Portrait de l'artiste en jeune homme

Je ne veux pas servir ce à quoi je ne crois plus, que s'appelle mon foyer, ma patrie ou mon Eglise. Et je veux essayer de m'exprimer, sous quelque forme d'existence ou d'art, aussi librement et aussi complètement que possible.

L’émotion esthétique […] est statique par cela même qu’elle arrête l’esprit, dominant le désir et la répugnance.

C'est tout un art que d'allumer le feu. Il y a les arts libéraux et les arts appliqués. Ceci est un des arts appliqués.

Une joie douce et fluide submergea les mots où les douces et longues voyelles avançaient sans bruit, se détachaient, clapotaient et refluaient, agitant sans cesse les cloches blanches de leurs vagues en une sonnerie muette, en un carillon muet, en un doux cri évanescent ; et il sentit que le présage qu’il avait cherché dans le vol tournoyant et filant des oiseaux, dans la pâle étendue du ciel au-dessus de sa tête, avait surgi de son cœur tel un oiseau d’une tourelle, vite et sans bruit.

Il avait émergé de deux années de rêverie pour se retrouver au beau milieu d’un nouveau décor dont tous les éléments et tous les personnages l’affectaient intimement, le démoralisaient ou l’enchantaient et, pour charmant ou démoralisant que ce fût, le laissaient toujours agité et amer. Quand il n’étudiait pas, il passait tout son temps libre en compagnie d’écrivains subversifs dont les quolibets et la violence verbale fermentaient sous son crâne avant de se répandre dans ses écrits sans finesse.

Modeste suiveur du mouvement de conversion à la religion catholique, pauvre Anglais en Irlande, il donnait l’impression d’être monté sur la scène de l’histoire jésuite au dernier acte de cette étrange pièce faite d’intrigues, de souffrances, de convoitises, de luttes et d’infamies : un retardataire, un esprit lent.

Il s’arrêta sur le palier devant la porte, puis, empoignant le bouton de porcelaine, l’ouvrit prestement. Il attendit apeuré, l’âme suspendue, priant en silence que la mort ne frôlât pas son front quand il franchirait le seuil, que les démons qui peuplent l’obscurité ne fussent pas en mesure d’exercer leur emprise sur lui. Il s’attarda sur le seuil comme à l’entrée de quelque sombre grotte.

Il s’accouda à la table puis ouvrit et ferma les pavillons de ses oreilles. Il entendit alors le bruit du réfectoire à chaque fois qu’il ouvrait les pavillons de ses oreilles. On aurait dit le vrombissement d’un train dans la nuit. Et quand il fermait les pavillons le vrombissement s’arrêtait comme quand un train entre dans un tunnel.