Un visage aussi parfait faisait du monde un endroit meilleur.
De toute sa vie, il n’avait jamais souffert d’insomnie. Chacune de ses journées était bien remplie, entre les visites, les lectures et les prières, et il se couchait exténué. Ces derniers temps, toutefois, il se tournait et se retournait, incapable de se détendre. Aux petites heures du jour, lorsqu’il finissait par s’endormir, il était poursuivi par des visions de la jeune institutrice et marmonnait continuellement dans son sommeil.
Elle n’avait pas grandi dans le village et, même si elle y avait vécu près de cinquante ans, elle avait toujours été considérée comme une nouvelle venue. Il en allait ainsi à cette époque. De mémoire, elle ne recevait pas de visites, elle n’avait pas d’amis ; elle était une étrangère et la fameuse hospitalité crétoise ne s’était jamais étendue à elle.
Le mystère canin, qui avait préoccupé la ville de nombreux mois durant, n’avait jamais trouvé de résolution satisfaisante. Les rumeurs étaient devenues des faits établis aux yeux du vieil homme : Costas Lagakis assassinait les chiens.
Cette histoire revenait en mémoire à Anna chaque fois qu’elle se rendait au marché où, afin d’atteindre l’étal de Diamantis, son boucher attitré, elle devait passer devant celui de Lagakis mais aussi de Petropoulos. Ce dernier flirtait avec toutes les femmes qu’il apercevait, contraintes de supporter une remarque subtile tirée de son répertoire restreint : il leur proposait un kilo de saucisses savoureuses ou de la poitrine de choix.
Lorsqu’ils étaient malades, les hommes du village recouraient à un autre genre de remède. Ils soignaient leurs maux et douleurs à coups de raki, une eau de feu qui semblait éloigner tous les microbes, et n’avaient que mépris pour la foi des femmes dans la potion du pope. Après tout, ce n’était que du miel et de l’eau !
Dans la plupart des campagnes, le nombre de femmes semblait supérieur, au moins du double, à celui des hommes. On apercevait celles-ci devant chez elles, sur les marchés, ainsi que dans les champs, où elles peinaient, et dans les forêts, où elles ramassaient du bois.