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sur 650 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Après « La survivance » et « La langue des oiseaux » c'est le troisième roman de cette auteure que je dévore depuis mon environnement bitumé de citadin.
Lire cette écri-vaine, comme elle se définit, c'est pour moi, pénétrer une dimension quasi inexplorée à la nature souveraine où le guide de vie est l'instinct.
Merci à Mme Hunzinger d'être mon tempérament opposé. Cette altérité bienfaisante, m'enivre, m'emporte. Je me sens choyé mais malgré tout bousculé, effrayé, par l'importance et l'urgence sérieuses à maitriser les concepts inquiétants et menaçants énoncés dans ce roman.
L'anthropocène, cette nouvelle époque géologique qui se caractérise par l'avènement des hommes comme principale force du changement sur terre surpassant les forces géophysiques est en marche et se confirme être suffisamment alarmante pour nous entrainer dans un chaos intégral si elle n'est pas endiguée.

Sophie Hunzinga et Grieg son compagnon se sont retirés dans une ancienne bergerie au nom prédestiné : « Les bois-bannis ». Ce lieu-dit excentré, peuplé en son temps par des anabaptistes est à une heure de marche de tout site habité.
Ils ont pour seuls remparts leurs livres, leur connaissance et leur amour de la nature.
« Et moi, je voulais encore une fois gouter au plaisir infini de déguerpir. Déguerpir, c'est ma base de romancière. de livre en livre, je me suis accrochée au déguerpir comme à la queue d'un renard. »

Par je ne sais quel prodige, malgré la perception de ce chamboulement annoncé, je me sens serein. Est-ce cette écriture expérimentée et érudite qui canalise mon inquiétude débordante, qui ralentit mon pouls, qui m'apaise et me tranquillise ou est-ce l'apparition d'une vieillesse partagée avec Sophie et Grieg qui atténue le marasme à venir par le vécu d'une vie déjà bien pleine ?

Dans ses romans, Claudie Hunzinger m'a rendu capable avec sensualité et poésie à percevoir le sifflet des oiseaux dans les cimes, à écouter bruisser les feuilles des arbres, à saisir les plaintes du vent, à pactiser avec un âne aimable, à voir un cerf autrement.
Comment ne pas être ensorcelé ?
Je suis comme un chien à sa table, j'attends qu'elle me jette ses mots en pâture pour m'en délecter, m'en réconforter, m'alerter aussi, jamais rassasié.
Je ne suis plus là, je suis dans ses pas, dans mes brodequins boueux à arpenter le terroir autant que le territoire avec « Yes » sa jeune chienne qui l'accompagne et qu'elle aime à l'égal de son compagnon aigri de la vie bafouillant qu'on lui foute la paix.

Je n'ai pas les compétences pour faire un quelconque bilan. « Il disait qu'on s'habituait tranquillement, voilà tout. Qu'on s'habituerait au pire. Qu'on allait tranquillement banaliser l'insoutenable. »
Je n'imagine pas ma part de responsabilités mais je suis conscient du dégât accompli et de l'immense tâche à effectuer pour soigner ce qu'il est encore possible de sauver.
« Mais je le répète, le monde ne s'était pas écroulé. Juste un peu plus que la veille et c'est un fait qu'on ne lui appartenait déjà plus. »

Parce que je repense à toutes mes années de services, bientôt, il y a aura les années de sévices. le temps perdu qu'on ne rattrape plus. Antisocial, je perds mon sang froid…
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Magnifique roman qui vient d'avoir le Prix Femina 2022. Belle récompense méritée. Premier livre que je lis de l'autrice mais sûrement pas le dernier.
Sophie et Grieg habitent dans les Vosges au milieu de la forêt. Cela fait trois ans. Un soir, une jeune chienne surgit auprès du vieux couple avec sa chaîne brisée et une apparence maltraitée. Sophie l'adopte et la prénomme Yes. Ce n'est pas qu'un roman pour femmes à toutou, c'est beaucoup de choses. Elle parle du monde qui va mal, de la nature qui la ressource. La présence d'autres humains est vue comme un danger à ses yeux. La vieillesse y est souvent notée, mais l'autrice garde une fraîcheur d'écriture et un dynamisme à toute épreuve. Une belle réflexion sur la vie d'aujourd'hui ainsi que des souvenirs d'hier. Un livre que je vous recommande bien évidemment.
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Après avoir savouré « La langue des oiseaux », un roman plein de grâce de Claudie Hunzinger, j'ai eu envie d'un nouveau moment de poésie et de douceur. J'ai donc choisi « Un chien à ma table », prix Femina 2022.
Claudie Hunzinger nous emmène dans un voyage intime à travers sa vie, en partageant ses moments de joie, de tristesse et de réflexions.

