Qui se souvient de
Norbert Jacques (1880-1954), romancier luxembourgeois germanophone ? Il fut l'auteur (plutôt brillant) de "Doktor Mabuse, der Spieler" (1921) traduit en français sous le titre "
Docteur Mabuse, le Joueur" pour les éditions
André Martel (Paris) en 1954, réédité en 2001 dans une nouvelle traduction aux Éditions du Rocher (Monaco/Paris), puis de ce "Doktor Mabuse letztes Spiel : Roman eines Dämons" (1931), traduit en français en français par
Georges Sturm sous le titre "Le Testament du Dr. Mabuse" pour les Éditions du Rocher (Monaco/Paris) en 2001...
A l'exemple de Thea von Harbou, la première épouse du cinéaste
Fritz LANG, (1890-1976),
Norbert JACQUES s'abîma puis se vautra lui aussi dans "l'intelligence" avec le Pouvoir nazi et la "Kollaborazion" dès mai 1940, en son pays envahi puis occupé ... A la Libération, Il fut jugé et incarcéré quatre mois, enfin expulsé en Allemagne où il finit ses jours à Koblenz, dans un anonymat préférable et un oubli total... Son style est certes impersonnel ; le genre où il se rendit maître est celui du roman-feuilleton. Son inventivité comme sa créativité pour faire naître (au détour des péripéties habituelles au genre) des situations étranges, sont incontestables. Il faudra certainement - même à tout prix - un beau jour réhabiliter l'ensemble de son Oeuvre romanesque.
Il resta justement célèbre par ses deux romans également fascinants, adaptés de façon insurpassable par le génial
Fritz LANG.
Qui est Mabuse ? Un simple Parrain des faubourgs de Berlin ? Une Puissance, d'abord... Une entité malfaisante, heureuse de l'être et de régner sans partage... Son terrain, ses territoires favoris ? L'ombre... Les tripots clandestins mais chics... L'écoulement de fausse-monnaie (les billets de Cinquante Deutsche Mark)... L'obéissance absolue de la pègre locale... Un exercice de la médecine pas tout à fait hippocratique... La folie partagée...
Le jeune Kent voudrait bien se sortir de "ce monde-là"... Ancien chômeur affecté par la Grande Crise, il a franchi le Pas et rejoint les puissances de l'Ombre... sauf que : cette jeune fille, justement, une Assistante sociale croisée dans les couloirs du Centre de Secours aux indigents... Ses yeux sombres, sa fraîcheur, son innocence...
Les silhouettes "langiennes" de Hoffmeister (le flic failli) et, plus rassurante, du très maigrétien "Kommissar Lohmann"... mais encore de l'inquiétant Directeur de l'Hôpital psychiatrique (Cf. "Der Kabinett des Doktor Caligari", Robert WIENE, 1920) s'agitent dans ce roman mi-policier, mi-fantastique fort de ses XV chapitres... L'inquiétant dédoublement Docteur Baum (Psychiatre)/Doctor Rauschmann (Chimiste) annonce la pathologie mentale du praticien : l'hypnose subie par le très respectable (et donc très "jekyllien") Baum le mettra à l'entière merci de l'emprise du végétatif
Docteur Mabuse ou plutôt de son fichu "Testament" (de parrain occulte du Milieu berlinois d'avant-guerre)... Cette dynamique est l'un des éléments les plus fascinants du roman - dépassant bien sûr l'intérêt que peut susciter le gentil couple formé au fil de l'eau par Helli Born (la fille du Psychiatre) et Kent, le voyou repenti...
Et nous voici plongés dans l'ambiance clair-obscur du "Juste avant 1933" [semblable aux 33 % de Machine le Peigne, cuvée mai 2017], ce moment suffisamment inquiétant où tous les repères semblent s'effondrer... Certes le film de Lang ("Das Testament des Doktor Mabuse") par son expressionnisme magnifiera sobrement l'intrigue et convaincra
Joseph Goebbels qu'il "n'a décidément pas affaire à n'importe qui" (sur le plan artistique/esthétique) tout en lui déplaisant profondément (sur le plan idéologique, trop indiscernable) : le film ne sortira jamais en Allemagne nazie...
Fritz LANG aimait raconter ce sentiment de Souricière dès l'entrée des bâtiments officiels en lesquels il avait été convoqué par le frais "ministre-docteur" préféré de Sa Majesté Adolf Hitler... Un univers et une scénographie dignes du "Prozess" de
Franz KAFKA, avec des sous-Gardiens menant à des Gardiens de portes monumentales, jusqu'au bureau du grand escogriffe très courtois et insidieusement menaçant...
Les premières pensées de LANG (relatées dans un interview fameux mené par
William Friedkin) furent alors : "Bon Dieu, comment vais-je me sortir de là ??? "...
Goebbels commencera par le flatter le plus "simplement" du monde puis (du haut de son admiration sincère pour ses "Niebelungen" et son "Metropolis") lui demandera très directivement de prendre la direction du "Nouveau Très Grand Cinéma NazionalZocialist"... On lui fit donc la fameuse "proposition qu'on ne peut pas refuser..." [Cf. "The Godfather" de Francis Ford COPPOLA, 1972].
Dès le lendemain, ce "Viennois suffisant" de Fritz L. laissera derrière lui la frontière germanique, ira tourner en 1934 le très mineur "Liliom" en France pour, une année plus tard, émigrer aux U.S.A. ... et démarrer la prestigieuse carrière américaine que l'on sait... : "Fury", "House by the River", "Man Hunt", "Moonfleet", etc.
[THE END OF THE STORY]
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