La certitude de l'incohérence des lectures, la fragilités des constructions les plus sages, constituent la profonde vérité des livres. Ce qui est vraiment, puisque l'apparence limite, n'est pas plus l'essor d'une pensée lucide que sa dissolution dans l'opacité commune. L'apparente immobilité du livre nous leurre : chaque livre est aussi la somme des malentendus dont il est l'occasion [...] Ce qu'on peut attendre de nous est d'aller le plus loin possible et non d'aboutir. Ce qui demeure humainement critiquable est au contraire une entreprise qui n'a de sens que rapportée au moment où elle s'achèvera. Je puis aller plus loin ? Je prends le risque : les lecteurs libres de ne pas s'aventurer après moi, usent souvent de cette liberté ! Les critiques ont raison d'avertir du danger. Mais j'attire à mon tour l'attention sur un danger plus grand : celui des méthodes qui, n'étant adéquates qu'à "l'aboutissement" de la connaissance, donnent à ceux qu'elles limitent l'existence "fragmentée", mutilée à un tout qui n'est pas accessible.
citation tirée des "Oeuvres complètes", VII p 199-201
L'inévitable inachèvement ne ralentit en aucune mesure la réponse qui est mouvement - fût il en un sens absence de réponse. Au contraire, il lui donne la vérité de cri de l'impossible. Le paradoxe fondamental de cette "théorie de la religion" qui fait de l'individu la "chose", et la négation de l'intimité, met sans doute en lumière une impuissance, mais le cri de cette impuissance prélude au plus profond silence.
Pour Bataille, l'usage surréaliste de Sade relève d'une "noire entreprise de déception et d'impuissance rhétorique". Les surréalistes se paient de mots plutôt que d'actes, leur sadisme est rhétorique. Ils ne vivent pas Sade, ils ne le revendiquent que pour s'en débarrasser au plus vite, comme un excrément. "la vie et l'oeuvre de Sade n'auraient donc plus d'autre valeur d'usage que la valeur d'usage vulgaire des excréments, dans lesquels on n'aime le plus souvent que le plaisir rapide (et violent) de les évacuer et ne plus les voir" Ce n'est pas que les surréalistes traitent Sade comme un excrément qui dérange Bataille, mais plutôt leur incapacité de rester en face d'un tel corps étranger et, par extension, de tout corps étranger. Sade, dont il n'est pas vraiment question dans le texte, c'est surtout un nom propre donné à l'objet sale, repoussant ou "bas", par rapport auquel les surréalistes, peu doués pour l'"hétérologie", préfèrent prendre de la hauteur. Lorsqu'il s'agit de Sade, ils défèquent trop vite, ils ont le nez délicat, comme tous les utopistes.
Avec lui, la vie devient, pour le peu qu'on en sait, louche, sale. Le propre s'y perd : qui après tout est Bataille ? Vécu-il ? Et que vécut-il, lui qui n'a cessé de faire miroiter quelque chose comme la limite de la vie ? Les biographes se casseront les dents sur cette question.
Du point de vue de Breton et de ses chambres de cristal, la vie de Bataille est en tout cas trop équivoque, comme ces récits minces et hâtifs qu'il commence par faire circuler sous le manteau, en les signant de pseudonymes et en brouillant parfois même les dates de publication. Oeuvres comme sans auteur, écrites par et pour personne, parfois posthumes, souvent interrompues : autant de gestes qui ne favorisent pas (...) l'idéal des surréalistes d'une parole branchée en direct sur la vie, ni leur idéal d'un devenir-manifeste d'une vie considérée comme exemplaire.
Pour montrer à quel point la lecture faite par Bataille de l'oeuvre freudienne vient frapper la refonte lacanienne comme un spectre (...) il faut évoquer le destin de (...) "L'origine du monde" (...) La peinture avait fait scandale.(...) Lacan en fit l'acquisition en 1955. Sylvia Bataile demanda à son beau-frère André Masson de confectionner pour ce tableau un cache en bois. Elle craignait de le laisser voir tel à ses voisins et à sa femme de ménage. Masson fabrique alors un panneau où était reproduits, en une peinture abstraite, les éléments érotiques de la toile d'origine.