Je crois que je suis au mur du monde, oublier l'au-delà du mur. Je ne me résous pas à démarrer du mur. C'est peut être une maladie. Je suis demeuré tout seul au pied de ce mur. Tout seul, comme un sot.
La vie est merveilleuse quand on la regarde dans son ensemble, dans son passé, dans cette sorte d'espace que devient le temps quand tout s'est éloigné.
Après mon septième apéritif, je pensais qu'il n'y a ni réel, ni irréel, ni vérité, ni mensonge. Toutes les philosophies et toutes les théologies sont bonnes ou mauvaises si on veut ou si on ne veut pas. Cela me fit rire.
Personne n'est coupable de rien. Ou tout le monde est coupable de tout : ce qui revient au même.
L'infiniment petit... Hanté par l'infiniment grand, si je me laissais hanter aussi par l'infiniment petit...
Ce sont ces questions bêtes qui m'ont empêché d'avancer, qui m'ont empêché de prendre goût aux choses de la vie.
Je revins dans la grande pièce. Le bleu du ciel n'était plus tout à fait le même. Le soleil ne lui donnait plus l'éclat de tout à l'heure. C'est lorsque le soleil ne le faisait plus briller que je reprenais conscience que le ciel était un toit. La terre est un globe à l'intérieur d'un autre globe qui se trouve vraisemblablement à l'intérieur d'un autre globe qui lui-même se trouve à l'intérieur d'un autre globe qui... Essayer de concevoir la finitude d'un globe dans la finitude d'un autre globe dans la finitude d'un autre globe, dans la finitude d'un autre globe, dans la finitude d'un autre globe, toutes ces finitudes étant liées l'une à l'autre infiniment, cela me donnait la nausée, mal à la tête. Le vertige.
Le passé est toujours beau et tendre et on le regrette, on s'en aperçoit trop tard. Il nous faut une certaine perspective, cela n'a pas d'importance que l'on soit ministre, ou gratte-papier, milliardaire ou clochard. Mais oui, mais oui, le monde ensoleillé nous l'avons en nous-mêmes, la joie pourrait éclater à tout instant continuellement, si on savait, je veux dire si on savait à temps. Qu'elle est belle la laideur, qu'elle est joyeuse la tristesse, comme l'ennui n'est dû qu'à notre ignorance! Le froid le plus glacial ne peut résister à la chaleur du coeur. A condition de savoir sur quel bouton appuyer pour qu'elle s'allume. En somme nous regrettons tout, cela prouve que ce fut beau.
A trente-cinq ans il est temps de se retirer de la course. Si course il y a. J'en avais par-dessus la tête de mon emploi. Il était déjà tard, je n'avais pas loin de quarante ans. Je serais mort d'ennui et de tristesse si je n'avais pas fait cet héritage inattendu. C'est bien rare, mais il y a encore des oncles d'Amérique, à moins que le mien ne fût le dernier.
Je philosophe trop.C'est cela mon tort.Si j'avais été moins philosophe, j'aurais vécu plus heureux. On ne doit pas philosopher quand on n'est pas un grand philosophe.Et même ceux-là, quand ils sont grands, sont pessimistes (....)
( Folio, 1989)
Je crois que c'est la première fois que je regardais vraiment le spectacle quotidien de cette rue.Je trouvais cela fort intéressant. Et même passionnant.Il y en avait du monde dans ce monde, tant de visages différents et tant de pensées vraiment identiques. Ou à peu près.
( Folio ,1989, p.46)