Justice indienne est un roman noir qui nous plonge de plein pied dans la vie d'une réserve indienne de Rosebud, dans le Dakota du Sud.
Nous faisons la connaissance de Virgil Wounded Horse, sorte d'homme à tout faire, avec ironie on dit de lui que c'est l'homme de main local, disons que Virgil a une carrure impressionnante et, pour quelques billets, loue ses gros bras pour mettre un peu d'ordre quand il y a du grabuge. Virgil est plein de loyauté, il a un sens de la justice, s'indigne quand elle n'est pas respectée... Et ici c'est monnaie courante, dans un contexte judiciaire où la justice fédérale refuse d'enquêter sur la plupart des crimes commis au sein de la communauté indienne, tandis que la police tribale dispose de peu de moyens... Alors, la nature ayant horreur du vide, c'est un peu une justice auto-proclamée qui s'impose, pour laquelle Virgil Wounded Horse prend à coeur ses missions, avec toujours une attention aux plus défavorisés. Virgil Wounded Horse est quelqu'un qui a le coeur sur la main, même s'il a le coup de poing facile...
Très vite, on découvre un peu l'histoire, le passé de Virgil Wounded Horse, qui désormais refuse le moindre verre d'alcool... Il vit avec Nathan, son neveu de quatorze ans dont il assure l'éducation, qui poursuit tant bien que mal sa scolarité.
Mais voilà que Nathan se retrouve mêlé à une sombre histoire de drogue, un peu par accident, presque à son insu, mais pour le coup la police fédérale met le nez dans cette histoire et ça ne sent pas bon, l'adolescent se retrouve enfermé dans un centre de détention pour mineurs en attendant que la justice se prononce sur son sort... Il suffit alors de tirer le fil de cette histoire comme un écheveau et Virgil découvre alors l'existence d'un réseau de trafiquants extérieur à la réserve, mais prêt à s'y infiltrer, à se propager comme une pieuvre avec ses tentacules, et cela, Virgil Wounded Horse ne le supporte pas un seul instant...
Ce sont les tripes de Virgil qui vont alors parler. Et elles seront éloquentes sur le sujet... Mais pour cela, Virgil devra composer avec l'autorité fédérale et le contrat qui est proposé, permettant à Nathan d'être libéré provisoirement, sous caution. Un avocat est dépêché et m'est avis qu'il ressemble comme deux gouttes d'eau à notre auteur...
Dans son chemin de justicier, Virgil entraîne dans son sillage son ancienne petite amie, Marie Short Bear, et c'est comme l'écho d'un souvenir merveilleux et douloureux qui refait surface.
J'ai aimé ce livre, j'y suis entré avec bonheur. J'ai entrouvert le voile d'un paysage que j'aime, que j'ai déjà eu l'occasion de côtoyer en littérature... Ici, le sujet des minorités dans une Amérique qui n'en tient peu compte, du moins sous l'ère qui s'achève de la présidence Trump, est un sujet auquel je suis très sensible... Comble d'ironie, les lakotas qui s'en sortent le mieux parviennent parfois à racheter aux Blancs quelques parcelles de terres qui avaient été confisquées à leurs ancêtres...
J'ai aimé le personnage de Marie, qui décide de bousculer le destin qui est souvent consenti aux jeunes générations amérindiennes, en voulant devenir médecin. Devenir médecin pour Marie, c'est aussi aspirer à aider son peuple.
Je vais vous donner trois bonnes raisons de lire et aimer ce roman.
Justice indienne est le premier livre de
David Heska Wanbli Weiden, un auteur d'origine lakota lui-même qui, de surcroît, a commencé une carrière d'avocat avant de se consacrer à l'écriture. Autant dire qu'il connaît son sujet.
Ce roman pose un regard sans filtre et sans concession sur la condition des Indiens lakotas, regard que l'on peut étendre sans difficulté à l'ensemble de la cause amérindienne.
Alors, parfois oui il y a quelques digressions, allopathiques ou culinaires, sociales aussi, qui nous éloignent du coeur du sujet, sauf à considérer que le coeur du sujet n'est peut-être pas cette intrigue policière, mais davantage le paysage sociologique qui l'entoure et l'occasion de découvrir une autre conscience, celle indienne...
Ceux qui y iront chercher l'intrigue policière comme seule essence de ce roman seront déçus. Ceux qui viendront chercher une âme, deux mondes qui se rencontrent, entre tradition et modernité, un pont entre deux rives, seront je l'espère séduits comme je l'ai été.
Ici la réalité américaine du XXIème siècle côtoie les rites de purification. Faire brûler un peu de sauge sur une tombe... Entrer au son des tambours dans les pow-wows...
Ici les techniques de guérison indigènes traditionnelles se combinent avec la médecine occidentale...
J'ai aimé ce regard touchant de Virgil se penchant sur la tombe de sa mère et se souvenant des derniers mots de celle-ci avant de rejoindre les grands espaces infinis des lakotas :
- Akita mani yo.
"Observe tout en marchant." Je crois qu'elle voulait dire qu'il fallait que j'aie conscience du monde tel qu'il était vraiment, pas tel que je voulais qu'il soit. La conscience indienne.
Oui, c'est bien la conscience indienne qui est au coeur de ce roman, à travers des histoires, des regards qui se croisent, la justice, l'amour, l'adolescence, la résilience, les rites de passage, l'écho d'une terre volée à leurs ancêtres, le devenir d'un peuple fragmenté entre tradition et modernité...
J'ai aimé les paysages intimes de ces personnages attachants que sont Virgil et Marie, j'ai aimé leurs doutes, leurs fêlures, leurs rêves immenses...
Enfin, je voudrais témoigner ici de la qualité de la traduction, ce roman étant traduit par
Sophie Aslanides. On parle beaucoup des auteurs et si peu des traducteurs. Il y a peu de temps, grâce à Nathalie qui se reconnaîtra ici, j'ai découvert l'existence de cette traductrice talentueuse, ayant notamment lu des livres traduits d'elle comme ceux de
Craig Johnson. On ne dira jamais assez le talent de ces traducteurs, qui sont des interprètes d'un texte, des passeurs, ce sont leurs mots que nous lisons finalement. Et je sais, pour avoir lu quelques propos de
Sophie Aslanides sur Internet, son éthique dans la traduction et surtout son attention à ne pas tout traduire de manière littérale. Imaginez un instant ce que cela aurait pu donner les noms de Virgil Wounded Horse ou bien Marie Short Bear, sous la plume d'un traducteur bien moins bienveillant...
Ce soir, chers amis lecteurs, je vous dis à mon tour : « Akita mani yo ».
Je veux ici remercier Babelio et les éditions Gallmeister dans le cadre de l'opération Masse Critique pour m'avoir permis de lire et partager ce très beau roman.