« Pourquoi, un soir de cet automne, ai-je alors pensé : je veux bien être devenue vieille, d'accord, je prends la vieillesse et son corps déglingué, mais je prends aussi l'inconnu qui va avec elle ! J'avais oublié l'inconnu. N'oublie pas l'inconnu. Et j'ai longuement pensé à l'inconnu devant moi, et la vieillesse m'a semblé devenir une sorte d'expédition en zone inconnue. Je l'ai pris comme ça. Je me suis dit je vais écrire le livre de cette expédition. »

*
Sophie Hunzinga et son mari Grieg ont acheté une vieille bâtisse perdue au fin fond de la forêt vosgienne, dans un lieu-dit au nom prédestiné « Les Bois-Bannis ». C'est une maison à leur image, à la fois ancienne, rustique, simple, isolée, chaleureuse, un petit joyau dans un écrin de verdure.

Le récit commence au moment où la narratrice aperçoit dans la nuit, une ombre craintive s'approcher du seuil de leur maison en rampant dans les herbes. Avec douceur, elle va l'amener jusqu'à elle : c'est une petite chienne crottée, affamée, ayant subi des maltraitances.

La petite chienne, qu'ils vont nommer Yes, va très vite se faire une place dans cette maison accueillante et paisible. Malgré les sévices subis, Yes est de nature joyeuse, joueuse et affectueuse. Elle va changer la vie du couple, illuminant leurs vieux jours.

« C'était tellement génial d'étendre la main gauche et de pouvoir toucher un ami d'enfance, vieil humain fourbu, complice, frère usé comme moi ; et d'étendre la main droite et de toucher un non-humain recueilli, soigné, sauvé, enveloppé de sa pelisse électrisée d'énergie. »

Leur relation avec Yes est décrite de manière touchante, avec une profondeur et une sincérité qui rendent cette amitié spéciale, un témoignage qui peut faire écho avec notre propre histoire.

« Jamais aucun chien ne m'avait regardée de sa façon à elle, plongeant ses yeux au fond des miens, voici qui je suis et toi qui es-tu ? Un regard cherchant le mien dans sa souveraineté. »

*
Je pensais que ce livre était un roman tourné vers cette petite bête victime des hommes, son passé. Mais je l'ai trouvé plus proche de l'autobiographie ou de l'essai, empreint de réflexions au quotidien.

A partir de cette belle rencontre, l'autrice va relater sa tentative de trouver un sens à sa vie, d'accepter le temps qui file, de renouer avec sa vie malgré l'usure du corps. La séparation, la mort, le deuil et la solitude de celui qui reste se glissent aussi entre les pages.
Des mots émouvants.

*
On entre dans le quotidien de Sophie et Grieg et on apprend à mieux les connaître. Ils forment un couple attachant et sympathique, leur complicité est belle à lire.

Sophie, romancière et « observatrice du vivant », aime la nature et les balades dans la campagne environnante. Je me suis sentie proche de cette femme ensauvagée et rebelle, même si je ne le suis pas moi-même : son monde proche de la nature est celui dans lequel je m'apaise et me ressource. Avec elle, je suis partie pour de longues promenades en forêt, revenant courbaturée mais profondément heureuse.

Grieg, lui, vit retiré des hommes, il a choisi le monde de la fiction et de la littérature, dormant le jour, dévorant les livres chaque nuit. J'ai aimé me retrouver avec lui le soir, au milieu de tous ses livres, savourant un moment de lecture, emmitouflée sous la couette, bien au chaud.

*
Claudie Hunzinger aborde des réflexions profondes et universelles sur la vie et la mort, sur la nature humaine et la recherche du bonheur, la solitude et l'importance de l'amour dans nos vies, sur la vieillesse et le désir.
Elle et son compagnon ont choisi un retour à un mode de vie plus simple, solitaire, proche de la nature, tourné vers l'essentiel. Même au milieu de la douleur et de la tristesse, je les ai sentis plus proche du bonheur que ceux qui le recherchent dans le monde artificiel de l'argent, du consumérisme, de l'individualisme.

