Immerger sa vie dans le flot des communs des autres existences lui paraissait plus difficile que n’importe quel jeûne ou quelle prière et il n’y réussissait jamais à sa propre satisfaction, ce qui finissait par créer dans son âme la sensation d’une sécheresse spirituelle, ou les doutes et les scrupules allaient s’accentuant. Son âme traversa une période de désolation.
La libre pensée n'existe pas. Etant donné que toute pensée est soumise nécessairement à ses propres lois.
Le père de Stephen disait que les jésuites étaient des hommes très intelligents. Ils auraient tous pu avoir de grandes situations dans le monde s’ils n’étaient pas devenus jésuites.
« Il n’y a ni passé, ni futur .
Tout ce qui découle est un présent éternel » ...
Une des difficultés de la discussion esthétique, poursuivit Stephen, consiste à savoir si les mots sont employés selon la tradition littéraire ou selon la tradition de la place publique.
Une froide et lucide indifférence régnait dans son âme. A son premier péché violent, il avait senti une onde de vitalité s’écouler hors de lui et il avait craint de voir son corps ou son âme mutilés par cet excès. Au lieu de cela, l’onde de vie l’avait porté sur son sein au-delà de lui-même et rapporté avec le reflux ; et aucune partie du corps ou de l’âme n’avait été mutilée, mais une paix ténébreuse s’était établie entre eux… Il savait que, menacé de damnation éternelle pour le premier de ces péchés, il multipliait par chaque péché nouveau sa culpabilité et sa punition. Ses jours, ses travaux, ses pensées ne pouvaient le racheter… A quoi servait de prier, quand il savait que son âme avait un désir luxurieux de sa propre destruction ?
Lors de l'ouverture du gymnase, il avait entendu une voix qui le pressait d'être fort, viril et sain ; quand un mouvement de renaissance nationale se fit sentir dans le collège, une autre voix encore lui ordonna d'être fidèle à sa patrie, de contribuer à relever son langage et ses traditions déchues. [...]. C'était le vacarme de toutes ces voix, sonnant creux, qui le faisait hésiter dans la poursuite des fantômes. Il n'y prêtait l'oreille qu'un instant, mais il n'était heureux que loin d'elles, hors de leur atteinte, seul, ou bien en compagnie de ces camarades phantasmatiques.
« Il n’y a ni passé ni futur .Tout ce qui découle est un présent éternel » …
Trois choses sont nécessaires à la beauté : intégralité, harmonie et éclat. Ces choses correspondent-elles aux phases de l’appréhension ? […] Regarde ce panier. […]
Afin de voir ce panier, ton esprit le sépare d’abord de tout l’univers visible qui n’est pas ce panier. La première phase de l’appréhension est une ligne de démarcation tracée autour de l’objet à appréhender. Une image esthétique se présente à nous soit dans l’espace, soit dans le temps. […] Mais temporelle ou spatiale, l’image esthétique est d’abord lumineusement perçue comme un tout bien délimité sur le fond sans mesure de l’espace ou du temps, qui n’est pas cette image. Tu l’appréhendes comme une chose une. Tu la vois comme un seul tout. Tu appréhendes son intégralité –voilà l’integritas. […]
Après avoir senti que cette chose est une, tu sens maintenant que c’est une chose. Tu l’appréhendes complexe, multiple, divisible, séparable, composée de ses parties, résultat et somme de ces parties, harmonieuse. Voilà la consonantia. […]
Lorsque tu as appréhendé le panier en question comme une chose une, lorsque tu l’as analysé selon sa forme, lorsque tu l’as appréhendé comme un objet, tu arrives à la seule synthèse logiquement et esthétiquement admissible : tu vois que ce panier est l’objet qu’il est, et pas un autre. L’éclat dont il parle, c’est, en scolastique, quidditas, l’essence de l’objet.
C’est ainsi […] que ta chair à toi a répondu au stimulus de la nudité sculptée, mais ce n’était là, je le répète, qu’une action réflexe de tes nerfs. La beauté exprimée par l’artiste ne peut éveiller en nous une émotion d’ordre cinétique, ni une sensation purement physique. Elle éveille en nous, ou devrait éveiller, elle induit en nous, ou devrait induire, une stase esthétique, une pitié ou une terreur idéales, une stase provoquée, prolongée et enfin dissoute par ce que j’appelle le rythme de la beauté.