AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,55

sur 19 notes
5
2 avis
4
4 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Edmundo, 27 ans, le cadet de la famille Galeano, a roulé sa bosse dans les recoins déshérités de la planète. Lors de sa dernière mission humanitaire, dans un camp de réfugiés quelque part en Afrique, sa main droite a été accidentellement mutilée. Aujourd'hui, de retour à Lisbonne dans la maison familiale, il n'a "qu'une seule prétention, écrire un livre pour avertir l'Humanité qu'elle doit protéger son destin, car elle est seule dans L Univers, et L Univers est aussi insensible que les étoiles qui naissent, brillent pendant des milliards d'années puis se referment sur elles-mêmes, remplacées par des dépôts de cendres et des matières si denses que nos calculs humains n'ont pas assez de chiffres pour les calculer. Qui, au sein de ce mystère gigantesque, se souciera de nous ? C'est pour la survie de l'Humanité, pas pour la nôtre en particulier, mon père, mes frères, mes neveux, que je vais écrire ce livre". Mais dans la maison du Largo do Corpo Santo, les autres membres de sa famille sont confrontés à des préoccupations bien plus terre à terre et urgentes. La fortune familiale a été investie dans un projet ambitieux mais bloqué depuis des lustres par l'administration. le train de vie des uns et des autres s'en ressent, l'un qui doit vendre son cheval et ses beaux costumes, l'autre qui ne peut plus payer son loyer et revient s'installer dans la maison paternelle avec femme et futur enfant, la soeur divorcée dont l'agence de voyage est en faillite et qui revient elle aussi avec son fils pour s'occuper de la vieille tante Titi, aujourd'hui infirme mais qui a voué sa vie à s'occuper de ses neveux.
Lorsque l'administration se réveille enfin et rejette le projet, c'est le drame. Edmundo, qui jusque là observait ces petits tracas du quotidien avec un détachement un brin condescendant, comprend que son projet littéraire grandiose est affecté par cette réalité triviale qui l'empêche d'écrire : "Le cas de sa soeur lui révélait, en somme, l'existence d'un monde qu'il ignorait, une trame humaine qui lui avait toujours échappé et qu'il voulait à présent récupérer. [...] Il connaissait l'impatience de la fuite, mais n'aurait su décrire le désespoir. Il connaissait la faim et le manque des choses les plus élémentaires, mais il n'avait pas éprouvé personnellement les symptômes de la faim. [...] Il n'avait été attentif qu'à une partie de la condition humaine. Sans en avoir une connaissance plus intime, il se risquait à imaginer des êtres en carton-pâte qui bougeaient, comme dans les dessins animés, sans pour autant parvenir à toucher les esprits. A présent, oui, à cause de l'adversité qui s'était abattue sur la maison du Largo do Corpo Santo, il commençait à connaître un peu le coeur humain. le coeur humain qui bat dans la poitrine des hommes, que l'on soit en paix, en guerre ou en transhumance". Il réalise que la vulnérabilité de la Terre est indissociable de celle de sa famille et de la condition humaine.
"Estuaire" est un roman choral qui retrace, à travers les voix d'Edmundo et de ses quatre frères et soeur, l'histoire récente de la famille Galeano et du projet avorté. Dans un style ample et parfois lyrique, légèrement teinté de fantastique, ce roman, tourné vers le futur, parle aussi des conséquences d'une passion amoureuse et de la complexité de la création littéraire. En ce qui me concerne, ce fut une belle découverte de cette grande dame des lettres portugaises qu'est Lídia Jorge.
En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          560
Ce que j'ai ressenti:

💙Un Souffle de turbulences…

La famille Galeo connaît des jours nuageux et sombres. Dans la maison de leur enfance, la maison du Largo do Corpo Santo, ils se retrouvent, tous. Joâo. Silvio. Edmundo. Charlotte. David, Titi. Manuel. Un peu par dépit, beaucoup par commodité, mais surtout, dans le malheur d'un quotidien qu'il faut réévaluer à l'aube de la ruine familiale. Et forcément, ça crée des tensions pour les espaces de vies. Mais chacun, imagine un avenir radieux, auprès des siens, avec si possible, des petits bonheurs privés à atteindre, tout en faisant parti d'un tout. de la cellule familiale, de la vie en communauté, avec la beauté du paysage et des rêves-embruns, Lídia Jorge nous offre un roman choral sublime.