« Nous étions bien, nous, bande de bannis aux Bois-Bannis. Nous, complètement givrés. Totalement décalés. Nous deux, augmentés d'une petite chienne – pas même un loup. Nous deux devenus trois. »

Un autre thème fort est celui de la beauté et la fragilité de la nature. Elle évoque notre environnement que l'on saccage inconsidérément, la nature que l'on dénature sans pitié, la vie animale qui s'éteint dans l'indifférence collective. Ses mots passionnés donnent à voir l'importance de protéger notre monde qui est si beau.

« Les mots, les oiseaux, ensemble liés, fragiles, abîmés, décimés par nous, ça, je le ressentais très fort. Quand est-ce que tout avait commencé ? Sans doute bien avant qu'on s'en aperçoive. »

Les animaux ont également une place centrale dans son récit : l'autrice aborde la condition animale, l'amitié entre l'homme et l'animal, leur place dans nos vies et notre responsabilité envers eux.
Que c'est triste de voir la SPA crouler sous la hausse de chiens et de chats abandonnés, c'est une réflexion toute personnelle que j'ajoute après un reportage vu à la télévision.

« Tandis que son corps tressaillant me suivait de près en train de démêler son pelage au peigne, tout ce qu'il y a de cruauté dans le monde entier s'en envolait par poignées, tout ce qu'il y a de servitude, de perversité, d'abandon flottait à présent joyeusement au-dessus de la prairie, métamorphosé en petits nuages vaporeux. »

*
Son style d'écriture, émaillé de belles descriptions sur la nature, est marqué par une grande sensibilité, une profonde empathie et des réflexions personnelles sur notre époque.
J'ai retrouvé dans ce livre la prose poétique de l'autrice, le chant des oiseaux, le nuancier des odeurs, la cacophonie des couleurs. le rythme est doux et paisible, enjoué et vivant, triste et mélancolique, mais aussi plein de sens, d'humanité et de révolte.

*
Pour conclure, "Un chien à ma table" est une belle histoire d'amitié entre un couple et leur chien, mais c'est aussi un livre contemplatif, touchant et engagé qui transporte le lecteur dans les pensées et les émotions de la narratrice.
« Un chien à ma table » est une jolie lecture pour ceux qui recherche une lecture inspirante, pleine de sens, investie en faveur de la préservation de la biodiversité.
Un hymne à la littérature, à la nature, à la vie.
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Arrêt non pas sur image mais sur le titre : «  Un chien à ma table » du roman 2022 de Claudie Hunzinger. Ce titre a pour référence le film de Jane Campion, « Un ange à ma table », apprend-t-on en lisant le journal 2021 d'Albert Strickler, bien informé. (1)

Le tableau d'ouverture est grandiose, d'une beauté stupéfiante. On imagine la narratrice devant sa maison, à la tombée de la nuit, contemplant la montagne se parer de violet de plus en plus intense. Situons cette maison où Claudie Hunzinger a écrit Les Grands Cerfs : en pleine forêt, dans un coin retiré, paumé même où elle peut croiser une vache, une biche… et des «  survivors » sur le GR5, dont elle se méfie.
Ce qui explique que la romancière soit attentive à la végétation l'environnant et à sa mutation : « campement de digitales, frondes de fougères ». Un univers qui abrite tout un monde invisible. Cette plongée au coeur de la nature rappelle pour le décor et la rencontre fortuite Chien-Loup de Serge Joncour. Et de s'interroger, tous les deux, sur la provenance de l'animal, sur ses maîtres.
Dans les deux romans, on assiste à l'apparition de l'animal , depuis l'ombre mouvante jusqu'au portrait très détaillé de cette silhouette canine.
Revenons à cette apparition providentielle qui surgit devant Sophie, la narratrice, double de l'écrivaine. Elle surnomme cette petite chienne, à la chaîne brisée, qui semble avoir été victime de violence, « yes ». Leur complicité est un vrai phare pour le lecteur. Yes, devient une source de joie, le sésame d'une nouvelle existence. Mais si Yes est vive, son humaine n'est pas si leste à la suivre et chute parfois, car elle sent son corps la lâcher. Quand son genou « crie », elle lui rétorque: « Ferme-la ».

