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150 pages
Le Charivari (01/01/1841)
5/5   1 notes
Résumé :
I - Rédacteur en chef - (Le Charivari - 16 aout 1840)
II - Physiologie du journaliste (Le Charivari - 24 aout 1840)
III - Le gérant responsable (Le Charivari - 25 aout 1840)
IV - Le journaliste industriel (Le Charivari - 3 septembre 1840)
V - Le rédacteur criminel (Le Charivari - 6 septembre 1840)
VI - Le feuilletoniste (Le Charivari - 8 septembre 1840)
VII - Le rédacteur de salon (Le Charivari - 10 septembre 1840)
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'engouement pour le journalisme était très fort au 19ème, on espérait une renommée, une gloire politique, on concevait même le journal comme une industrie facile et rentable, du moins on le supposait… C'est une bien aimable anarchie des médias qui nous est détaillée par Louis Huart.

Toute la difficulté, particulièrement pour les journaux essentiellement politiques, consistait à rédiger beaucoup avec peu, ce qui se traduisait souvent par une foule d'emphases obscures.
Le « Premier-Paris » désigne, en jargon journalistique de l'époque, l'oeuvre capitale de la presse périodique, c'est à dire un premier article de longue et lourde dissertation sur la politique générale.
Fabuler, supposer, imaginer était le secours indispensable à l'absence d'actualités, à titre d'exemple de « Premier-Paris » :
« La france gardera-t-elle Alger ?»(Question principale suivie d'un article de fond) est demandé au ministère lequel répond par l'affirmative dans un communiqué délivré le jour-même. le lendemain, le journaliste renchérit inutilement « Qui nous prouve que la France veut garder Alger ? » Cette fois, le ministère ne répond rien, parce que la question lui semble oiseuse. le surlendemain, le même journal conclut qu'il y a, dans ce silence, une intention cachée, une suspicion à avoir et incriminera donc de façon théâtrale le gouvernement : « Nous vous sommons de répondre. Ne pas répondre, c'est avouer votre trahison. La France est évidemment prise pour dupe ! On ne veut pas garder Alger ! »
Voilà comme est dupé un lecteur par un feuilleton politique basée sur des suppositions sans fondements.

Voulant paraître savant à tout propos, le journaliste parsème ses articles de références codées. Il affectionne particulièrement s'exprimer par dates : « M. Thiers ou M. Guizot, il ne manque pas de vous parler du 15 avril qui marche sur les errements du 27 février, d'où le Tartineur politique conclut qu'on aurait aussi bien fait de s'en tenir au 19 mars qui lui-même était une continuation du 30 octobre » chaque date correspondant à un changement de ministère que le lecteur est censé mémoriser de façon infaillible.
Tant qu'à faire… Autant aller plus loin dans les énigmes et imiter : « Nostradamus et le Double Liégeois en fourrant aussi dans ses phrases un peu de Sagittaire, de Gémeaux, de Capricorne et autres signes du Zodiaque. »

Les réelles actualités étant rares et précieuses, la moindre affaire diplomatique est traitée, analysée, épuisée jusqu'au plus infime détail par le journaliste, et si le lecteur non assidu, se plonge hasardement en plein milieu d'une affaire, il n'y comprendra rien, faute d'avoir lu les articles précédents.

Il y a donc beaucoup d'analogies entre le roman et le journal politique, qui d'ailleurs, a aussi son flot de métaphores en tout genre : « on sait qu'il se recommande aussi par une foule de phrases magnifiques et d'un usage journalier, telles que « l'horizon se couvre de nuages, — le vaisseau de l'état »… Et comme la variété est une chose fort agréable, deux lignes plus loin le vaisseau de l'Etat se transforme en un char orné de son timon, et par conséquent le nautonier devient un cocher, — l'horizon couvert de nuages devient un volcan, et la tempête politique nous amène l'hydre de l'anarchie ! »

Si on ne pouvait pas entièrement contourner la censure, on pouvait, du moins en atténuer les effets. Aussi certains journaux d'opposition engageaient un « gérant responsable » homme de paille dont l'unique métier consistait à signer les articles d'un journal qu'on lui adressait chaque matin en apposant son nom.
En contrepartie d'un modeste salaire, il s'exposait en toute vulnérabilité aux créanciers du journal, à toute homme furieux blessé d'une injure, mais surtout, était susceptible d'aller en prison au nom et pour le compte des journalistes qui restaient anonymes.