Là où il y avait des hommes, il y avait des perfidies, les perfidies étaient les fils de la toile d'araignée qui se tisse entre les hommes.

🔵 Et dans une sphère bleue…

Edmundo Galeano a une envie étourdissante d'écrire. D'écrire un livre. D'écrire « le » livre. Avec cette folle audace en tête et la main mutilée fort impatiente, il regarde grossir une sphère bleue plutôt que sa famille…Il sent jaillir cette boule bleue en lui et l'entourer plus haut dans ses ambitions. Son foyer subissant multiples tempêtes pourtant, lui, il continue de chercher l'inspiration et l'appelle de toutes ses forces…Et à force d'écriture et d'introspection, il touche son rêve de ses doigts…

Lídia Jorge raconte la beauté ensoleillée de l'écriture créative, l'envie tenace de prendre la plume, les flux d'ardeur et de désespoir face au projet d'un livre à travers son personnage et c'est sublime. le coeur de l'intention d'écriture. Tout en racontant, les peines de cette famille, elle nous démontre que c'est dans le quotidien parfois, qu'on peut puiser les idées, qu'on peut trouver avec un oeil attentif, la richesse d'une belle histoire. J'ai adoré sa sensibilité d'écrivaine, sa façon de décrire avec des images fortes ou dans le plus infime détail, l'énergie qu'il faut déployer pour se dépasser avec la littérature.

La beauté. il savait qu'il devrait conquérir la beauté pour que son livre apporte une leçon. Ce qui lui semblait facile.

🌊Une ode à la mer…

Entre fleuve et océan, Estuaire est un roman qui t'embarque par sa beauté et son intensité. La plume de Lídia Jorge est puissante, suggestive, alarmante, poétique. Il y avait de la douceur dans les mots et puis d'un coup, des impacts tonitruants. J'ai adoré. Parce que c'était la vie avec ses coups durs, parce que c'était la mer avec sa magnificence , parce que c'était vrai, sincère dans chaque mot.

Les hommes devaient ficher la paix à la mer, la mer et ses fonds et ses abîmes, ses jardins secrets, ses nappes d'algues, ses créatures d'une infinie variété, son eau pure avec sa pointe de sel.

Ma note Plaisir de Lecture 9/10
Lien : https://fairystelphique.word..
Commenter  J’apprécie          340
Après un accident qui lui a coûté la main, alors qu'il était en mission humanitaire, Edmundo rentre à la maison familiale, bien décidé à écrire un roman rendant compte notamment de ses expériences pour mieux expliquer ce qui l'entoure, lui qui a vadrouillé aux quatre coins du monde. Ce retour en famille signe le retour à une certaine forme de chaos, puisqu'il n'est pas le seul dans l'obligation de rentrer au nid, frères et soeur revenant, eux aussi, progressivement, chez le père, en raison d'une ruine générale causée par un mauvais concours de circonstances.

Le retour à l'estuaire, que l'on suppose être celui de Lisbonne, est ainsi le retour aux sources, en partie douloureuses - et la suite du récit renforcera, encore davantage, cette douleur -, qui permettra d'esquisser le processus de création littéraire, tout aussi chaotique que la famille qui l'entoure, d'Edmundo, qui cherche, tant bien que mal, à commencer à se raconter, à raconter le monde, en étant parasité tant par les souvenirs, plus ou moins récents, que par le présent qui l'encercle, l'oppresse, l'étouffe.

