C'est fou comme les vieux titres de science-fiction me font un effet de poussière neuve.
Poussière parce qu'ils ont souvent une conception du monde qui correspond à leur époque et qu'ils n'ont pu imaginer toutes les avancées technologiques que nous avons vécu (Internet, l'hyperconnectivité, l'hypercommunication, etc.). Neuve parce qu'ils ont imaginé des choses qui n'existent pas (encore). Dans
le Meilleur des Mondes, c'est la répartition de la population en catégories, c'est la procréation en batterie, c'est le tabou du vivipare, c'est l'infantilisation de la population et sa régression émotionnelle. Des choses encore inconcevables à notre niveau de technologie.
Mais ils ne connaissent pas les réseaux sociaux.
Dans quel monde vit-on ?
C'est en l'an 632 de Notre Ford que commence l'histoire. Suite à la Guerre de Neuf Ans, l'organisation mondiale telle qu'on la connaît s'est écroulée et reformée autour de l'État mondial. Plus de nations, donc plus de racisme et plus de préjugés. Plus de présidents non plus, seulement des Administrateurs. le but est de permettre aux citoyens d'avoir une vie sereine, dépourvue de préoccupations. Mais comment assurer cela ? En les classant en cinq catégories (Alpha, Bêta, Gamma, Delta et Epsilon) et en veillant à ce que chacun accède à la place qui lui correspond le mieux.
Et pour s'assurer de cela, il faut contrôler les aspirations de chacun – vive le conditionnement !
Mais parfois, il y a des ratés.
Bernard Marx est un Alpha plus. le développement de son foetus n'a pas été enrayé, mais il a beau être intelligent et compétent, il aurait dû être beaucoup plus grand et beau. Or, il fait la taille d'un Gamma et n'a presque pas de charisme. du fait de son apparence ratée, il se sent en décalage avec ses contemporains. Difficile pour lui de trouver une partenaire sexuelle ou des amis sincères – hormis Helmholtz.
C'est suite à une tentative de séduction ratée qu'il va échouer dans une réserve de sauvages, seul avec Lenina – une jeune Bêta qui l'attire. En faisant la rencontre du peuple primitif qui pratique encore la viviparité – beurk alors ! – ils y découvrent un jeune homme issu de leur civilisation : John.
John est pur, innocent. Il ne connaît que peu de choses du monde, n'a pu lire que les oeuvres de
Shakespeare, et est avide de découvertes. Peu intégré dans son peuple d'adoption, il décide de laisser sa vie de côté et de suivre Bernard et Lenina – pour qui il a un faible – lorsqu'une équipe de secours viendra les chercher.
Son arrivée dans la modernité est l'événement qui permettra à
Bernard Marx de compenser son apparence chétive : John fera la une des journaux et Bernard l'emmènera faire le tour de la haute société, profitant de son immense succès comme d'une béquille de secours. Tour qui désabusera profondément le jeune sauvage, et lui fera remettre en question tout le bien-fondé de cette société décadente.
La décadence, c'est le mot : c'est ce que dénonce l'auteur à travers les pratiques sexuelles décomplexées (enseignée aux enfants, contraires à notre nature humaine, comme le sous-entend l'auteur), le tabou de l'amour, du couple et surtout – grands dieux – de la viviparité ! À travers ce roman, il m'a semblé que l'auteur cristallisait les angoisses de son époque : la peur des naissances contrôlées, de l'eugénisme, d'une sexualité débridée…
Et John, propulsé dans cet univers-là, le rejette instinctivement
, tout comme il finira par rejeter les avances de Lenina malgré son amour pour elle (« Impudente courtisane ! »).
Il est le « bon sauvage » que la société n'a pas coupé de sa nature profonde, l'homme pur horrifié des méfaits de la vie moderne.
Mais tout retour à la normalité, à la vie sauvage est impossible : une fois que la modernité vous a mis le grappin dessus, vous ne pouvez plus vous échapper. Les caméras et les hélicoptères vous rattraperont toujours. Alors il ne reste plus qu'une seule échappatoire : le suicide.
Une fin bien noire pour une vision tout aussi noire de la modernité. Comment lire ce livre sans penser à la décadence de Rome ?