Dans un futur indéterminé mais ravagé par le réchauffement climatique,
MotherCloud a dévoré toutes les parts de marché et fournit, grâce à sa grouillante flotte de drones, tout et n'importe quoi à une population désormais captive. Celle-ci se bouscule aux portes de ses entrepôts géants, installés au sein de villes dédiées, pour y travailler, mais la sélection est rude.
Paxton et Zinnia figurent au nombre des nouvelles recrues. Paxton est, à son corps défendant mais compte tenu de son CV (il a dû travailler quinze ans dans une prison mais n'a jamais aimé ça) affecté au service de sécurité (polo bleu) et rapidement chargé par son chef d'une tâche spéciale : éradiquer l'Oblivion, une drogue en circulation parmi les employés.
Zinnia, elle, fait partie des manutentionnaires (polo rouge), mais en réalité elle est infiltrée, à la solde d'un employeur dont elle ignore l'identité, qui l'a chargée de découvrir en quoi consiste la réelle source d'énergie alimentant le complexe.
Parallèlement au récit de leur arrivée chez
MotherCloud, on suit le blog du fondateur, Gibson : il lui reste un an à vivre et il se penche sur son passé, décrivant comment, pas à pas, il a réussi à bâtir, à partir de rien, son entreprise tentaculaire …
MotherCloud, on le découvre en vivant la journée de Zinnia, est un cauchemar d'entreprise (rappelant bien sûr, dans une certaine mesure, un géant de la vente à distance qui inquiète). Chaque individu y est suivi à la trace par sa montre, capable de le guider dans le dédale des entrepôts mais aussi de vérifier sa cadence (si elle faiblit, la jauge passe de vert à orange puis à rouge), de lui accorder ses pauses réglementaires au milieu de ses neuf heures de travail quotidiennes (2 fois 15 mn pour aller aux toilettes … qui peuvent se trouver très éloignées + une ½ heure pour déjeuner) et enfin de le noter, avec un joli petit système d'étoiles.
Comme il n'est pas difficile de se faire virer (le mot « syndicat » n'a pas droit de cité), qu'on peut, comme Paxton, avoir envie d'obtenir l'approbation de ses chefs pour se sentir reconnu, chacun obtempère, conscient qu'à l'extérieur sa place est ardemment convoitée. Il faut dire que, en dehors de
MotherCloud, vivre s'apparente beaucoup à survivre, sous une chaleur de plomb et dans un environnement où tout s'est dégradé :
« Les petites villes se sont effondrées. Les villages côtiers sont sous les eaux. Les grandes cités sont pleines à craquer, aux limites de leurs capacités. Au-delà même, parfois. Certains pays du tiers-monde sont pratiquement devenus des terrains vagues. »
« le monde est dans un triste état, alors j'essaie d'aider du mieux possible », déclare Gibson, le père de
MotherCloud. Au début, je l'ai presque trouvé sympathique, ce gars qui s'était fait tout seul, alors qu'il n'était pas né avec une cuiller d'argent dans la bouche. D'ailleurs il s'affiche en toute bonne conscience comme un véritable humaniste soucieux du bien-être de son prochain. Mais son credo me l'a rapidement rendu détestable, cette sentence qu'il brandit comme l'étendard de sa religion économique libérale : « C'est le marché qui décide », formule magique justifiant la manière dont il a sans scrupule englouti les petites entreprises et tous les petits en général, condamnés à disparaître par sa faute.
MotherCloud est une dystopie efficace, menée sans temps mort et qui, sous couvert de thriller d'anticipation, pose les bonnes questions. Elle nous attache derechef aux pas de ses deux principaux protagonistes, qui se croisent dès de début (et Zinnia, dans l'intérêt de sa mission, favorise leur rapprochement). Ils sont mus par des objectifs bien distincts, pourtant leurs parcours, au-delà des péripéties qui vont les jalonner, finiront par les confronter chacun à des choix lourds de conséquences. Car dans un univers entrepreneurial totalitaire, la question des libertés individuelles parvient malgré tout, parfois, à émerger à nouveau.
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