C'est un superbe roman choral que nous propose Lidia Jorge, sinuant entre un présent, un passé, un futur qui ne demandent qu'à prendre corps, qu'à rompre avec le chaos qui les empêche de s'épanouir, qui rend ainsi compte de la difficulté même de la création littéraire, de la re-création de soi à travers elle. C'était la première fois que je lisais l'autrice portugaise, je la relirai bien volontiers sous peu. Prochaine étape, Misericordia, son dernier ouvrage publié, déjà dans ma PAL.
Commenter  J’apprécie          270
« À propos des livres, voyons voir. Aujourd'hui le monde s'en passe. Ils sont encombrants, lourds, prennent la place que doivent occuper les choses utiles. En plus ils sont difficiles à comprendre et longs à digérer. Mais si les livres, tous autant qu'ils sont, ont ces inconvénients, un livre qui annonce la fin du monde est forcément aussi inutile qu'imbuvable. »

Ce jugement tranché est celui d'une vague connaissance d'Edmundo Galeano, rencontré tard dans la nuit avec d'autres amateurs de musique rock et pour lesquels tout peut être dit dans les quelques lignes d'un titre des « Ecraseurs de citrouille » ou des « Vierges de fer ».

Car Edmundo, qui est revenu d'Afrique blessé grièvement à la main droite, est porté par sa volonté d'écrire malgré tout un roman total de ce qu'il y a vécu. Il travaillait dans un camp de réfugiés de la corne de l'Afrique, comme humanitaire. Et ce qu'il y a vu l'a déconnecté de la vie qu'il retrouve au Portugal.

Edmundo est revenu vivre dans la maison familiale, située Largo do Corpo Santo à Lisbonne, en bordure de l'estuaire du Tage. Il est le plus jeune des cinq enfants de Manuel Galeano, un petit armateur, veuf, qui a connu bien des vicissitudes et dont les deux derniers bateaux sont bloqués au Sénégal, pour des raisons de conformité. Ses frères et soeur ne sont pas mieux lotis qu'Edmundo, même si ce sont chacun pour des raisons bien différentes. La soeur de Manuel, Tatiana, dite « Titi » a élevé ces enfants. Elle vit toujours dans cette grande maison, mais elle aussi décline inexorablement.

