Mentir n'est pas trahir

C'était une drôle de manie chez les couples de dire des choses qu'ils ne pensaient pas.

(…) Est-ce que ce serait plus dur que de ne pas le voir du tout ? Lara n’en savait rien. Elle avait froid. Et elle se posait des questions sur sa femme, cette femme « merveilleuse » au prénom ridicule. Pourquoi, si elle était si merveilleuse, Gladwyn avait-il flashé sur elle, Lara ? Peut-être était-ce tout simple. Comme le lui avait autrefois expliqué sa mère, Dieu s’était terriblement planté en concevant les hommes : c’étaient tous des chiens.

« (…) Le plus drôle, c’est que les gens sont toujours persuadés d’avoir du talent. Je ne sais pas pourquoi ils trouvent si important d’être doué pour quelque chose. Être heureux est quand même une aspiration plus importante ! J’ai connu des tas de gens qui ne savaient pas cuisiner, ni peindre, ni jouer au tennis, ni jouer du piano, des gens qui n’avaient pas le moindre talent identifiable mais qui avaient le don de rendre les autres heureux, ce qui les rendait heureux à leur tour. »

D’habitude, Lara adorait parler des peintres. Mais ce soir il vit une ombre d’agacement balayer ses traits exaltés. Elle voulait continuer à discuter bébés, projets et mariage. Lui n’en avait aucune intention.
« Très bien, dit-elle enfin. C’est bizarre, non, la façon dont deux personnes assises l’une en face de l’autre peuvent avoir des préoccupations complètement différentes ? »

À un moment donné elle attrapa son croissant, et continua sa description avec la main qui le tenait. Des miettes tombèrent sur la nappe d’un blanc immaculé. Même si c’était la fin de leur aventure, Gladwyn se souviendrait à jamais de l’éloquence de ses mains. De sa vie, il ne pourrait plus voir un croissant sans repenser à ces parcelles de feuilletage doré sur le blanc pur d’une nappe.

– D’ailleurs, il faut que je parte.
– Pourquoi ? Les gens sont à peine arrivés qu’ils disent devoir partir. C’est vraiment bizarre, ce réflexe. Parfois, j’aime que les gens s’attardent. Où devez-vous donc aller ? s’enquit-elle sur un ton légèrement fâché.

Il répétait constamment que savoir observer permettait de profiter deux fois mieux de la vie.

- Et tu n'as jamais trouvé le temps long ?
- Non. C'est seulement à l'adolescence, en entendant mes camarades se plaindre de s'ennuyer à mourir, que j'ai appris que ça existait. Quand je leur suggérais de lire, de se mettre à la peinture, d'aller se promener ou de regarder autour d'eux, de prendre plaisir à observer - ils rigolaient. Ils se moquaient de moi.
- Ils étaient idiots.

Examiner et voir comptaient parmi les expériences stimulantes de la vie. Si on ne remarquait jamais rien, l'existence serait bien morne.

Assis dans le noir de son bureau, Gladwyn, qui avait gardé la passion des mots, se souvint du jour où il avait découvert le terme 'concupiscence' : il n'était ni insolite, ni érudit, mais sa sonorité lui plaisait. "Désir très vif des plaisirs sensuels", disait le dictionnaire. A l'époque, Gladwyn avait peu l'occasion de l'employer, mais, bizarrement, le mot lui était resté en mémoire. C'était un mot qu'il trouvait intéressant. Un jour, il apprendrait dans sa chair ce qu'il signifiait.