Rien n’est grave, puisque tout est grave.
C'est vrai qu'un moment d'intense souffrance m'a permis d'ouvrir les yeux et d'aller à la rencontre des autres. Ce sont eux qui m'ont sauvé. A l'envers de Sartre, je dirais "le salut, c'est les autres".
Une personnalité ne trouve précisément sa quintessence que dans la virtuosité qu'elle déploie pour surmonter le mal.
Il faut s'engager ou au moins consentir, sinon le combat si exigeant tournerait vite court. Le tragique est là, moi aussi!
Entre deux, tout reste à bâtir. Il n'y a guère le choix. Ni modèle, ni solution, ni réponse toute faite, ni mode d'emploi ne sont disponibles. Chacun y va à tâtons, essuyant des échecs, bâtissant sur des ruines.
En préambule à ses conférences, Paul Valéry aimait à répéter: "Je viens ignorer devant vous." Excellente entrée en matière pour aborder une réflexion sur la souffrance.
Ainsi, je me forge grâce à autrui. L'un pratique un humour qui assurément me plaît, celui-ci jouit d'une confiance que j'estime. La sérénité de celui-là me fascine. Tous dessinent l'idéal auquel j'aspire. Augustin confirme: en me conviant à "devenir ce que je suis", l'autre révèle ma nature.
La légèreté fournit à l'apprenti du métier d'homme un outil bien précieux , une force inédite capable de dynamiter les hommes .
La souffrance ne grandit pas, c’est
ce qu’on en fait qui peut grandir l’individu.
Nul besoin de souffrir pour s’épanouir,
nul besoin de connaître l’isolement pour
apprécier la présence de l’autre. D’éminents
chercheurs ont dépensé temps et énergie à
vanter les mérites de l’épreuve, les bienfaits
de l’échec. Il faut faire ses expériences, dit-
on. Certes, mais les accumuler ne suffit pas.
On risque de trouver dans cette rhétorique
une invitation à la fuite, un prétexte futile
pour infliger des peines. Par un jeu de mots
(ta pathémata mathemata : ce qui fait souffrir
nous enseigne), les Grecs ont tenté de forger
une attitude, bien plus subtile, à opposer aux
tourments, à ce qui blesse et détruit.
Georg Christoph Lichtenberg dit un jour : " L'Américain qui le premier a découvert Christophe Colomb a fait une fâcheuse découverte. " La mienne fut délicieuse.
La souffrance ouvre les yeux, aide à voir les choses qu'on n'aurait pas perçues autrement. Elle n'est donc utile qu'à la connaissance, et, hors de là, ne sert qu'à envenimer l'existence.
Cioran, De l'inconvénient d'être né, Gallimard, 1990. Cité par Alexandre Jollien.