Héliopolis

Or, imaginez-vous ceci : vous vous tenez en nombreuse compagnie dans cette chambre ou dans cette salle. On joue, on discute, on trafique, bref on fait ce qui est d'usage entre les humains. Pour les profanes, dans cette pièce, les choses et leurs conjonctions seront plus ou moins livrées au hasard. Aussi, aucun d'eux n'est en mesure de dire à coup sûr ce qu'amènera, ne fût-ce que la minute suivante. C'est ici le règne de l'imprévu, de la force aveugle.
Et maintenant, poursuivez cette fantasie: la salle est entourée d'une seconde enveloppe, aussi invisible qu'une atmosphère. Elle est presque sans extension, mais chargée de significations. Représentez-vous cette enveloppe comme une sorte de tapisserie qui cache dans ses dessins une écriture imaginée ou chiffrée, que l'on peut embrasser d'un coup d'oeil. Je vous ferai tomber les écailles des yeux, et, stupéfait, vous découvrirez que ces caractères sont la clé de toutes les scènes qui se jouent dans la salle. Vous étiez jusqu'à présent comme un homme qui suivait la course nocturne des astres, mais sans connaître l'astronomie. Vous voilà maintenant inité, et votre puissance est pareille à celle des vieux collèges de prêtres qui annonçaient les éclipses de soleil et de lune. Vous avez reçu l'ordination qui vous confère le principat de la magie."

— Si je vous comprend bien, monsieur le surintendant des mines, la beauté naîtrait toujours d'une blessure ?
— On pourrait le dire, car dans l'absolu la beauté n'est pas. Cela nous ferait entrer dans la métaphysique de la souffrance.

Le bonheur est lié à l'instant - c'est à dire qu'il ne peut durer.En mettant les choses au mieux, la vie ressemble à une chaîne faite des anneaux des souhaits exaucés. On aura beau vaincre toujours, comme Alexandre, on n'échappera pas au destin. L'ennemi de la faim, c'est la satiété, de même que la satisfaction est la mort du désir.

- Le bonheur est dans l'illusion, commença le peintre, et l'exaucement, c'est la mort. Qu'est-ce donc qui nous fait hésiter entre la seconde où nous voyons le fruit luire entre les feuilles et celle où notre main le cueille ? Nous voudrions étirer l'instant de bonheur.

Lucius tenait à sa petite collection de manuscrits, comme en d'autre temps on tenait aux reliques. Il considérait le livre sorti des presses comme l'entretien de l'auteur avec le lecteur et la société de son temps; le manuscrit, au contraire, comme son monologue — plus encore, son dialogue avec Dieu. En chaque auteur, ne vivait-il pas une volonté de viser le Tout, une étincelle du pouvoir créateur ? Et en lançant cette flèche vers le Tout, il se présentait devant son terrible juge, suprêmement libre, avant que ne fût rendue la sentence. Le manuscrit — c'était la précieuse scorie qu'avaient laissée ces feux, ces fusions, ces destructions et ces épurements de l'esprit.

Nous approuvons la doctrine de Zarathoustra, selon laquelle l'homme doit être dépassé par le surhomme. Nous n'y voyons pas une exigence morale, mais une nécessité historique. Le stade suivant sera le nécessaire dépassement du surhomme: il se brisera sur l'humain, qui tirera de cette rencontre une puissance supérieure.

« Que sont le cœur de l’homme, le cerveau de l’homme, l’œil de l’homme ? – un peu de terre, un peu de poussière. Et pourtant, cet humus est élu pour arène de l’univers. De même, les pierres précieuses sont élevées au rang d’un grand éclat. C’est ce symbole qui leur donne leur valeur, qui les destine à parer les grands prêtres et les rois, à rehausser la beauté des femmes, sorties, objets précieux, du sein de la Terre maternelle. (p. 25)

Il y a des lieux sur terre où se suivent des sanctuaires , du plus loin qu'on s'en souvienne; il en est ainsi des lieux de violence. Ces endroits semblent frappés d'une malédiction, qui leur attire des troupes sans cesse renouvelée de victime. Elles se succèdent à travers le flux et le reflux de l'histoire, et qu'importe qu'elles soient traînées sur l’ordre des tyrans ou au nom de la liberté dans ces lieux d'épouvante, où l'on entendra toujours leur murmure comme une litanie qui jamais ne s'arrête? Car nul ne saurait compter ceux qui à chaque instant languissent dans les geôles de ce monde.

Le jeûne [...] est toujours bon, surtout l'abstinence de toute viande. C'est pourquoi je trouve que les chrétiens n'accèdent pas à ce que les religions peuvent offrir de plus noble; ils vivent dans un monde d'abattoirs. De là tout le mal."

Orpheline, elle avait grandi dans la maison d'Antonio, entourée du monde de ses livres, et de là lui venait ce repliement sur soi des enfants réduits à une solitude précoce, et qui réfléchissaient de bonne heure.