveux d'une paysanne , Marty, qui les a vendus parce que son père est en train de mourir et qu'il faut de l'argent, et qui aime en silence Giles.
Giles, d'une virilité pure et chevaleresque, le dieu de l'automne, dont les yeux sont deux bleuets des champs, est un jeune homme naïf, extrêmement délicat, qui ne force pas sa chance.
Mrs Charmond est une femme fatale, aux moeurs libres, et elle séduit sans difficulté le docteur.
Les personnages simples sont constants, ceux qui viennent d'un milieu élevé ne le sont pas -l'instruction ne sert donc pas l'amour véritable- et Grace n'a pas des sentiments bien fixés. Elle est dans l'entre-deux. Elle reste sous la coupe de son père, est comme subjuguée par l'influence psychologique du jeune docteur sur elle. Son coeur tendre, et sensible à la compassion, sait-il aimer ? Une scène frappante rapproche les trois femmes qui aiment le docteur que deux d'entre elles croient grièvement blessé. Seule l'épouse a le coeur sec, et n'éprouve pas même de jalousie.
La nature, elle, suit son rythme, indifférente aux malheurs de ceux qui vivent avec elle, parce que impassible et sûre de son cours. La forêt jouxte les jardins des cottages. Les villageois y travaillent, on y prend le thé et le cidre, on y rit, les bois protègent, effraient, rapprochent, comme par exemple l'épouse et l'amante du docteur en proie toutes deux à la détresse, l'une de ne pas être respectée, l'autre de trop aimer. C'est aussi le lieu de la superstition. C'est là où Grace a ses repères. Dans les vergers, les pommes, aux différentes couleurs, poussent. Ne croyez pas à un décor bucolique. le travail est difficile, et les forestiers, qui forment comme un choeur tragique, commentent et grossissent, à leur manière brute mais lucide, les événements qui les sortent de leur routine.
Les barrières des champs, les rites, comme celui du solstice d'été, la proximité des bois avec le village du bout d'un monde, les fuites et les retours de la châtelaine, les paysans qui travaillent dans les ateliers du marchand de bois, enferment les personnages dans une sorte de huis clos dont ils sortent en se cachant, en épiant, dans des haies, dans l'ombre, tout comme ces derniers sont enserrés dans un déterminisme tant social, légal, que caractériel. le personnage est toujours sous le regard d'autrui. Tout, ou presque, finit par se savoir. le roman est doté lui aussi d'une construction fermée, commençant et finissant avec le digne personnage de Marty, qui s'efface également comme celui qu'elle aime, dessinant la figure d'un cercle qui assigne les personnages à leur lieu, milieu, désigné.
Thomas Hardy accorde un traitement particulier au temps, qui est l'allié le plus sûr du destin, du cours irréversible d es épisodes et incidents de la vie. Ainsi le temps s'écoule selon la marche des saisons, de la renaissance de la feuille à sa mort provisoire, et le lecteur suit à loisir les basculements et les incertitudes des coeurs, les péripéties contrariantes, mais parfois file en avant, rarement revient en arrière, et brusquement tranche comme un couperet : « Cinq heures plus tard, elle était la femme de Fitzpiers ». Et, avec les lois de l'époque, sa femme à vie.
Si le roman est long, l'intérêt est toujours renouvelé. Les rebondissements sont nombreux. Ce roman est presque un théâtre. Hardy y apostrophe le lecteur, lui fait part de ses goûts littéraires, cite des passages religieux, fait preuve d'humour, et son pessimisme est nourri davantage par la faiblesse des hommes que par le poids lourd de la destinée.
C'est un roman puissant, écrit par un créateur ; un sommet de littérature, convoquant l'universel, qui réjouit et grandit son lecteur.
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