Molière le suivait du regard. Michel se rengorgea : depuis sa naissance, on ne cessait de lui répéter combien il était beau avec ses cheveux blonds bouclés et ses yeux bleus bordés de longs cils.
Cela a parfois du bon de ne rien savoir, car on voit les choses avec plus de recul.
Molière, dans ses comédies, a l'art et la manière de montrer les faiblesses des gens. Il tourne en ridicule les bassesses et la bêtise, de telle façon que, après avoir suivi une de ses pièces, on se regarde soi-même d'un autre oeil...
Vie de comédien, vie de chien !
Les comédiens ressemblent à des marionnettes. Des fils invisibles entravent notre liberté. Les grands tirent nos ficelles, nous ordonnent de dire ou de faire ce qu'ils souhaitent. Et nous obéissons en remerciant bien bas, avec force courbettes... Notre vie si brillante, sous les feux de la rampe, n'est qu'illusion.
- J'aurais adoré rester avec Molière. Je l'aimais comme mon père, et lui me chérissait comme son fils. Seulement, après le soufflet d'Armande, et ma fuite pour que l'on ne m'accuse pas de briser leur ménage, il doit me détester de tant d'orgueil et d'ingratitude !
Un sanglot échappa à Michel. Voilà qu'une fois encore il allait être rejeté...
Pouvait-on devenir orphelin une troisième fois? se demanda-t-il en plongeant le visage entre les genoux.
Derrière le rideau, Michel, grimé, respira profondément et ferma les paupières pour mieux se concentrer. Puis, comme le lui avait enseigné Molière, il s'imprégna de son personnage, jusqu'à entrer dans sa peau.
Peu à peu, il se voûta. Sa bouche marqua un pli d'amertume, ses yeux s'emplirent de tristesse… Alceste prenait vie.
Alors que les trois coups retentissaient, ce qui restait en lui de Michel Baron souffla :
- C'est pour vous, patron, que nous jouons… le spectacle continue !
Plus tard, je deviendrai le plus grand acteur du monde, souffla-t-il, le regard fixe. Je serai riche et admiré. Ils regretteront de m'avoir volé et de s'être débarrassé de moi...