On suit le quotidien du couple que la narratrice forme avec Grieg, un homme usé, «  dépecé par l'âge, gris froissé ». Un ancien berger qui ne bouge plus, dort tout habillé, lit à satiété. Un compagnon qui ronchonne car il subodore ( à juste titre) que ses paroles serviront de terreau à la romancière !
Ainsi elle consigne la teneur des jours, des saisons, et les évoque avec brio.
La présence de Yes convoque les souvenirs des chiens qu'il a eus précédemment. Cette chienne est aussi le trait d'union entre Sophie et Grieg, deux êtres aux tempéraments opposés. Scène touchante, de voir le trio dormant dans le même lit : «Une tanière, ça unit les humains et les bêtes ». Quand Yes dort, elle surveille son sommeil et s'interroge sur les rêves des animaux. La perte de l'ânesse Litanie, avec qui elle faisait «  la paire » est si douloureuse que la romancière a besoin d'évoquer leur osmose, « sa main sur son pelage » :
«  Nous nous augmentions l'une de l'autre ».

Le récit met en lumière la relation amoureuse des deux protagonistes, leurs mots affectueux ( Biche, Fifi, Cibiche), leurs gestes de tendresse, le désir qui peut encore surgir.  « Il n'est pas question que l'amour/ vienne à manquer »,chante Sophie, fan de Dominique A, comme Brigitte Giraud ! Chanson qui scelle leur promesse de fidélité.

Ce couple qui a choisi de vivre à l'écart, reste toutefois au courant de l'actualité, consultant deux journaux en ligne et la presse apportée par le facteur. D'où les réflexions sur l'état du monde, sur la dégradation des forêts qui entourent le Bois-Bannis (qui n'est autre que la région de Bambois où Claudie Hunzinger a observé les cerfs à l'affût, expérience relatée dans Les Grands Cerfs).
Même si ce monde « est troué, rétréci, sali », la narratrice veut encore croire à l'existence de «  merveilles entre les mailles rongées » et se gorger de beauté.
L'artiste plasticienne dénonce la manière dont Plantu a traité Greta Thunberg après son passage dans une émission télé. Et cite cette maxime : « L'écriture peut naître d'une révolte, devenir un engagement, une protestation ».

Claudie Hunzinger développe par ailleurs une longue analyse de l'écriture. Pour elle c'est comme «  assembler une bécane à partir de n'importe quoi, on s'accroche à elle, on roule, on est libre. On peut prendre des chemins interdits ». Elle justifie son emploi de l'imparfait ainsi : «  J'aime ce qui d'être perdu me déchire. Je suis un fantôme racontant les souvenirs d'un monde qu'il a connu. »

Son style est caractérisé par des phrases limitées à un mot : « Etre », à des séries d'adjectifs : « Souverain », « Délabré », Insolent ».
Par des comparaisons inattendues : «  Au loin la mâchoire des Alpes bleue et la prairie ocre clair ressemblant à une bête coincée entre ses dents ».
Une narration émaillée de références musicales ( Yes a l'oreille sensible au son d'harmonica!) , truffé de références littéraires ( citations de Corneille, de Thomas d'Aquin : « Sicut palea. On s'en fout ».), et cinématographiques. Des titres en italiques, en anglais.

Ce roman permet une immersion « into the wild », offre une forme de méditation appelée « shinrin-yoku » au Japon, un bain de forêt. Suivre Sophie , c'est marcher dans son «  île en montagne », emboîter le pas de celle qui «  se sent bien dans les marges et les broussailles », lors de ses promenades avec Yes. C'est prêter attention à l'environnement ( sons, couleurs, odeurs), nos cinq sens en éveil. Avec enthousiasme, on chemine dans ce décor dans lequel Sophie «  ne fait plus qu'un avec la nature », au point de se croire « un être composite avec une truffe de chien, des cheveux de ronces, des yeux de mûres écrabouillées, des joues faites de lichens, une voix d'oiseau ». Elle s'est ensauvagée et éprouve de la compassion pour la forêt.
Avec le trio, le lecteur partage le repas frugal de Saint-Sylvestre dont une compote de myrtilles qui leur donne une langue bleue , « gothique ». Pas de champagne dans les réserves de leur « hôtel Shining » ! Mais la lueur d'une bougie vacillante.

