Moi qui ne suis guère lectrice de bandes dessinées et autres romans graphiques, je vais finir par remercier les organisatrices des quelques challenges qui mettaient le genre à l'honneur en ce mois de juillet ! C'est que j'ai découvert au moins une pépite, une autre a été plutôt un flop… et voici une deuxième très belle découverte !
Le titre très attirant, de même que l'illustration de couverture, ne laissent pourtant que très peu entrevoir le contenu passionnant de ce livre, qui n'est autre qu'une réécriture de la légende du personnage très controversé, mais aussi très méconnu, qu'était La Malinche. Moi qui ai voyagé plusieurs fois au Mexique, j'avais bien sûr déjà entendu ce nom… mais ne m'étais encore jamais penchée sur cette histoire pourtant fondatrice de la version « moderne » du pays. On découvre ainsi une jeune femme, depuis sa vie d'enfant dans une tribu sous domination aztèque, quelque part en Amérique centrale. Vendue comme esclave dans une tribu de Mayas, sa grande capacité à apprendre diverses langues (celle de sa tribu natale, le nahatl des aztèques, la langue maya, puis l'espagnol), de même que sa connaissance des plantes guérisseuses apprise avec sa grand-mère, vont lui permettre de survivre… puis de devenir l'interprète principale de
Hernán Cortés, futur vainqueur du pourtant terrible empire aztèque.
C'est évidemment ce rôle quelque peu effacé, inhabituel pour une femme (dans des sociétés aussi patriarcales que pouvaient l'être l'empire aztèque ou la compagnie des premiers conquistadors espagnols), et pourtant tellement primordial dans ce jeu politique d'ententes, d'alliances et autres trahisons, qui a donné lieu à ce titre bien représentatif de la vie d'une interprète… et bien plus que cela !
Pour présenter cette vie légendaire, l'autrice a choisi de mettre l'accent sur les langues, et notamment sur les incompréhensions que peuvent provoquer la non-connaissance de l'idiome de l'autre. C'est représenté par des phylactères dans lesquels le « texte » est fait de caractères inexistants, entre carrés, lignes mélangées et autres courbes entrelacées qui n'ont absolument aucun sens, jusqu'à ce que l'apprentissage de ladite langue (et il y en aura plusieurs tout au long de la vie de la Malinche, dont le nom original serait Malinalli) lui permette de saisir entièrement ce qui est dit et de pouvoir répondre… et on passe alors à des caractères latins de plus en plus normaux ! J'ai beaucoup apprécié cette façon très imagée, très approprié pour une BD évidemment, de représenter le poids des langues, la capacité de comprendre l'autre et l'importance de pouvoir échanger avec lui/elle.
Pour le reste, le dessin est plutôt sympathique et donne notamment une idée tout à fait réaliste de la région – je parle de la végétation, des reliefs, des villages, etc. – ou du contexte, notamment dans l'opposition entre les tenues traditionnelles des diverses tribus locales et les armements des Espagnols. Cependant, pour les personnages notamment, à part le jeune interprète maya-espagnol (qui ne parle pas nahuatl, quant à lui, et ne parviendra pas à l'apprendre pour faire face aux Aztèques) qui est plutôt mignon ;) , j'ai trouvé les traits des personnages souvent un peu trop « carrés », ce qui leur donne aussi une certaine dureté, même à La Malinche, et leur fait perdre ainsi de leur charme.
Cependant, même s'il ne m'a pas tout à fait séduite, le dessin ne gâche en rien le message principal du livre. En effet, le rôle que Malinalli a joué dans la conquête du « Nouveau monde » par les Espagnols est terriblement ambigu. Il serait presque facile (et il semble que certains l'ont fait) de lui attribuer à elle le quasi-anéantissement des peuples locaux, elle qui a, sans trop s'en rendre compte cependant, favorisé l'avancée des Espagnols dans l'empire aztèque – un anéantissement pas tout à fait complet cependant, et heureusement ! quand on sait que la langue nahuatl notamment est encore parlée aujourd'hui, même fortement teintée d'espagnol.
Cette façon d'être au service des envahisseurs qui deviendront l'Ennemi, sans se poser de questions en apparence, fait réfléchir à la notion de trahison à sa patrie, et pose question, surtout selon notre vision moderne des choses. Mais quelle patrie ? vendue par les siens dans l'enfance, ensuite jamais considérée autrement que comme une esclave, Malinalli aurait-elle pu / dû agir autrement ?! elle qui était, par ailleurs, apparemment pétrie d'idéaux plus nobles que la seule conquête visée par les Espagnols…
J'ajouterai à tout cela que ce livre aussi séduisant qu'intéressant est complété par une page d'explication narrative sur ce que l'on sait vraiment (ou pas) sur le personnage historique de la Malinche, et où l'autrice explique les choix qu'elle a faits pour combler les nombreux vides de la vie de son personnage dans la légende – choix qui m'ont tout à fait convaincue.
On comprend ainsi que «
celle qui parle » avait un immense pouvoir grâce aux mots et sa connaissance de plusieurs langues, un pouvoir qu'elle aurait aimé voir aboutir autrement, elle qui, selon ce livre (à défaut de sources écrites plus fiables que la légende orale controversée qui a subsisté jusqu'aujourd'hui) rêvait que les hommes, et certainement Cortès pour les Espagnols et Moctezuma pour les Aztèques, s'entendent au lieu de se faire la guerre. Hélas, on le sait, sa voix n'a finalement pas été écoutée… mais j'ai désormais très envie d'en savoir plus sur ce personnage tellement important, inoubliable jusqu'à aujourd'hui, que ce soit dans la haine ou le besoin de trouver une héroïne forte.