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Critique de Eric75


Qui ne connaît pas Stephen Hawking ? Il passe pour être l'un des plus grands théoriciens de la physique depuis Einstein. Son livre de vulgarisation le plus connu "Une brève histoire du temps : du Big Bang aux trous noirs", sorti en 1989, a été lu par 399 lecteurs de Babelio, ce qui constitue un record pour un ouvrage de cette catégorie. A titre de comparaison, "La Relativité", le célèbre exposé signé d'Albert Einstein lui-même, n'est connu que de 49 lecteurs et "Comment je vois le monde", du même Einstein, son best-seller, n'a été lu que par 146 lecteurs.

A la lecture de cet ouvrage, je me suis posé la question suivante : Comment reconnaît-on de la bonne vulgarisation scientifique ? Avant tout, l'exposé doit être clair et intelligible, à la portée de tous. Mais simultanément, l'ouvrage doit aussi apporter une perspective innovante, un éclairage original, sur un sujet donné, il ne doit pas se contenter d'enfoncer des portes ouvertes, il ne doit pas être trop « scolaire ». L'auteur doit trouver le juste équilibre entre le trop pointu, accessible aux seuls spécialistes, et le trop connu, qui ne vulgarise rien. Ce point d'équilibre est subjectif, car il varie selon la maturité du lecteur dans le domaine considéré. C'est donc au lecteur, in fine, de choisir parmi les vulgarisateurs celui qui lui conviendra le mieux, au besoin après en avoir testé plusieurs.

Au risque de fâcher les aficionados, je trouve que les livres de Stephen Hawking – que j'ai pu parcourir en diagonale dans les librairies – souffrent d'au moins quatre inconvénients récurrents. "Une brève histoire du temps", que j'ai fini par acheter, pour ne pas mourir idiot, et pour pouvoir publier au moins une critique portant sur un livre de ce célèbre auteur, ne fait pas exception à la règle.
Je tiens à préciser que l'appréciation de ces inconvénients est éminemment subjective, et les défauts que je signale peuvent ne pas être considérés comme tels par un autre lecteur. Parlons alors plutôt de tics d'écriture, d'obsessions, de choix éditoriaux, qui peuvent provoquer, en tout cas chez moi, plus qu'une contrariété : de l'irritation, voire une certaine allergie.

1. Inconvénient numéro un : Les livres de Stephen Hawking embrassent trop et étreignent mal. Stephen Hawking donne l'impression de survoler ses sujets. Il n'est assurément pas le seul auteur qui ratisse large, de l'infiniment petit à l'infiniment grand, mais compte tenu du petit nombre de pages de ses ouvrages, les sujets abordés ne peuvent être véritablement creusés. Pire, on n'apprend pas grand-chose à la lecture de ces essais, qui tous, peu ou prou, racontent toujours la même histoire. Certes, Hubert Reeves et Trinh Xuan Thuan font la même chose, mais leur prose, nettement plus poétique, laisse au moins passer un enthousiasme et un émerveillement intacts. le chapitre sur les trous noirs – passage obligé des ouvrages de Hawking, compte tenu de sa spécialité – m'a même semblé confus, à force de vouloir trop simplifier, édulcorer ou évacuer toute allusion un peu technique. On en apprendra plus sur les trous noirs en lisant Leonard Susskind ("Trous noirs : La guerre des savants"), Kip S. Thorne ("Trous noirs et distorsions du temps") ou Jean-Pierre Luminet ("Les trous noirs").

2. Inconvénient numéro deux : Des schémas et des illustrations plus symboliques que didactiques. Les illustrations choisies par Stephen Hawking n'inspirent pas grand-chose, elles semblent être mises là pour faire joli et non pour favoriser la compréhension ou éclairer les raisonnements. Ceci se vérifie particulièrement dans d'autres ouvrages, dont le remake de celui-ci ("Une belle histoire du temps", publié en 2005), pour lequel les illustrations ont visiblement été sélectionnées en fonction de leur potentiel esthétique. Dans le présent essai, les schémas sont plus conformes à ce que l'on attend d'un ouvrage scientifique, mais on a quand même droit au dessin de l'estomac d'un chien qui digère un os en deux dimensions. Hawking fait pire dans le remake de 2005, il se met lui-même en scène de façon ridicule sur de jolies photos en couleur : il entre en lévitation pour démontrer que notre espace possède trois dimensions, il s'affiche avec une pin-up pour illustrer l'attraction des corps !

3. Ce qui nous amène tout naturellement à l'inconvénient numéro trois : La « pipolisation » et le culte de la personnalité, se traduisant par une mise en avant de l'auteur qui ne s'efface jamais derrière son discours, s'expose sur ses photos, raconte sa vie privée au détour d'une phrase. Citation : « Si les trous noirs existent, Kip me devra une année de Penthouse ».

4. Last but not least, terminons par l'inconvénient numéro quatre : La confrontation permanente du discours scientifique avec les desseins de Dieu, comme s'il fallait nécessairement mettre la science et la religion en concurrence. Que vient faire Dieu ici ? Les ouvrages scientifiques qui convoquent Dieu à tout bout de champ dans leurs raisonnements – que se soit pour se mesurer à lui ou pour prouver/invalider son existence – m'horripilent. Au cours des siècles passés, depuis Galilée, la science et la religion n'ont jamais fait bon ménage. L'une ne peut rien attendre de l'autre, et réciproquement. Quand on évoque le Big bang, il est tentant pour certains de voir derrière le concept une théorie scientifique du « fiat lux ». Quand on mesure la précision des variables cosmologiques qui ont conduit à l'apparition de la vie sur Terre, il est tentant de discerner un « grand dessein » et un principe anthropique. Mais Hawking n'est ni un frère Bogdanov, ni Trinh Xuan Thuan, et ne tombe dans aucun de ces pièges. Sa position actuelle serait plutôt de dire qu'une horloge aussi bien réglée et autoentretenue que l'Univers n'a pas besoin d'un divin horloger. de même, le mathématicien Pierre-Simon de Laplace, fervent défenseur du déterminisme au XVIIIe siècle, annonça-t-il à Bonaparte qu'il n'avait pas besoin de l'hypothèse de Dieu. Dans leur dernier livre ("La fin du hasard"), les frères Bogdanov remettent au goût du jour le déterminisme et parviennent à la conclusion exactement inverse (comme quoi on peut dire tout et son contraire à partir des mêmes constats). Je crains que l'on n'ait pas fini de voir traîner les allusions à Dieu dans les ouvrages scientifiques. Curieusement, Hawking suggère « la pensée de Dieu » dans cet essai de 1989 mais remettra en cause son existence dans son essai de 2010 ("Y a-t-il un grand architecte dans l'univers ? "), en créant au passage une polémique. Reconversion ? Simple manoeuvre marketing ? Quoiqu'il en soit, Hawking empiète sur le domaine des croyances et de la religion. Invoquer Dieu ou ses divines intentions dans un essai scientifique me semble être une faute de goût ou un aveu de faiblesse.

Je ne nie aucunement l'idée que les ouvrages d'Hawking conviennent parfaitement aux néophytes. Comme je le disais au début de cette chronique, c'est au lecteur de choisir parmi les vulgarisateurs celui qui lui conviendra le mieux, au besoin après en avoir testé plusieurs. J'ai testé et j'ai choisi.
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