C'est un roman d'atmosphère que cet « Estuaire », malgré ses personnages variés et attachants qui pourraient faire penser plutôt à un roman choral. La proximité de l'eau, que ce soit celle du Tage ou celle de l'océan, est omniprésente. Edmundo fera « ses gammes » d'écrivain tout d'abord en recopiant (et en mémorisant) « Ode maritime » de Fernando Pessoa. Et sur les conseils de Titi, en s'attaquant ensuite à l'Iliade. C'est vrai que des rivalités, il n'en manque pas au sein de cette famille…
Commenter  J’apprécie          253
Lidia Jorge est une grande romancière portugaise, témoin de l'histoire de son pays. Quelle aubaine d'avoir pu lire ce roman pendant mon voyage à Lisbonne. Si Lidia Jorge est née en Algarve, elle aime la capitale portugaise et parvient dans ses romans qui privilégient l'ambiance à nous plonger dans son atmosphère.
Edmundo Galeano, de retour d'un voyage humanitaire dans le camp de réfugiés de Dadaab, revient s'installer dans la maison familiale du Largo do Corpo Santo. Là-bas, en voulant récupérer le bébé qu'une jeune coureuse somalienne venait de jeter dans une poubelle, il s'est tranché la main droite. Malgré sa main mutilée, il souhaite désormais écrire un livre, le roman de sa vie, le roman de la transition. En attendant, il s'entraîne à recopier des textes et redécouvre les membres de sa famille, tous revenus dans la maison familiale.
Son père, veuf depuis vingt-sept ans, est un armateur. Autrefois, il possédait de nombreux bateaux. Aujourd'hui il ne lui reste que deux navires, bloqués au large d'Abidjan, dans l'attente du verdict d'un procès. Toute cette famille qui n'a jamais connu la privation angoisse devant la faillite annoncée.
Dans ce roman choral, chacun vit son drame assez égoïstement.
Alexandre, le frère aîné, ingénieur hydraulique s'en remet à contre coeur aux conseils d'une voyante consultée par sa femme.
Silvio regrette d'avoir dû vendre son appartement, son yacht. Il reprend son travail d'avocat et tente de sauver son dernier cheval qu'il ne peut plus entretenir.
Joâo Vasco s'installe avec sa nouvelle femme enceinte, une jeune prostituée russe. Il compte bien déloger la vieille tante et obtenir ainsi les plus belles pièces de la maison pour sa belle.
Charlotte, la seule fille de la famille, est revenue depuis quelques temps chez son père. Son agence de voyages a fait faillite et elle s'est séparée du père de son fils. Sa torture est aujourd'hui morale. Son ancien amant détient le pouvoir dans le procès qui menace la famille. Elle seule peut peut-être changer le cours des choses mais pourra-t-elle affronter son passé?
Les récits de Lidia Jorge, alternant les points de vue sont assez labyrinthiques. Aucun personnage ne se détache, chacun imposant ses attentes, ses plus intimes pensées.
Edmundo, dans son projet d'écriture, permet à Lidia Jorge de traiter de la création littéraire. Alors que ses frères et soeurs s'enlisent dans les problèmes concrets, Edmundo privilégie l'invisible, l'imaginaire. Il s'enferme « dans la sphère bleue, ce corps fascinant qui allait lui donner un livre sur le futur proche de l'Humanité. »
Appartient-il à un monde qui a pris fin? Sa passion pour la littérature lui donne un espoir loin des perfidies qui se jouent entre les humains.
Lidia Jorge dit ne pas écrire pour divertir le lecteur mais pour lui donner à réfléchir. Avec ce roman, bien ancré dans la beauté naturelle d'un lieu, elle oppose le créateur littéraire influencé par sa récente expérience humanitaire aux matérialistes nantis craignant de perdre leurs privilèges. Elle glisse quelques réflexions sur la pollution des océans et sur la nouvelle société à deux vitesses.
Un très beau roman aux grandes qualités littéraires.
Lien : https://surlaroutedejostein...
Commenter  J’apprécie          50
Edmundo Galeano, tout juste revenu d'une longue mission humanitaire, retrouve petit à petit son quotidien à Lisbonne, auprès de sa famille, qui lui semble de plus en plus étrangère. Abîmé moralement et physiquement par son expérience à l'étranger, il oscille constamment entre souvenirs traumatisants, satisfaction d'avoir aidé les plus fragilisés de ce monde et volonté de changer l'avenir. Les frontières temporelles éclatent au profit d'un seul et unique désir : celui d'écrire. Edmundo veut écrire un livre sur le futur, un livre pour éviter la fin du monde, un livre salvateur, au-delà des égoïsmes, des trahisons et des conflits familiaux qui explosent suite au suicide de son père, au-delà des atrocités qui peuplent le monde, au-delà des prédictions angoissantes sur l'avenir de la planète. Il se donne pour objectif de poursuivre l'oeuvre homérique en inventant les nouveaux héros du futur. Mais ce désir d'écrire se heurte à de nombreux obstacles : prisonnier d'un cercle familial étouffant, il parvient difficilement à nommer les choses et à créer des personnages éloignés d'un réel tantôt anodin, tantôt douloureux. Il est surtout contraint par une main qui porte à jamais les marques de la violence du monde, estropiée dans des circonstances tragiques. Edmundo doit avant tout réapprendre à écrire, en recopiant les vers emblématiques des oeuvres de Fernando Pessoa et d'Homère, sans jamais véritablement réussir à inventer l'histoire du futur qui le hante.
On retrouve avec plaisir l'écriture élégante et joliment imagée de Lídia Jorge dans ce beau roman choral, qui dépeint avec finesse la complexité des relations familiales et le délicat apprentissage de l'écriture.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          30
Estuaire
Lídia Jorge 2018
roman traduit du portuguais par Marie-Hélène Piwnik
Métaillié, 236p, 2019



