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Critique de Korylle


Parfois le diable se promène, sous une forme une autre, à la surface de la terre, incognito parmi les mortels. Parce que oui : le Diable existe ! Et tous les sceptiques jouent sont jeu à la perfection. Car le plus bel ange du royaume céleste, chassé par son père qui a ordonné sa chute, ne veut surtout pas être vu, ni même reconnu.
Cette nuit-là, durant les années 1940, c'est dans Time Square que rôdait Satan, sous l'apparence d'un toxicomane, arnaqueur à la petite semaine, semi-clochard à l'oeil brillant, à l'affut du moindre coup, de la première occasion de tromper ou de séduire, ou alors d'un bon plan à trouver pour payer le prix de ses vices. En réalité, ce regard sautillant d'un individu à un autre, d'un groupe à un promeneur solitaire, sondait les âmes et en jaugeait le potentiel.
C'est dans la faune de Time Square que William S. Burroughs, totalement inconnu du grand public à l'époque fit sa rencontre ; ce fut le détonateur d'événements au retentissement considérable. Burroughs commença rapidement à nouer des contacts avec ce petit magouilleur accroc aux opiacés, qui vivait larcins minables depuis l'âge de douze ans. Huncke devint une sorte de liant entre le monde littéraire et la "Zone", la rue dans ses profondeurs les plus obscures.
William S. Burroughs, qui fréquentait déjà les cercles littéraires avec ses amis proches, Allen Ginsberg et Jack Kerouac, fit pénétrer Herbert Huncke dans des milieux qu'il se mit à apprécier fortement. Lui qui se contentait de naviguer entre Time Square et la 42ème rue, à la recherches de "contacts", fut servi. Billie Holiday, Dexter Godon, Charlie Parker et, surtout, le trio qui sera le noyau dur de la Beat Generation. C'est un pacte tacite qui est scellé alors : Burroughs, Kerouac et Ginsberg lui ouvraient les portes des cercles littéraires et du monde du jazz, contre quoi Huncke deviendra pour eux une sorte de guide de la rue, un mentor de la vie détachée de toute contrainte, un guide dans les dédales du vice des ruelles les plus sombres de Manhattan et une source d'inspiration. Ce sera un Virgile des profondeurs de New-York, jamais en mal d'inspiration pour conter aux futurs écrivains des histoires vécues un peu partout sur la planète. Il leur donnait de la matière, profitant sans trop de scrupule à un trafic qui coulait dans les deux sens : Huncke donnait aux auteurs l'essence de la rue et eux offraient au junkie une sorte de paravent social. le premier résultat fut "Junky", le roman de William Burroughs qui s'inspira énormément du zonard pour l'écrire.
Donneur de vices, c'est lui qui va initier Ginsberg à la benzédrine mais, surtout, qui va attirer Burroughs dans les bras du "Singe", de la morphine, ainsi que de tous ses frères et soeurs, lui apprenant à soutirer des produits aux médecins, à se shooter à l'héroïne. C'est en 1944, en la compagnie toxique de Huncke, que Burroughs tombe accroc pour de bon.
Cet individu étrange, parasite par excellence, réussit à entrer dans la sphère de ces génies potentiels.
On peut dire que ce minable, gigolo, voleur, menteur, toxicomane, bisexuel par intérêt, taulard, squatteur et parasite fit un cadeau à chacun des trois amis auteurs, sous la forme d'une énergie noire comme l'encre des machines qui permit à chacun d'entre eux d'écrire le grand livre de leurs carrières. "Le Festin Nu", de William Burroughs, "Howl" d'Allen Ginsberg et "Sur la Route" de Jack Kerouac. La Beat Generation était née, et l'Amérique connut une révolution culturelle épidémique comme il n'y en a eu que très peu dans le monde. Huncke, lui n'aura finalement laissé que peu de travaux littéraires derrière lui. On notera "Coupable de tout", une sorte d'autobiographie qu'il finira par publier, sans grand succès. Mais était-ce réellement cela son but ? Néanmoins, c'est dans ce texte qu'apparut pour la première fois le mot Beat, désignant une personne vivant sans argent et n'ayant devant lui que peu de perspectives ; c'est ainsi que le terme « Beat Generation » est né. Il n'a donc fallu à notre Satan littéraire qu'un seul mot, perdu dans un sombre livre, pour générer une révolution culturelle énorme.
Pour conclure, disons que Huncke, s'il n'a jamais vraiment fait de miracles en griffonnant sur ses petits carnets, a joué le rôle "Grand Tentateur", de "Propagateur du Vice" et inspiré les autres. Sorti du néant pour y retourner presque aussitôt, il aura joué le rôle de stimulateur littéraire, venu guider la Beat Generation vers une destinée aussi magique que toxique.

Ghislain GILBERTI
"Le Cabaret du Néant"
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