Quel plaisir également de contempler le spectacle unique, «  rarissime de l'alignement de Saturne et Jupiter.. » qui s'offre à eux, au crépuscule !
«  le monde devenu une sorte de théâtre » pour la narratrice.

Telle une botaniste, nourrie de ses lectures de guides, elle apporte des connaissances sur les lichens, les colchiques. Elle s'émerveille de « prendre un flash de jaune en pleine figure ». Elle s'attarde sur le devenir d'un bouquet de fleurs et dépeint sa métamorphose au fil des jours jusqu'à son agonie. Miroir de la décrépitude humaine.

La conscience écologique est manifeste dans leur façon de vivre, dans le constat de la disparition d'espèces rares. Ils voient « l'air déglingué », « le désert monté à leur porte » avec « une poussière dorée, presque orangée » déposée sur le rebord de la fenêtre par le sirocco.

On devine que Sophie aurait envie de dénoncer ( à l'instar de Benoît Duteurtre) ces viandards, ces «  bouffeurs de biche » qu'elle épie, tapie sous un épicéa, lors de leur sortie d'une auberge gastronomique.

L'écri-vaine nous glisse ce conseil De La Fontaine ( pourquoi en anglais?) : « Enjoy deeply the very little things , qui fait écho aux « riens somptueux » d'Albert Strickler.

On est happé par la succession de tableaux naturalistes qui défilent en toile de fond où évolue un couple aimant, perclus par l'âge, dont le naufrage de la vieillesse est apprivoisé par la compagnie de la petite chienne Yes. Elle les revigore et leur apporte de la gaieté par son extravagance, sa folie joyeuse. Toutefois Sophie refuse de se résigner devant l'impitoyable aujourd'hui. Elle incarne une forme de résistance.
L'écriture reste sa raison de vivre, sinon ce serait la mort. Un récit touchant, à la veine autobiographique , ouvert vers les ailleurs, vers le dehors que le double de Claudie Hunzinger désire de façon démesurée.
Souhaitons-lui un Prix !


(1) Page 490 du Journal 2021 d'Albert Strickler- Collection le Chant du merle :
Comme le souffle d'une étoile filante, éditons du Tourneciel
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Ce livre est complètement étonnant. Je voulais le lire avant la Grande Rentrée et ne savais pas trop à quoi m'attendre: le prix FEMINA, un chien à sa table. Bon, pourquoi pas.

Claudie Hunzinger est un sacré personnage, je l'ai compris en fouillant sur le web.
Et son livre est à son image : faussement simple dans la forme et le fond.

Tout d'abord l'autrice brouille les cartes : s'agit-il d'une autobiographie ( c'est quand même à peu prés évident, seuls les noms changent…) ?
L'histoire: il n'y en a pas vraiment, nous déambulons dans les pensées et surtout les ressentis de Sophie/Claudie, la narratrice. Installée depuis 4 ans au fin fond des Vosges, elle vit frugalement au Bois-Bannis, petite enclave huguenote à 800 mètre d'altitude. A 82 ans, elle commence à peiner, mais pas tant que cela, elle a encore bien la forme, la vioque. Oui, la vioque, comme elle aime à s'appeler, ça l'a fait rire, ça sonne bien. Elle passe son temps à l'extérieur de la maison, entre bois,vallons et moraines. Elle vit avec Grieg (grigou) son compagnon de toujours, qui ne sort quasiment jamais et vit dans sa chambre devenue une grotte de livre. C'est clairement une sorte de Diogène littéraire: il ne fait que lire. Il a le même âge que Sophie mais il n'a pas sa santé, son énergie.
Arrive une jeune chienne qu'ils baptisent Yes et qui, manifestement a été victime de sévices sexuelles.
Voilà pour l'intrigue…