Lidia Jorge, née en 46 dans le Sud du Portugal, l'Algarve, est un grand nom, pas seulement de la littérature lusophone. Son ambition littéraire intimide, elle écarte toute frivolité, elle veut faire réfléchir. J'ai lu un ou deux livres d'elle. Je me souviens d'un titre :Le vent qui siffle dans les grues, et d'une certaine déception que le livre m'avait laissé. J'ai dû en lire un autre, où le personnage de la narratrice m'avait impressionnée, une femme qui a un accident de voiture et qui retrace sa vie très particulière avant qu'on ne la découvre dans son auto quasi morte. Je ne me rappelle plus le titre. C'est dire s'il est difficile de parler de l'auteure.
J'ai lu Estuaire parce qu'on en disait du bien, et pour que je me fasse une idée plus précise de la grande romancière, couronnée de nombreux et grands prix.

On n'entre pas si facilement dans ce livre. C'est l'histoire d'une famille d'armateurs, les Galeano, ruinée à cause d'un contrat périlleux, et rejeté par l'état, et qui se regroupe dans la maison paternelle, de cinq étages, et cossue, située à Lisbonne, sur les bords du Tage. La fratrie est grande, quatre garçons et une fille, placée en troisième position. Les deux aînés ont suivi les traces de leur père. le troisième fils, imbu de ses mérites, fait vivre la famille, semble-t-il, en louant des habitations aux clandestins, le dernier, Edmundo, 27 ans, de 15 ans plus jeune que l'aîné, revient d'une mission humanitaire au Kénya avec une main mutilée, et il projette d'écrire « un livre immense, qui évoquerait la transition du temps de la Terre au sein de l'Univers ». Il refuse toute histoire banale, des personnages dont il connaîtrait les originaux. Il veut quelque chose d'ambitieux et de neuf. Il se place sous le parrainage de l'Iliade, et de Pessoa, et de son Ode maritime, et se concentre sur sa petite sphère bleue contenant virtuellement son livre, en « imaginant qu'il écrivait pour l'éternité sur une feuille de papier de soie ». Il en a « Marre ! de ne pouvoir agir en accord avec [m]es délires ». Il paraît être étranger à sa famille, lui qui déjà était parti loin et dans une autre direction, mais la mort de son père, qui répétait que tout est à sa place, et les révélations de sa soeur feront qu'il se rapprochera des siens et que son livre portera sur les drames de la famille, puisqu'il aura compris que ceux-là touchent directement à ce qu'il est. Cette famille comprend un membre de plus, la tante Titi, la soeur du père, venue vivre avec eux à la mort de la mère survenue trois mois après la naissance du dernier, qui possède une bibliothèque de 7000 livres, et qui peut être de conseils utiles et sincères pour l'aspirant-écrivain, à qui elle avait recommandé la lecture d'Homère. Mais elle ne parle plus, et l'avant-dernier des frères veut qu'elle lui cède ce qu'on appelle la suite, à savoir trois pièces, pour s'y installer avec sa femme enceinte, une pute russe. Ce passage sordide est égayé par le petit os de la main droite de Titi qui dit : Non, non, je refuse d'abandonner ma place.
Les personnages ne sont pas sympathiques, le deuxième fils cependant attirant l'intérêt avec son affection pour son cheval nommé Immortel, et qui se fait escroquer par deux maquignons gitans qui « mériteraient le premier prix de dissimulation et tromperie. Ils feraient tous d'excellents avocats s'ils avaient fait des études de droit ». La fille, Charlotte, est attachante, qui croit en l'amour, capable de choses surprenantes, et dont l'arme est la nudité. Elle a connu une histoire sentimentale extraordinaire et dramatique avec un homme qui sauvait les poissons, mais débordait d'ambition, et que ses frères naturellement avaient vue d'un mauvais oeil. Charlotte s'interroge sur la coïncidence des mots et des mondes, et sait qu'il y a des mondes plus vastes que les mots. En attendant, elle a fait voeu, en guise d e vengeance, d'un silence absolu opposé à l'amant qui a trahi.
