La vie rêvée de Virginia Fly

L'observation en gros plan du spécimen d'humanité le plus parfait est source de grandes désillusions. Quant aux spécimens les moins parfaits, seul un amour immense ou un appétit sexuel débridé saura les protéger du ridicule.

Si tu arrives à aimer l'Angleterre en février, tu l'aimeras en n'importe quelle saison.

« Hans n’aurait pas décidé de se marier, sinon : il sait forcément ce qu’il fait.
– Il sait ce qu’il fait lui. Il ne sait pas ce que je fais moi, c’est ça le hic », se récria Virginia d’une voix aiguë.

J’ai dit oui sans trop savoir ce que je faisais. C’était mal de ma part, impardonnable, et je ne sais pas si vous pourrez me pardonner. Mais je ne peux pas vous épouser parce que, voyez-vous, je ne vous aime pas de la façon dont on devrait aimer la personne avec qui on va passer le reste de sa vie. Vous ne m’emplissez pas d’une passion effrénée sans laquelle il me serait impossible de vivre. Je ne me sens pas émue et bouleversée en votre présence. Vous ne me manquez pas suffisamment quand vous n’êtes pas là. Je n’ai pas la sensation que vous constituez toute ma vie. Vous n’ébranlez pas mes fondations. J’ai un million de doutes. Voilà, vous me voyez ici plus maladroite que jamais.

Si notre existence n’était pas semée de doutes, alors la certitude elle-même n’aurait aucune valeur.

J'ai renoncé à espérer, reprit-elle. C'est beaucoup mieux. On peut s'épanouir, vous savez, à se réjouir à l'avance des petites choses dont on est sûr qu'elles se produiront. C'est beaucoup moins sinistre que d'espérer de plus grandes choses qui risquent de ne jamais survenir.

Pourquoi, se demanda Virginia, était-elle le genre de fille à qui les gens proposaient toujours une boisson chaude et non simplement un verre ? Qu'y avait-il chez elle qui empêchait les gens d'imaginer qu'elle s'enfilerait volontiers un double whisky ? Pour la première fois de sa vie, par cette froide soirée de novembre, elle refusa la fameuse boisson chaude.

Dans la minuscule cour qui l'empêchait d'empiéter sur le trottoir, poussait une vieille glycine dont les branches gériatriques, pitoyablement embijoutées de feuilles toutes neuves, grimpaient autour des deux fenêtres du rez-de-chaussée.

Pas son genre de fille. Il était attiré par les femmes saines et plantureuses aux cheveux brillants et aux dents éclatantes, aux seins opulents laissés en liberté et aux vêtements de couleurs vives. Cette fille, Virginia, donnait l'impression de ne pas être née dans le siècle qu'il fallait, une sorte de Jane Eyre au petit pied. Et pourtant il y avait quelque chose d'assez désarmant dans sa placidité, sa mélancolie.

Dehors, il pleuvait encore et il faisait maintenant très froid.
- Voulez-vous boire quelque chose de chaud ? suggéra-t-il. Nous avons le temps.
Pourquoi, se demanda Virginia, était-elle le genre de fille à qui les gens proposaient toujours une boisson chaude et non simplement un verre ? Qu'y avait-il chez elle qui empêchait les gens d'imaginer qu'elle s'enfilerait volontiers un double whisky ?