Ce roman offre un agréable moment de lecture, sans grande surprise, quoique... , mêlant vengeance, culpabilité et innocence teintée de cruauté insouciante enfantine. Agrémentés d'une belle écriture franche et directe, les souvenirs de Framboise, pendant l'Occupation allemande, s'égrènent entre une mère autoritaire, un aîné un peu lâche et une jolie grande soeur attirée par les feux de la rampe.
Une période douloureusement floutée où les individus ne se scindent pas forcément en deux catégories distinctes. Les méchants "boches" envahisseurs et les innocents pauvres Français opprimés. Évidemment, les deux camps existent, seulement, il y a une foule de nuances entre eux. Ceux qui collaborent franchement au mépris de la Résistance, ceux qui commercent avec l'Occupant pour continuer à subsister, ceux qui tolèrent et qui se taisent en détournant le regard, etc. Une majorité de nuances de gris, entre le blanc étincelant et le noir profond. Tout le monde n'est pas de l'étoffe dont on fait les héros !
Les enfants, au milieu de ce magma informe, restent des enfants, s'adaptant aux contraintes du moment. Faciles à berner, inconscients du danger, leur vie se réduit entre l'école, les corvées de la ferme, les crises de leur mère et les jeux qu'ils inventent dans la liberté que leur octroie la nature. Dans ce coin de terre règne la majestueuse Loire aux mille facettes. Sous une surface calme et lisse se cachent de nombreux remous tourmentés à l'image des douloureux secrets de toute une génération.
Framboise est revenue incognito au pays sous le nom de Françoise. Une sombre histoire d'héritage va lui mener la vie dure, mais c'est surtout le carnet de recettes de sa mère, Mirabelle, qui sera une révélation. Émaillé de commentaires, aussi inattendus que mystérieux, elle découvre les secrets de sa génitrice, avare de tendresse pour ses enfants et pour quiconque s'approchait d'elle. La complexité de la personnalité maternelle lui saute aux yeux et lui permet de comprendre, enfin, l'origine du manque d'affection qu'elle a toujours ressenti.
En découvrant cette autrice, je me suis facilement laissée embarquer par le va-et-vient temporel entre la fillette futée de 9 ans vivant sous l'Occupation allemande, pas tout à fait innocente, avec ses soucis d'enfant, en quête de reconnaissance dans sa fratrie, et la grand-mère sexagénaire qui, tout en tenant une auberge, vit en retrait du village et compte bien solder son ardoise virtuelle avec les villageois et son passé.
L'ambiance ambiguë est savamment entretenue pendant tout le roman en traitant d'un sujet grave, rendu beaucoup plus léger et agréable à lire, vu au travers des yeux d'un enfant. Scindée en cinq parties, comme le titre, cette histoire est de celle qu'on déguste, comme l'agrume. Pelure après pelure, elle dévoile ses secrets, lançant parfois un jet acide serrant le coeur pour, finalement, se laisser déguster avec délice, enveloppée de fumets délicats à savourer doucement. "
Les cinq quartiers de l'orange" me permet de reprendre à mon compte, la répartie devenue célèbre d'un cuisinier très médiatisé pour qualifier cette lecture de gourmande et touchante malgré son âpreté souvent blessante.