Claudie nous entraine dans une réflexion d'une profondeur insondable, avec joie, humour et détermination, sur l'anthropocène, la vieillesse et le rôle fondamental de la poésie, de la loufoquerie et du pas de côté.
Depuis les années 70, le couple s'éloigne physiquement du monde. Grieg/Francis a d'ailleurs fait des études à …la Bergerie nationale de Rambouillet.
Elle élabore une sorte de volonté inter-spéciste , en marge de toutes les théories (elle ne s'intéresse pas aux théories), ou l'homme et le chien (en l'occurence) sont sur un pied d'égalité absolue.
Le couple est anarchiste (même s'il réfuterait surement l'appellation), artiste, contemplatif.
J'ai beaucoup aimé les deux premiers tiers du livre, vraiment drôles et surprenants.
Claudie n'écrit pas de poésie : elle la pratique comme un art de vivre. Elle s'animalise, se végétalise (« On ressemble à des lichens »), se minéralise selon la saison, le moment de la journée, l'opportunité aussi. Elle trouve en ce lieu « une faille rétive à tout idéalisme. A tout système. A toute mystique. A tout pouvoir. A tout universalisme, même écologique. »
Il y a une scène vraiment bidonnante sur la construction d'un lit « King Size » avec de vieux exemplaires du Monde .
Les dialogues du couple sont savoureux, on pense à Beckett, Ionesco
C'est aussi très érudit, bourré de références en tout genre.
Le dernier tiers du livre m'a un peu fait flipper. Plus obscur, plus angoissant, plus confusionnant. Un peu répétitif aussi. La mort et les hommes commencent à roder…
Je crois que l'autrice a eu du mal à conclure ce qui pourrait être son dernier livre. Mais qui sait ?
Et Yes dans tout cela? Yes est le merveilleux support d'un triolisme passionné mais platonique : « Nous nous embrassions, emmêlés tous les trois »
Yes est un coup de foudre et de tendresse. Un coup de tendresse, oui .
Et ce livre, peut-être parce qu'il préfigure la fin des temps, est un de ceux qui (me) parle le mieux d'amour.
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Très belle rencontre avec Claudie Hunzinger - que j'avais entendue un matin brumeux d'automne à la radio – avec ce livre à classer dans la catégorie « nature writing », si pauvre en romans et récits francophones. Un livre réaliste sur l'état du monde, mais aussi empli de joie, d'humour et d'auto-dérision.

C'est l'histoire d'un vieux couple de vieux (l'un n'implique pas l'autre), vivant à l'écart d'une société qui court à sa perte. Lui, un vieux grognon sédentaire qui lit deux bouquins par jour, le veinard. Elle, mi-femme mi-renarde, une fée, une déesse grecque. Lui pour qui la lecture compte bien plus que la vie, elle qui préfère le dehors par tous les temps, sentir le concret par tous les pores sans aucune théorie, une expérience animale presque, c'est moi coupée en deux, c'est moi incarnée dans deux êtres. Alors forcément ça m'a plu.

Forcément ça m'a plu, ce long cri d'amour au sauvage, à l'environnement, à la nature. Ce questionnement sur la littérature, sur l'impossibilité de dire le réel avec des mots, et plus généralement sur la création dans le monde actuel. Ces interrogations sur le genre, sur ce qu'est être une femme, ce qu'est être un humain aujourd'hui …

Alors je l'ai rejointe, elle, et j'ai partagé ses joies: marcher dans la campagne et se prendre un flash de jaune en pleine figure, marcher dans l'herbe et se sentir frôlée par une présence humide, lisse, sombre, fraîche, ramper dans le noir de la forêt, …

Et vous, quelles joies partagerez-vous avec elle ?
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Sophie, la narratrice, et Grieg se sont retirés depuis trois ans aux Bois-Bannis, à la montagne, à l'écart de la fureur du monde, dans leur nouvelle maison, abri dans le chaos. Sophie, au plus proche de la nature, Grieg, au plus proche de ses livres.


Un jour, une petite chienne de 2 ans arrive chez eux après avoir brisé ses chaînes, au sens propre et au sens figuré. Ils la recueillent, la prénomment Yes. Elle entre par effraction dans leur vie de vioques, terme affectionné par la narratrice, et va s'employer à adoucir la vieillesse de ce vieux couple soudé.

Plume hachée, elliptique, mitraillant des parataxes, d'où un rythme effréné à la lecture alors que l'action est lente, quasi inexistante. C'est très introspectif, contemplatif, et pourtant ça vibrionne, ça palpite !

J'ai adoré le style narratif, l'écriture imagée, les perceptions sensorielles qu'elle nous donnent à vivre, j'y étais dans cette maison-abri, dans les Buffalos de Sophie, sa petite Yes gambadant à ses côtés, truffe à l'affût.

Mais un malaise, presqu'un mal-être, m'a habitée tout au long de la lecture, je n'ai pu m'en départir malgré les tentatives d'optimisme glissées dans le récit. D'ailleurs, fallait-il s'en défaire ? Pas sûr, alors j'ai lâché prise, me laissant pénétrer par ces émotions peu agréables, car utiles, et suscitant la réflexion.

