Pas de pissenlits pour le cadavre

Le sort fait parfois (rarement, très rarement) bien les choses. Il s’amuse à semer des synchronicités propices. Par ailleurs, le sort étant assez avare d’événements réjouissants, autant se précipiter dessus.

"Le fameux calme avant la tempête est une indigne supercherie!"

On ne le remarque jamais. En revanche, on se prend la tempête en pleine figure au moment le plus inattendu.

Il la considéra avec compassion. Il semblait plutôt gentil avec ses gros sourcils broussailleux de brun. Si gentil qu’elle sentit les larmes lui monter aux yeux. En fut-il touché ?

La nature environnante l’enivrait aussi. Les oiseaux s’interpellaient d’arbre en arbre… ou sur l’eau, l’eau d’un étang assez large. Arghh, l’eau !!! L’aimant irrésistible pour un terre-neuve, surtout avec quelques canards dessus ! Pauvres volatiles qui ne se doutaient pas que soixante-huit kilos d’estomac allaient fondre sur eux, un peu moins si on soustrait le poids de l’épaisse fourrure… mais beaucoup plus si on ajoute celui de la bipède affolée à l’autre bout de la laisse.

Louise avait fini par admettre que là, comme ailleurs, rien ne valait un pro. Les semaines de fermeture annuelle du magasin approchant, elle pourrait ménager un créneau. Chloé applaudit sa décision avec une remarque qui peina son amie :
— Ah, chouette ! On a peut-être une chance qu’il obéisse avant de devenir sénile !

Bien sûr, la technique de son thérapeute était assez différente : s’asseoir devant une bougie et en fixer la flamme en suivant ses inspirations et expirations. Une vision classique de la chose, selon Chloé. Au fond, il n’existe pas de différence fondamentale entre une canine et une flamme de bougie, si ce n’est que la seconde brûle mais qu’elle ne permet pas de sectionner un morceau de steak. Les dents étaient donc devenues ses petites bougies de méditation. Elle ne voyait plus que la dent, rien autour. Elle inspirait, expirait sous son masque.

Les déceptions suivirent les espoirs, les exaltations, les incertitudes. Enfin, elles tombèrent d’accord sur une très jolie boutique du 7e arrondissement, au rez-de-chaussée d’un bel immeuble. Un soir, alors qu’elle garait sa voiture non loin de chez elle, Chloé se rendit compte qu’elle n’avait pas gobé d’anxiolytiques depuis plusieurs jours.

Ça fait très mal une dent malade et, en ce cas, le dentiste est l’unique personne au monde qui compte à vos yeux. Quand on arrive à le joindre. De surcroît, n’oublions pas que socialement, les dents sont cruciales. Donc, je crois que tu minimises de façon outrancière ton rôle. Sans doute parce que le cancrelat a usé ta résistance et que tu noircis le tableau.

Tu comprends, médecin ou vétérinaire, j’aurais pu sauver des vies, humaines, animales, ou, plus modestement, contribuer à ce qu’elles aillent mieux. Enfin, même soigner un canari, c’est plus gratifiant que de se faire traiter de pauvre nulle par un type qui n’a jamais acheté une brosse à dents, non ?

Louise n’avait pas d’amant, au passé ou au présent. Hormis son amie Chloé et son frère Hubert – qui s’efforçaient de la sortir pour lui changer les idées –, elle ne fréquentait personne sur une base régulière et encore moins horizontale.