Il fallait être complètement fou ou doté d'une fois inébranlable pour faire ce que Leclerc à fait. Tel est la conclusion à laquelle on parvient à la lecture de ce vieux livre, qui pourtant n'a pas tellement vieilli. Parti de chez lui à bicyclette, il se rallie à
De Gaulle à une époque où à peu près personne ne croit en cet obscur général, et où le territoire de la France Libre se résume grosso modo au Vanuatu. C'est lui qui obtiendra le ralliement de l'Afrique Équatoriale Française, et c'est lui qui eut l'honneur de repartir au combat en premier au nom de la France.
Nommé gouverneur du Tchad, il se retrouve à la tête de quelques centaines d'hommes à l'armement plus que réduit. Quatre ou cinq cent kilomètres plus au nord se trouve la base italienne de Koufra, qui contrôle tout le sud-est de la Lybie. Très isolée, c'est une cible parfaite. Pour autant, avec ses effectifs et ses moyens, son attaque est un total coup de bluff. Cinq cents hommes, dont une moitié de combattants, peu de munitions, et un unique canon – qu'on déplace à chaque coup, pour faire croire qu'il y en a toute une batterie. En face, quatre cents hommes bien ravitaillés dans une position solide. Mais le bluff prend. Croyant faire face à une force bien plus nombreuse qu'elle, la garnison se rend le 1er mars 1941, au bout d'une dizaine de jours de siège.
C'est une victoire totalement symbolique, opposant une poignée d'homme à une autre pour une position dénuée de valeur stratégique, bien trop au sud pour menacer la Cyrénaïque où guerroie
Rommel. Mais dans une guerre, les symboles c'est ce qu'il y a de plus important après la logistique. Et une victoire, aussi petite soit-elle, est précisément ce dont
De Gaulle a besoin pour assoir sa légitimité. Accessoirement, elle permet à Leclerc de récupérer un armement substantiel. Et c'est là qu'il prononce le fameux « serment de Koufra » : ne pas déposer les armes avant de voir le drapeau français flotter de nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. Symbole encore…
L'année suivante, il lance des raids contre le Fezzan, un chapelet d'oasis occupant le sud-ouest libyen. Encore un an, et l'avancée des alliés lui permettra de les occuper, puis de pousser jusqu'à la côte pour effectuer la jonction avec les anglo-américains. La « colonne Leclerc » pourra alors devenir la deuxième division blindée…
De ces années de genèse se dégagent déjà les caractéristiques principales de Leclerc : le goût pour les stratégies militaires non conventionnelles, la prise de risque calculée, la volonté indéfectible de poursuivre le combat quelle que soit la situation politique.