Dois-je retirer des étoiles alors que ce livre m'a beaucoup touchée, même si les flèches plantées dans le coeur sont douloureuses ?

J'ai perçu cette lecture comme un manifeste pour le bien-être animal, pour la lutte contre la destruction quasi-inéluctable de notre planète, contre l'ère de l'anthropocène progressiste mais souvent indigne et irrespectueuse, contre nos modes de vie délétères.

En conclusion, c'est finalement un cinq étoiles,… d'autant que j'ai appris du vocabulaire intéressant dont j'ai glissé quelques mots dans ce billet. Mais mon prochain livre sera léger et divertissant !
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Lu avec talent par Marie Christine Barrault
ce texte de Claudie Hunzinger m'a réjouie.
Je découvre cette femme libre, cultivée, drôle
qui tient la chronique de sa vie loin de Tout.
En fusion avec la Nature, elle partage
sa connaissance aiguisée du végétal
comme de l'animal.
Vous apprendrez entre autres choses
que colchique est masculin et... toxique.
Elle essaie d'apprivoiser la vieillesse
qui l'assaille et la contraint.
"La vioque" comme elle se nomme vit
avec son vieux compagnon bougon
depuis plus de 60 ans.
Ce livre est un régal de tous les instants,
Hunzinger frondeuse, aborde mille sujets ,
appelle toujours chat un chat
et préfère les chemins de traverse.
L'auteure fuit ce monde
qui l'inquiète, ne lui va pas.
Très belle lecture.

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J'ai attendu plusieurs jours avant de pouvoir écrire mon ressenti,et même maintenant,je n'y arrive pas.J'ai lu et relu vos critiques ,et je dis : oui,c'est ça,mais j'ai tellement aimé ce livre qui m'a totalement " déconnecté"de la réalité ,que je ne trouve pas les mots justes pour en parler.
Il y a cette petite chienne ,baptisée " Yes",qui surgissant de nulle part va trouver sa place ,au milieu de Grieg et Sophie: Un couple âgé, qui a fait le choix de s'isoler,et de vivre en hermitte dans un coin reculé des Vosges,dans un lieu dit : Les Bois-Bannis".
Ma sensation première : Épurée Epurée, oui,Sophie a un lien très fort et étroit avec la nature,la vie,le sens de la vie,de sa vie : un recul et un refus pour tout ce qui touche au matériel.
Symbiose entre le monde végétal et l'humain.J'ai adoré la poésie,dont l'auteure nous abreuve dans ses descriptions de la nature.
Tous deux,sont arrivés à un point de non-retour,mais au delà des mots ,il y a ce regard que porte Sophie sur ce monde,et avec beaucoup de finesse,la façon qu'elle et son compagnon ont de l'appréhender ce monde ,dans leur façon de vivre.
Un roman,intimiste ,tout en goûts,odeurs,en sensations étranges au contact de cette nature sauvage.
Un cheminement parfois douloureux mais un lien tissé si fortement entre ces trois personnages,que j'en ressors apaisée après ma lecture,en me disant :" N'est-ce pas cela la vraie vie,face à notre avenir si menacé?"
Vous l'aurez compris ,un gros ,gros coup de coeur qui me suivra longtemps,un prix bien mérité.
Un livre qui nous fait réfléchir en nous ouvrant d'autres chemins de réflexion que ceux habituellement utilisés.
A RECOMMANDER ⭐⭐⭐⭐⭐
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Oh yes… Yes !
Cet incroyable livre, ce trésor d'intelligence et de profondeur, de philosophie légère et d'observations et d'interrogations graves sur l'état du monde, cet abîme de drôlerie et de plaisir, ce bordel de roman « foutraque » et même « fabifoutraque ». Ce bouquin-niche où une forme de communion entre l'homme et l'animal devient possible, ce creuset d'écriture, mots et choses enfin en harmonie, dans lequel, lecteur, on se sent si bien ! Un livre où l'on apprend aussi à aimer une paire de groles, des Buffalo, des comme celles de Brigitte Fontaine, des qui permettent encore de se tenir debout. Un livre contre la vieillesse, ou pour apprendre à la vivre différemment. Un livre, enfin, pour mieux résister aux dérives du monde, à la sixième extinction, à notre propre pouvoir de destruction. Et un livre-bibliothèque, aussi, capable de convoquer Démocrite et Kafka, Tolstoï et Duras, et mille autres grands témoins, apportant çà et là leurs lumières. « Un livre couleur de digitale. Un livre pourpre. Un livre tonicardiaque… un livre qui fasse battre les coeurs ». Eh bien, yes, Claudie Hunzinger, yes, Un chien à ma table, c'est réussi, yes, puisqu'à vous lire, nos coeurs battent la plus endiablée, la plus rebelle des chamades !

