Plus d'un an que je voulais lire ce roman (prix Femina 2022) que j'avais offert à une amie et qui lui avait beaucoup plu. Une veine éco féministe, pas militante, mais enthousiasmante, qui propose une autre relation à l'animal, « la chienne domestiquée » et « la femme ensauvagée ». La narratrice, romancière octogénaire, a emménagé dans la montagne avec Grieg, son compagnon de toujours. Désabusé sur la société, Grieg se réfugie dans sa tanière, chambre bibliothèque dont il ne sort plus guère, relisant sans cesse les mêmes ouvrages et dormant le jour, tel un clochard céleste, édenté mais encore séduisant. Quant à Fifi (la narratrice ainsi surnommée par son compagnon), alors qu'elle s'apprête à prendre le train pour se rendre à une rencontre littéraire, elle trouve sa porte une petite chienne qui s'est enfuie car elle était maltraitée. Brève rencontre, mais à son retour, la chienne manifeste tant d'amour qu'elle rejoint le vieux couple. Une boule de poils et d'énergie qui déborde de joie et d'affection, et que la narratrice va nommer « Yes », un oui à la vie qu'elle embrasse sans réserve. Et voilà Fifi, dont le grand corps vacille, mais qui a chaussé des « Buffalo » magiques (grolles improbables adoptées par
Brigitte Fontaine, c'est dire !) pour arpenter la montagne, un périmètre de sept kilomètres autour de chez elle, comme une île ou une bulle protectrice, en compagnie de Yes. Laquelle accompagne l'autre, d'ailleurs ? Au lieu d'écrire, notre romancière passe ses journées à crapahuter, observant avec acuité les oiseaux et tous les animaux qui peuplent la montagne, y compris les hommes qui s'y aventurent et dont elle se méfie. le corps vieillit et s'abîme, le monde court à sa perte et la nature se détériore de jour un jour, mais la joie demeure, celle de vivre et de faire corps avec le vivant. Un roman passionnant, que j'ai abondamment souligné et dont les références m'ont souvent parlé (
Arthur H et
Dominique A pour la bande-son, par exemple). Je me réjouis à l'idée de découvrir d'autres ouvrages de cette autrice !
« Faire partie des êtres humain n'est qu'une façon très restreinte d'être au monde. […] on est plus vaste que ça. » (p. 135)
« L'écriture pénètre d'une révolte, devenir un engagement, est une protestation. » (p. 170)
« On s'habituerait au pire. […] On allait tranquillement banaliser l'insoutenable. » (p. 281)
« Les mots, les oiseaux, ensemble, lié, fragile, abîmé, décimé par nous, ça, je le ressentais très fort. » (p. 179)