On ne saura pas trop la teneur du contrat. On tiendra, grâce au roman choral, des bribes de la vie passée. On pressent que le benjamin, comme s'il était un estuaire, trouvera un bout de solution au problème de la famille. On pourrait lui appliquer cette phrase du roman : La vie n'est complète que si, quand nous mourons, nous sentons que nous avons acquis la connaissance suffisante pour naître à nouveau.On n'échappera pas aux alertes écologiques, le plastique dans la mer, la marée noire. On humera l'air de Lisbonne et les senteurs du Tage, mais peu, car le livre placerait presque dans un huis-clos, que l'ambiance familiale rétrécit encore. Pourtant on en sort de cet enfermement, en jetant une bouteille à la mer, en recherchant le cheval, en suivant la sphère bleue de l'idéal, en s'éprenant d'une baleine solitaire. La sorcellerie, le merveilleux, voire le fantastique, mais aussi la beauté de la terre, croisent un réel sombre, frappé par la crise, pour lequel les politiques ne peuvent pas grand-chose.
La construction du livre est intéressante, formé de paragraphes séparés par un paragraphe d'une ligne qui peut servir de titre.
Je le savais : il est difficile de parler de Lídia Jorge et de ses livres. J'en lirai un autre.
Commenter  J’apprécie          30
Le langage et la lutte contre les limites du monde qu'il suppose. Sous la ligne de flottaison, au-delà du naufrage d'une famille, Estuaire parvient à nous plonger dans les différentes versions des failles de chacun de ses personnages. Par son écriture d'une précision toute poétique, Lídia Jorge saisit l'irrationnel, l'empathie aussi, des sentiments de tous les membres de cette belle histoire de famille.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
Commenter  J’apprécie          30
Voici un roman qui part d'une envie de littérature pour parler d'une famille, qui part d'un ensemble pour saisir des individus très distants les uns des autres, qui montre des chutes personnelles pour esquisser une forme d'espoir. Par son découpage en chapitres assez courts, ce roman lance des morceaux de vies. le lecteur les recolle et comprend rapidement que les personnages, eux, en sont incapables. Ils sont perdus, obsédés par des envies (écrire un roman salvateur, sortir d'un marasme financier, agrandir sa famille…) ou dans l'attente d'un sursaut. Lidia Jorge débute son livre en présentant les vies très éclatées des membres d'une fratrie. Ce sont ainsi des points dispersés qui nous amènent à comprendre la disparition d'un dialogue au sein de la famille. La mort du père les poussera à dialoguer, donnant un chapitre court à la mise en page théâtrale. En quelques pages, la romancière offre à chacun un moment de franchise et d'une grande honnêteté. Se suivent mélancolie, culpabilité, aveuglement, angoisse et appel à l'aide. Lidia Jorge décrit tout le ciment de ce drôle d'ensemble qu'est une famille. Par le personnage d'Edmundo, animé par ce désir d'écrire un grand roman, elle pointe également la force de la littérature de reconstruire et de saisir la nature humaine. le mouvement de la vie, des virages, de ces pertes de sens, prend, sous la plume de Lidia Jorge, la forme d'un tourbillon fascinant. le lecteur se retrouve dans l'oeil du cyclone, chamboulé par une écriture sincère et pudique.
Lien : https://tourneurdepages.word..
Commenter  J’apprécie          20


Lecteurs (47) Voir plus



Quiz Voir plus

Famille je vous [h]aime

Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

chien
père
papy
bébé

10 questions
1430 lecteurs ont répondu
Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

{* *}