Malgré la terrible loi de septembre 1835 restreignant très fortement la liberté de la presse, de nouveaux journaux pullulaient fréquemment grâce à la confiance aveugle d'investisseurs et petits porteurs. de malins floueurs puisaient ainsi les mains pleines dans les fonds récoltés afin de flâner à leur gré quelques mois dans la capitale. Certains filous allaient jusqu'à créer un journal factice dans l'unique but de soustraire des loges gratuites dans quelques théâtres… Quand il sortait parfois réellement un ou plusieurs numéros, le journal était alors inondé de publicités de toute part, les rares articles étaient consacrés à vociférer sur les théâtres n'ayant pas octroyé de places gratuites au gérant, à louanger les commerces qui ont versé une faible rémunération en contrepartie d'un article flatteur et à calomnier celles qui ont refusé de collaborer avec le journal crapuleux.

L'honnête journal « petit format » est réduit à parler mode, cuisine ou roman-feuilleton mais n'a que très rarement le privilège d'évoquer, même implicitement la politique. Un cautionnement de 100.000 Francs était pour cela requis, servant à garantir d'éventuelles dérives du journal qui serait trop farouchement opposé à la monarchie, ce qui était diablement dissuasif.

C'est donc tout un exploit que la rédaction d'un journal quotidien sans aucune allusion politique : « Il faut sérieusement se gratter le front pour trouver aujourd'hui un sujet d'article non politique, et qui réunisse les simples qualités d'être inédit, spirituel, de bon goût, très court et très inoffensif » (…) « Pour attraper ce petit article l'imagination de l'auteur se met en chasse et court les plaines et les bois, les monts et les vaux. le lion, la panthère, le rhinocéros, le moineau-franc, tout gibier qui lui est bon pourvu qu'il fournisse une centaine de lignes. Pour pêcher les cent lignes demandées, mon homme plongera, s'il le faut, dans le fond des mers et ira chercher des poissons comme on n'en voit guère, des serpents comme on en voit peu, des tortues comme on n'en voit pas ».
La mode féminine était un bon sujet commercial tant il était facile de produire bon nombre d'articles à ce sujet, il y avait d'ailleurs déjà des journaux exclusivement féminins à l'époque. Pour ce faire, les journalistes se travestissaient en femme, signant du nom de « Comtesse de, baronne de… ». Les femmes de lettres refusaient et dédaignaient la rédaction d'articles de modes, préférant publier des romans-feuilleton.

Les plus populaires des articles, dépassant même le roman-feuilleton selon l'auteur, sont les faits divers des crimes et délits. le « rédacteur criminel » passe sa journée entière à récolter cet « or en barre ». En matière criminelle, le plus palpitant est un fils assassinant son père et en ce qui concerne les délits, le plus excitant est un humiliant procès en adultère.
Si la météo criminelle n'est pas bonne, le « rédacteur criminel » déploiera toute sa verve de romancier pour transformer le banal en un fait extraordinairement saisissant : « La moindre querelle entre deux portières lui suffit pour inventer un dialogue (…) il transforme les noms vulgaires des personnages en d'autres noms beaucoup plus burlesques. »

Ces journaux fascinent tant qu'une foule entière attend aux portes des tribunaux en vue d'assister aux procès, non sans quelques déceptions : « Aussi les amateurs qui, sur la foi des comptes-rendus des journaux, vont faire queue pendant deux heures pour parvenir à assister à une audience de la police correctionnelle, sont grandement désappointés lorsqu'ils n'entendent pas à l'audience un feu roulant de reparties spirituelles, de mots baroques et de dépositions drolatiques. Tout cela n'existe que dans le cerveau des journalistes, qu'on a eu soin de choisir parmi les plus spirituels de Paris.»

Curiosité journalistique du siècle, le sténographe, censé recopier machinalement les discours des députés, peaufine et agrémente chaque élocution, ce qui était très utile aux orateurs confus, maladroits ou abscons :
"Ce n'est pas tout que de suivre ces orateurs, il faut encore les comprendre ; or, souvent ils ne comprennent pas eux-mêmes. Heureusement que le Sténographe corrige ces discours tant bien que mal, fait disparaître les tournures de phrases germaniques, les participes déplacés, les liaisons hasardées et autres vétilles grammaticales."
Il n'échappe pas, comme ses confères, à l'irrésistible envie de tout théâtraliser :
« Le Sténographe gouvernemental a toujours soin d'émailler les discours des députés dévots d'une foule de parenthèses qui produisent de l'effet sur les personnes qui n'assistent pas à la séance. Exemple : « l'honorable Coquillard monte à la tribune : — Messieurs (vif mouvement d'attention), je ne répondrai pas aux attaques de l'honorable préopinant (marques nombreuses d'assentiment) néanmoins je dois déclarer que mon opinion relativement à l'Angleterre (écoutez, écoutez !) est invariable, et par conséquent ne variera jamais (bravos prolongés) » 

Physiologie assez précise sur ce drôle de journalisme détaillée avec l'habituelle légèreté de Louis Huart.
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