Yes, c'est le nom du chien, qui déboule un soir, dans un trou perdu de montagne, devant la maison de Sophie Hunzinga, la narratrice « écri-vaine » (Sophie Hunzinga, Claudie Hunzinger, hum… vous m'avez compris !) et de Grieg, son compagnon – qui n'aime rien tant que dormir le jour pour mieux lire la nuit dans sa chambre, un terrier-bibliothèque. Yes, immédiatement nommé ainsi, parce qu'il fait resurgir les derniers mots de l'Ulysse de Joyce, « and yes, I said yes I will yes », comme un acquiescement au désir, un cri d'amour, le nom même de la joie…
Mais Yes, pourtant, une chienne, en fait, est blessée, le sexe salement abimé par un zoophile, et Sophie a à peine le temps d'observer ses plaies et de lui donner un peu d'eau et de pitance, que déjà elle s'enfuit, détalant si vite vers la forêt proche qu'elle n'est bientôt plus visible. Tant pis. Sophie partira quand même à Lyon le lendemain, les pieds chaussés de ses Buffalo, des bottes de sept lieux pour lui permettre d'avancer encore, afin d'honorer une invitation à une rencontre en librairie. Au retour, Grieg est là, à l'attendre dehors, et à ses pieds, la petite chienne, revenue, comme accueillante à son tour…
Commencent alors, dans cette maison des Bois-Bannis – un territoire d'exil ? un lieu de retraite ?- les nuits à trois, Sophie, Grieg et Yes, allongés sur le grand lit au sommier fait de liasses de vieux exemplaires du « Monde ». Commencent, surtout, les journées de courses folles à travers la montagne, à marcher devant ou derrière Yes, cette chienne devenue l'incarnation de la joie, cette chienne devenue la meilleure des guides dans les territoires de la pensée, cette chienne qui entend le langage humain, cette chienne-Logos. Parfois, pourtant, Sophie laisse Yes aux Bois-Bannis, au risque qu'elle se mette à copiner avec Grieg, à construire un abri avec lui sous la table de la salle commune, pour y dialoguer comme deux clochards complices, et qu'elle Sophie se sente comme une épouse trompée à son retour, essuyant les sarcasmes de Grieg… Ce qu'il en restera, au bout du compte, de cette « chienne à leur table », c'est la possibilité d'une communauté non « spécifique », où le couple humain et l'animal auront découvert la possibilité de veiller sur leur territoire, en le gardant des atteintes d'un monde en pleine déréliction, d'apprendre aussi à mieux vieillir et affronter la mort ensemble. Ce qu'il en restera aussi, c'est un livre, ce livre peut-être qui nous est offert… Avec tant de pages si lumineuses, dans la réflexion ou le rire, que lorsque l'on veut sélectionner des extraits que l'on pourrait citer (sur Babelio, par exemple…), on est paralysé par l'embarras du choix, et puis, au fil des pages, des images comme des perles rares – « un sourire de géranium aux fenêtres », « des framboises belles comme des bouches »… -, des expressions comme des concentrés d'allègre sagesse : « je nous sentais alors tous les trois dans le même sac. Sac ou destin, c'est pareil… »

Oui, donc, trois fois oui, oh pardon, yes !, laissez tout tomber, abandonnez Despentes et Nothomb, et yes, yes, lisez Claudie Hunzinger ! (Dois-je l'avouer ? Je n'ai jamais été très chien-chien, ayant été mordu par l'un d'entre eux, quand j'étais petit, et éprouvant depuis toujours une certaine méfiance à l'égard de la gent canine. Je n'ai jamais non plus été grand amateur de récits animaliers… On ne pourra donc pas juger que je fais preuve de partialité en clamant – j'allais dire en aboyant…- mon enthousiasme !)
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